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TILLEMONT

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II. Œuvres. — Pour nous, Tillemont est surtout l’auteur de deux ouvrages considérables qui pourraient même être considérés comme les deux parties d’un unique travail, l’Histoire des empereurs et les Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles. On lui doit également une Histoire de saint Louis, qui n’a été publiée qu’au xixe siècle et sur laquelle nous n’avons pas à insister. Cette vie de saint Louis, faite surtout de documents empruntés au dossier de la canonisation, forme d’ailleurs un ensemble du plus haut intérêt ; 6 vol. publiés par de Gemble, Paris, 1847-1851.

L’histoire des empereurs parut la première. Tillemont avait soumis le premier volume de l’Histoire ecclésiastique à un censeur qui lui demanda des corrections ; il les jugea inacceptables et préféra retirer son manuscrit, tout en continuant son travail. Comme l’Histoire des empereurs n’avait pas besoin d’une autorisation pour paraître, le t. i en fut publié en 1690 ; le quatrième date de 1697 ; le sixième et dernier ne fut donné au public qu’en 1738.

Cependant, en 1693, des censeurs plus bienveillants autorisèrent la publication de l’Histoire ecclésiastique et le t. i parut à cette date. Le t. iv est daté de 1697. Le t. v était sous presse à la mort de l’auteur ; il parut en 1698, avec un avertissement qui renseigne le lecteur sur l’état dans lequel l’historien avait laissé son ouvrage : « Le sixième tome que l’on imprime actuellement a encore reçu la dernière main de l’auteur même, qui l’a relu dans sa maladie. Pour les volumes suivants, que l’on ne discontinuera pas de donner avec la même diligence que si l’auteur vivait encore, la sincérité oblige d’avouer qu’ils ne sont pas tout à fait dans le même état. Mais certainement le public ne s’en apercevrait pas, si on ne l’en avertissait ; et il ne le reconnaîtrait pas même après en avoir été averti, si on ne lui disait en quoi consiste cette différence… Il faut néanmoins encore avouer que l’on perd une partie de ce que l’on attendait de M. de Tillemont et de ce qu’il avait promis. Car il s’était proposé d’éclaircir l’histoire des six premiers siècles de l’Église ; et Dieu nous l’a ravi avant qu’il eût achevé le sixième. De sorte qu’on ne promet plus de sa main que les cinq premiers siècles entiers et une partie du sixième, tant de l’histoire de l’Église que de celle de l’empire, car il avançait également dans l’une et dans l’autre. »

Les promesses faites dans cet avertissement furent loyalement tenues. Seulement le t. xiii des Mémoires, qui contient la vie de saint Augustin, parut dès 1702 avant le t. viii et un avertissement explique que l’éditeur a procédé de la sorte pour prévenir « la publication d’une traduction de la vie du grand docteur publiée en tête de l’édition bénédictine de ses œuvres ». Cette traduction semblait d’autant plus inutile que « la plus grande différence de cet ouvrage-ci d’avec celui des bénédictins ne consiste que dans la différence des langues. C’est au fond le même cadre, la même chronologie et presque en tout les mêmes sentiments, ou pour mieux dire, le même ouvrage ». Les tomes suivants, de viii à xiii et de xiv à xvi se succédèrent ensuite régulièrement. Le t. xvi et dernier parut en 1712. Il « comprend l’histoire de saint Prosper, de saint Hilaire pape, de saint Sidoine, d’Acace de Constantinople, de saint Eugène de Carthage et de la persécution de l’Église d’Afrique par les Vandales, d’Euphime et de saint Macédonc, patriarches de Constantinople et de divers autres saints et saintes ou grands hommes qui sont morts depuis l’an 463 jusques en 513°. Pendent opéra interrupta. Tillemont n’avait pu aller plus loin dans son œuvre. On voit que le vie siècle fut à peine abordé par lui.

Tillemont ne s’est pas proposé de faire une histoire suivie et il s’explique sans ambages sur son dessein. « L’auteur, dit-il, a donné une histoire divisée par titres où l’on ne voit qu’une chose à la fois, sans que l’on sache ce qui se passait en même temps dans le reste de l’Église ni la liaison que les différents événements ont les uns avec les autres… Il n’a suivi cette manière que parce qu’il l’a trouvée plus facile pour lui et plus proportionnée à son esprit. Il lui a été beaucoup plus aisé d’examiner un saint ou une matière en particulier et de passer de celle-là à une autre que de s’embarrasser à discuter en même temps plusieurs faits qui n’avaient point de liaison ensemble et qui demandaient des vues et des connaissances toutes différentes. » T. i, p. v.

On évitera donc de lui demander ce qu’il n’a pas voulu donner : « [L’auteur], écrit-il encore, ne se croira pas tout à fait inutile à l’Église s’il peut représenter la vérité toute simple de ce qui s’est passé dans ses premiers siècles et l’établir autant que cela lui est possible par le témoignage des auteurs les plus anciens… Il ne s’engage point… à examiner les conséquences que l’on pourrait tirer des faits qu’il trouve établis par de bons auteurs, ni à répondre aux objections que l’on y a faites ou que l’on y pourrait faire, ce qui demanderait une étude toute différente de la sienne. E se contente de chercher la vérité des faits : et pourvu qu’il la trouve, il ne craint pas que l’on en abuse ; étant certain que la vérité ne peut être contraire à la vérité, ni par conséquent à la piété qui doit être fondée sur la vérité. » T. i, p. viii-ix.

On ne saurait mieux dire. Ce qui a fait, ce qui fait encore la valeur incomparable des Mémoires de Tillemont, c’est la masse des documents qu’ils mettent en œuvre. L’historien a tout lii, tout étudié, tout analysé, du moins tout ce qu’on connaissait de son temps, en fait d’ouvrages de l’antiquité chrétienne. Il serait vain de lui reprocher l’ignorance de tel ou tel livre qui n’a été découvert que de nos jours. D serait vain également de l’accuser parce qu’il n’a pas tenu compte des sources orientales qui n’étaient pas accessibles au xviie siècle comme elles le sont devenues au xix c et au xxe. Sans doute, il suit de là que plusieurs parties des Mémoires ont beaucoup vieilli et ne suffisent plus à renseigner l’historien contemporain. C’est là le sort de toutes les œuvres humaines. Mais on ne saurait en faire reproche à l’auteur qui ne négligeait aucune occasion pour s’instruire et se tenir au courant des plus récents travaux sur l’objet de ses propres études.

Tillemont n’a pas seulement tout lu. D a lu en homme qui sait lire et la chose est plus rare qu’il ne le paraît. Aux documents, il ne demande pas plus que ce qu’ils peuvent donner. Il les interprète avec un souci minutieux de l’exactitude, nous dirions maintenant de l’objectivité. Il ajoute à son texte des notes considérables qui remplissent une partie notable de chaque volume et qui sont consacrées à des discussions critiques sur des points de détail. On peut n’être pas toujours d’accord avec lui sur les conclusions ; on ne peut méconnaître son effort persévérant pour trouver la vérité et pour s’y tenir.

On l’a sans doute accusé de crédulité et, lorsqu’il s’agit d’hagiographie, il est sûr qu’il accepte trop facilement certaines légendes. Encore n’est-il pas aussi crédule qu’on le dit quelquefois : « On avoue, écrit-il, qu’on ne s’est pas borné à celles-là (aux pièces qu’on a sujet de regarder comme tout à fait certaines) et qu’on s’est servi de quelques autres qui, ne paraissant pas tout à fait authentiques, ont néanmoins des choses édifiantes et dignes des saints, jointes à un air d’antiquité, qui fait présumer qu’au moins le fond vient de pièces originales. Mais on a eu soin de distinguer cellesci des premières et de marquer, ou dans le texte ou au moins dans les notes, le jugement qu’on en doit faire, afin de ne point tromper la piété des fidèles en