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TÉMOIGNAGE (FAUX)


tout au moins. Elle est indirecte, non pas dans son objet, c’est-à-dire, en l’espèce, dans la sentence, mais dans les moyens employés pour obtenir celle-ci. Il peut arriver qu’un accusé, certainement coupable, ne soit condamné qu’à la suite du mensonge d’un faux témoin, ou qu’un plaideur, injuste possesseur, ne soit justement condamné à restituer au légitime propriétaire qu’en suite d’un faux témoignage. Le mensonge a été pernicieux et a causé un tort injuste, parce que le moyen était injuste ; c’est en effet le droit strict d’un accusé, même coupable, ou d’un possesseur, même injuste, de ne pas être condamné sur des preuves juridiques fausses.

3. En tant qu’appuyé sur un serment, le faux témoignage revêt la moralité circonstantielle, mais capitale, de faux serment. Saint Thomas la met en première place et conclut qu’elle est toujours mortelle. Mais, en nos temps modernes, il nous faut faire une distinction que le saint docteur n’avait pas l’occasion de considérer parce que, à son époque, le serment était toujours religieux, tandis que de nos jours il peut être purement laïc.

Au cas où le serment est incontestablement religieux, comme dans les tribunaux ecclésiastiques et là où la loi prescrit ou du moins permet de confirmer les dépositions judiciaires par l’invocation du témoignage de Dieu, quelle qu’en soit la forme, le faux témoignage contient manifestement un parjure religieux : en plus de l’injustice, directe ou indirecte, le faux témoin commet un péché grave contre la religion, en faisant irrévérencieusement intervenir Dieu, la Vérité suprême, comme garant d’un mensonge et d’une injustice. Péché qui est mortel ex toto génère, selon la doctrine de saint Thomas suivie par tous les théologiens, et selon la condamnation par Innocent XI de la proposition suivante : Vocare Deum in testem mendacii levis non est tanta irreverentia, propter quam velit aut possit damnare hominem, Denz.-Bannw., n. 1174. — C’est bien pour cette raison que l’Église condamne sévèrement le faux témoignage à travers le faux serment. Les laïcs doivent être punis de l’interdit personnel qui leur défend l’assistance aux divins offices, la réception des sacrements et sacramentaux, et même peut les priver de la sépulture ecclésiastique (can. 2275) ; les clercs doivent être frappés de la suspense ab officia et a beneficio. Can. 1755, § 3 et 1743, § 3. Mais il est certain que ces peines n’atteignent que les faux serments commis devant les tribunaux ecclésiastiques. Et il est digne de remarque que le Code qui punit le parjure non judiciaire, can. 2323, a oublié les faux témoins devant les tribunaux civils, si ce n’est en les regardant comme suspects et incapables de prêter serment devant les tribunaux ecclésiastiques, can. 1757, § 2, n. 1 ; apparemment il a jugé que les peines portées par les lois civiles étaient suffisantes.

Mais le serment peut n’être que laïc, tant de la part de la loi qui n’admet pas le serment religieux, que de la part du témoin dont l’intention est de jurer selon la loi, et surtout de la part de celui qui formellement exclut le serment devant Dieu. En ce cas, le faux témoignage n’entre pas sur le terrain religieux ; quant à sa moralité, en plus de l’injustice, il reste dans les limites du mensonge. Il est la violation d’une promesse solennelle de dire la vérité ; violation, grave par nature, contre la vérité et la justice légale et qui est sévèrement et justement condamnée. Voici brièvement les peines portées par le Code pénal français : Quiconque sera coupable de faux témoignage en matière criminelle, sera puni de la peine de réclusion, art. 361 ; quiconque en sera coupable en matière correctionnelle, sera puni d’un emprisonnement de deux ans au moins et de cinq ans au plus, et d’une amende de 50 francs à 2 000 francs, art. 362. Le coupable de

faux témoignage, en matière civile sera puni d’un emprisonnement de 2 à 5 ans. et d’une amende de 50 à 2 000 francs, art. 363.

III. Questions secondaires.

Deux questions subsidiaires se posent au sujet du faux témoignage : le faux témoignage peut-il être non coupable par bonne foi ? Le faux témoin est-il tenu à restitution ?

La question de bonne foi.

Saint Thomas louche

à la première question quand, se demandant si le faux témoignage est toujours mortel, il allègue et réfute l’objection tirée de l’ignorance du fait. Loc. cit.. a. 4, ad l" 1 ". Non, le témoin qui par faiblesse de mémoire affirme comme vrai ce qui est faux, tandis qu’avec un peu plus de soin il aurait pu dire la vérité telle qu’elle était, n’est pas gravement coupable par son faux témoignage ; la bonne foi le sauve du péché mortel.

La question est plus grave quand il s’agit, non d’une ignorance de fait et de la bonne foi par examen incomplet ou réflexion insuffisante, mais de la bonne foi sur le droit qu’on croit avoir de rendre un service amical par un faux témoignage parfaitement conscient et voulu. On se juge autorisé à sauver par un mensonge appuyé d’un serment un prévenu qu’on sait coupable ou un possesseur qu’on sait de mauvaise foi. Cette bonne foi est-elle possible ? Malheureusement oui ; mais exempte-t-elle le faux témoin de toute culpabilité, il est difficile de le dire. Le subjectif peut-il aller aussi loin ? On trouvera des moralistes qui admettront cette possibilité, en se tenant strictement sur le terrain de la morale ou plutôt de la casuistique d’un cas particulier ; c’est l’opinion de Ballerini dans l’édition du Compendium theologise mor. de Gury, Prati, 1901, n. 977, note 3. Mais c’est en pareille matière qu’il ne faut pas craindre de parler des abus et des suites désastreuses, et donc de la nature malfaisante, d’une prétendue bonne foi. Sans doute il sera possible d’excuser tel ou tel fait de faux témoignage, mais il reste pour le théologien, pour le prédicateur et le confesseur le grave devoir de combattre cette perversion morale, d’éclairer et de réformer les consciences au sujet du faux témoignage.

2° Le faux témoin est-il tenu à restitution ? — C’est une question qui relève des principes théologiques concernant le devoir de restitution des coopérateurs injustes. En effet, le faux témoin tend à influencer le juge et à lui faire porter une sentence injuste ; il peut donc être considéré comme mauvais conseilleur. Il va sans dire que la question de la restitution ne se pose pas si le faux témoignage n’a pas eu d’effet, mais seulement si la sentence en fait a été injuste entraînant un tort grave pour l’un ou l’autre des plaideurs. Ayant été cause injuste, efficace et coupable du dommage, le faux témoin, selon le principe général sur la coopération, est obligé de le réparer.

Mais dans quelle mesure et comment ? Le problème devient ordinairement très compliqué. Le cas le plus simple est celui d’un unique faux témoin dont la déposition à elle seule exercera une influence déterminante sur l’esprit du juge. À supposer que le témoin en ait conscience, son devoir est clair : il a été cause de tout le dommage, il est obligé de le réparer totalement. Le devra-t-il par la révocation de son faux témoignage, les auteurs généralement ne le demandent pas, car il s’exposerait à des peines très graves. Et pourtant ce serait la vraie solution, si la réparation d’une autre manière n’était pas faisable. Mais les difficultés augmentent quand plusieurs faux témoins sont intervenus et c’est le problème si ardu de la restitution solidaire. Voir l’article Restitution, t. xiii, col. 24822489.

S. Thomas, Sum. theol., II*-I1°, q. lxx, a. 4 ; Tanquerey, Synopsis theol. moral., t. iii, 1936, n. 368-370. Les autres auteurs ne traitent pas du faux témoignage dans un cha-