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TIÉDEUR


de l’Église de Laodicée. Plût à Dieu que tu fusses froid ou chaurll Aussi parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche. La charité, de sa nature, tend à être bouillonnante et les mauvaises dispositions de l’âme la maintiennent de force dans un état qui n’est ni froid ni chaud. Le châtiment ne saurait tarder. De même que l’eau tiède produit la nausée, ainsi cette âme sera vomie de la bouche du Christ et rejetée par lui. Image, qui dépeint la tiédeur et en dévoile le grand danger.

Il est, lui aussi, annihilé par la tiédeur, le deuxième caractère du dynamisme de la charité : toujours porter l’âme au mieux. Le progrès, l’effort constant vers le mieux, n’être jamais satisfait de soi, telle est la loi essentielle de la perfection, si bien expliquée par saint Augustin. C’est la charité qui fait ainsi progresser l’âme docile à ses inspirations. Car, dit le saint docteur, la charité ne peut pas rester oisive, inoccupée, quand elle est dans une âme : Ipsa dilectio vacare non potest. In psalm. xxxi, 5, P. L., t. xxxvi, col. 260. Si l’âme obéit à la charité, elle monte vers la perfection : Amando Deum ascendis, amando sœculum cadis. In psalm. cxxvi, 1, t.xxxvii.col. 1667 ; cf. col. 1085. Plus l’âme s’abandonne à la charité, plus rapide est son ascension : Quanto ergo plus amaveris, tanto plus ascendes. In psalm. lxxxui, 10, ibid., col. 1063. Cf. Pourrat, La spiritualité chrétienne, 12e mille, t. i, p. 296 sq. La charité fait encore progresser dans la vie spirituelle en rendant les vertus actives : « La charité, dit saint François de Sales, n’entre jamais dans un cœur qu’elle n’y loge avec soi tout le train des autres vertus, les exerçant et mettant en besoigne ainsi qu’un capitaine fait ses soldats. » Vie dévote, IIIe part., c. i. Saint Paul laisse entendre, en effet, que toutes les vertus sont le cortège, en quelque sorte hiérarchisé, de la charité. I Cor., xiii. Et saint Jean nous exhorte à ne pas aimer seulement « de parole et de langue, mais en action et en vérité ». I Joa., iii, 18.

La tiédeur est diamétralement opposée à ces énergies de la charité. Elle se soucie peu de monter de vertu en vertu. Son idéal n’est pas de progresser toujours, mais de se tenir dans une honnête médiocrité de vie. C’est à cela que se bornent les efforts du tiède. Et pourtant ne vouloir pas progresser, c’est déchoir par le fait même. Écoutons saint Bernard : « Une inlassable application à progresser et un effort soutenu vers ce qui est plus parfait, telle est la perfection, Indefessum proficiendi studium, et jugis conatus ad perfectionem, perfectio reputatur. Si travailler à sa perfection c’est être parfait, ne vouloir pas progresser c’est défaillir sans aucun doute. Où sont-ils donc ceux qui ont coutume de dire : « C’est assez pour nous, nous ne voulons pas être meilleurs que nos pères ! — O moine, tu ne veux pas progresser ? — Non. — Tu veux donc reculer ? — Pas du tout. — Que veux-tu donc ? — Je veux vivre de telle manière, dis-tu, que je demeure au point où je suis parvenu, sans me laisser déchoir, mais sans désirer aller plus haut. — Ce que tu veux est impossible. » Epist., ccliv, 3-4, P. L., t. clxxxii, col. 460461. La charité ne tardera pas à quitter une âme où ses divines énergies sont ainsi sans emploi.

La méconnaissance du troisième caractère du dynamisme de la charité — qui est l’opposition au péché véniel — est la plus grave. Le tiède, on le sait, borne son ambition à la fuite du péché mortel. Il est attaché au péché véniel pleinement délibéré, il n’est pas question pour lui de diminuer le nombre des péchés véniels de fragilité. Encore moins se préoccupe-t-il de pratiquer les conseils évangéliques en rapport avec sa condition. Par parti pris, il veut se tenir sur la limite, parfois indécise et imparfaitement déterminée, entre précepte grave et précepte de moindre importance. Cette attitude en face du devoir, on le sait, est

caractéristique de la tiédeur. Or, la charité a pour effet primordial de conformer la volonté de l’homme à celle de Dieu. Cette conformité, quand elle est vraie, ne distingue pas entre ce qui est grave et ce qui est léger. Elle est l’accomplissement, aussi complet que le comporte l’humaine faiblesse, de la volonté divine. Sans doute, bien des faiblesses, fautes vénielles de fragilité, seront commises malgré cette conformité. Mais il n’y aura là aucun parti pris. De même le fidèle fervent suivra quelques conseils. H se rend compte qu’il n’aimerait pas Dieu autant qu’il le peut, s’il ne faisait pas, au moins de temps en temps, plus qu’il ne doit. Donc, éviter le péché véniel délibéré, diminuer le nombre des péchés véniels de fragilité et observer quelques conseils, telles sont les exigences du dynamisme de la charité. On voit la contradiction entre elles et les mollesses de la tiédeur.

Aussi la tiédeur met-elle l’âme dans le danger, même imminent, de perdre la charité. Non pas qu’elle la diminue ontologiquement en elle-même, mais elle raréfie les grâces actuelles auxquelles le tiède ne coopère plus. Survienne une tentation grave et la chute est très probable. Notre-Seigneur, dans l’Apocalypse, déclare qu’il est sur le point de vomir le tiède, fiéXXco os èjjLÉaat. Ce qui aggrave encore cet état si critique, c’est l’illusion dans laquelle la tiédeur maintient l’âme : « Tu dis : je suis riche, j’ai acquis de grands biens, je n’ai besoin de rien ; et tu ne sais pas que tu es un malheureux, un misérable, pauvre, aveugle et nu. » Apoc, m, 17. Le tiède se croit en sécurité, parce qu’il se propose d’éviter le péché grave et qu’autour de lui beaucoup de chrétiens n’ont pas une telle disposition. Ainsi s’aveugle-t-il sur la réalité de son état.

IL Genèse de la tiédeur. — Tout ce qui est de nature à briser ou simplement à ralentir l’élan généreux de l’âme vers le bien engendre la tiédeur. Car, perdre cet élan, c’est cesser d’être à l’unisson avec le dynamisme de la charité. Les causes qui le font perdre sont énumérées longuement par les auteurs spirituels. Telles sont la négligence des devoirs moins importants : « Celui qui est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les grandes. » Luc, xvi, 10 ; l’omission non motivée et réitérée sans regret des exercices de piété tant soit peu importants ; la manière volontairement et systématiquement imparfaite de faire ces exercices quand une règle de communauté oblige à s’en acquitter en commun. Le P. Faber signale comme cause redoutable de relâchement la lassitude physique et morale que produit la monotonie du devoir et la nécessité de produire un effort prolongé. Conférences spirituelles, nouvelle éd., Paris, 1899, Fatigue dans la voie du bien, p. 247 sq.

III. Moyens d’éviter la tiédeur ou d’en sortir.

— L’âme qui reprend chaque jour ses résolutions d’être généreuse au service de Dieu, évitera la tiédeur. Elle sera ainsi en permanente harmonie avec le dynamisme de la charité et toujours disposée à en suivre les inspirations. Elle aura soin de faire contrôler, au moment des récollcctions, cette disposition à donner à Dieu, par la pratique des conseils, plus qu’elle n’y est rigoureusement tenue.

Plus difficilement on sort de la tiédeur quand on y a croupi un certain temps. Une retraite sérieusement faite est d’ordinaire nécessaire. Le texte de l’Apocalypse, déjà cité, indique les moyens à prendre pour se guérir de la tiédeur. Quelles que soient les circonstances locales qui ont suggéré à l’écrivain sacré les comparaisons dont il se sert, celles-ci sont très bien choisies et très expressives. Le tiède devra acheter un collyre pour oindre ses yeux > et y voir clair, c’est-à-dire, il devra sortir de l’illusion qui l’empêche de prendre conscience de la gravité de son état. Il se procurera « des vêtements blancs » pour se vêtir et ne pas laisser