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THOMISME. CONCLUSION


per se seu essentialiter. Il ne peut y avoir en l’homme deux substances complètes accidentellement juxtaposées, mais la matière, pure puissance, pure capacité réelle réceptrice, est déterminée en lui par un seul principe spécifique éminent, qui est en même temps principe substantiel radical de vie végétative, de vie sensitive et aussi de vie intellectuelle. Ce serait, à la vérité, impossible, si la même âme devait être principe, non seulement radical, mais immédiat d’actes vitaux si différents. C’est possible au contraire, si l’âme opère par diverses facultés subordonnées. De fait l’âme humaine est principe des actes de la vie végétative par ses facultés ou fonctions de nutrition, de reproduction ; elle est principe des actes de la vie sensitive par ses facultés sensitives ; et elle est principe des actes de la vie Intellectuelle par ses facultés supérieures d’intelligence et de volonté. Ici encore s’applique, sans aucun éclectisme, mais de façon toute spontanée et très hardie, la distinction de puissance et d’acte : l’essence de l’âme est, selon saint Thomas, ordonnée à l’existence qui l’actue, et chacune de ses facultés est ordonnée à son acte propre : Polentia essentialiter dicitur vel ordinatur ad actum. La substance de l’âme est immédiatement ordonnée à l’existence et ses facultés à leurs opérations spéciales. C’est pourquoi, selon saint Thomas, l’âme n’est pas immédiatement opérative par elle-même, sans ses facultés ; elle ne peut connaître intellectuellement que par l’intelligence, et vouloir que par la volonté.

Telle est la métaphysique profonde, que, selon les thomistes, Leibniz a inconsidérément brouillée, en voulant réduire la o*ûvau.iç aristotélicienne, qui est soit passive, soit active, à la force qui peut agir mais ne saurait rien recevoir. La métaphysique aristotélicienne et thomiste est celle de l’être divisé en acte et puissance, la philosophie de Leibniz est celle de la force, qu’il faudrait rendre intelligible en fonction de l’être ; la philosophie de Descartes est celle du cogito, qui, lui aussi, devrait être rendu intelligible en fonciion de l’être, si l’être intelligible est vraiment le premier objet connu par l’intelligence, par l’intellection directe, qui précède l’acte de réflexion ou le retour de la pensée sur elle-même.

Du même point de vue, selon saint Thomas, les deux facultés supérieures d’intelligence et de volonté, capables de se porter vers le vrai universel et le bien universel, doivent, à raison de leur objet spéciflcateur, dominer la matière. On ne s’expliquerait pas autrement que notre intelligence connaisse des principes vraiment nécessaires et universels, supérieurs à l’expérience contingente et particulière.

Dès lors ces facultés supérieures ne sont pas intrinsèquement dépendantes d’un organe et elles manifestent ainsi la spiritualité de l’âme raisonnable, qui peut survivre après la corruption de l’organisme.

c) Critériologie. — Si nous nous élevons à la nature même de la connaissance intellectuelle, le thomisme Mi Bpte encore tout ce qu’il y a de positif dans l’empirisme et les méthodes Inductives et tout ce qu’il y a de positif aussi dans l’intellectualisme, qui, par opposition à l’empirisme, reconnaît l’universalité et la nécessité (au moins subjective) des premiers principes rationnels. Mais, si l’objet premier de notre intelligence rst l’être intelligible des choses sensibles, il suit que les premiers principes de la raison ne sont pas seulement lis lois de l’esprit, mais des lois du réel intelligible. Le principe de contradiction : « l’être n’est pas le nonêtre » apparaît comme la loi fondamentale du réel et, si l’on dont ail de sa valeur, le cogito r.rgo sum lui-même s’évanouirait, car on pourrait dire : peut-être je suis moi sans l’être véritablement ; peut-être « il pense » comme on dit « il pleut » ; peut-être l.i pansée n’est pas iicll< ment distincte de la non-pensée, el sombre

dans le subconscient, sans qu’on puisse voir où elle commence et où elle finit ; peut-être qu’en même temps je suis et ne suis pas, peut-être n’y a-t-il que le devenir et ses phases, sans aucun sujet pensant véritablement individuel et permanent.

Si au contraire l’être intelligible des choses sensibles est l’objet premier de l’intelligence, celle-ci s’atteint ensuite avec une certitude absolue, par réflexion, comme relative à l’être intelligible et à ses lois immuables ; elle se connaît comme faculté de l’être, capable de saisir très au-dessus des phénomènes sensibles les raisons d’être des choses et de leurs propriétés. Elle voit dès lors qu’elle dépasse d’une distance immense ou sans mesure l’imagination si riche soit-elle, qui, elle, reste dans l’ordre des phénomènes et ne peut saisir le pourquoi du moindre mouvement, celui par exemple d’une horloge.

Les mêmes principes conduisent Aristote et saint Thomas à distinguer profondément la volonté éclairée par l’intelligence de l’appétit sensitif dirigé par les sens externes et internes. Et, comme l’objet formel de l’intelligence est l’être intelligible dans son universalité, celui de la volonté dirigée par l’intelligence est le bien universel, surtout le bien honnête ou raisonnable, essentiellement supérieur au bien sensible (délectable ou utile), objet de l’appétit sensitif.

d) La doctrine de la liberté el les fondements de la morale. — Par le développement normal de la doctrine de la puissance et de l’acte, le thomisme s’élève encore à propos de la liberté humaine au dessus du déterminisme psychologique de Leibniz e* de la liberté d’équilibre conçue par Scot, Suarez, Descartes et certains libertistes modernes, comme Secrétan et J. Lequier. Nous l’avons longuement montré ailleurs (Dieu, son existence et sa nature, 6e éd., p. 604-669), avec le déterminisme psychologique, saint Thomas admet que l’intelligence dirige notre choix volontaire, mais cependant il dépend de la volonté libre que tel jugement pratique soit le dernier et termine la délibération. Pourquoi ? Parce que, si l’intelligence meut objectivement la volonté en lui proposant l’objet à vouloir, la volonté applique l’intelligence à considérer et à juger et la délibération ne s’achève que lorsque la volonté accepte librement la direction donnée. Il y a ici une relation mutuelle de l’intelligence et de la volonté.

Le libre arbitre est ainsi, non seulement dans l’homme, mais en Dieu et dans l’ange, l’indifférence dominatrice du jugement et du vouloir a l’égard d’un objet qui apparaît non ex omni parte bonum, bon sous un aspect et non bon sous un autre. Si nous voyions Dieu face à face, alors certes, dit saint Thomas, sa bonté infinie vue immédiatement attirerait infailliblement et invinciblement notre amour. Mais il n’en est pas de même tant que nous sommes en présence d’un objet qui apparaît bon sous un aspect, et non bon ou au moins insuffisant sous un autre, et il en est ainsi même en face de Dieu abstraitement et obscurément connu, dont parfois les commandement ! nous déplaisent.

En présence d’un objet non ex omni parte bonum. la volonté, qui est d’une anpMtade vins limite, parce qu’elle est spécifiée par le bien universel connu par l’intelligence, ne peut êlre nécessitée. Elle peut même s’écarter de la loi morale : Video meliora proboque qugement spéculatif), détériora sequor (dernier jugement pratique et choix volontaire).

Les mêmes principes permettent au thomisme en morale d’admettre tout ce qu’affirment la morale du bonheur et celle, du devoir. Pourquoi ? Parce que l’oitjet propre de la volonté est le bien raisonnable, supérieur au bien sensible, délectable ou utile, or, li bien raisonnable, auquel une faculté est essentiellement ordonnée, doit être voulu par elle, autrement elle agi-