Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/508

Cette page n’a pas encore été corrigée
1001
1002
THOMISME. LES VERTUS MORALES


(Vérité première révélatrice, Toute-Puissance auxiliatrice, Bonté divine infiniment aimable, supérieure à tous ses dons) apparaissent comme trois étoiles de première grandeur dans la nuit de l’esprit. Nous l’avons longuement expliqué ailleurs, en traitant de la purification passive de l’espérance et de la charité ; cf. L’Amour de Dieu et la Croix de Jésus, Paris, 2e éd., 1939, t. ii, p. 597-632.

XVI. Les vertus morales. — Au sujet des vertus cardinales et de celles qui se rattachent à elles, nous ne pouvons ici indiquer que les principes qui montrent leur subordination et leur connexion dans l’organisme spirituel.

La prudence.

La prudence, auriga virtutum,

comme disaient les anciens, est la vertu intellectuelle qui dirige toutes les vertus morales. Saint Thomas la définit après Aristote, recta ratio agibilium, la droite raison qui dirige immédiatement nos actes humains. Cette définition est proportionnellement vraie de la prudence acquise, éclairée par la lumière naturelle de la raison, et de la prudence infuse, éclairée par la lumière infuse de la foi. La première fait l’éducation rationnelle de la volonté et de la sensibilité, elle les discipline ; la seconde fait descendre dans ces facultés la lumière divine. Cf. II » -II", q. xlvii-lvu.

Chacune des deux détermine à sa manière le juste milieu raisonnable, qui est aussi un sommet entre les déviations déraisonnables soit par excès, soit par défaut ; ainsi le juste milieu de la vertu de force est au dessus de la lâcheté et de la témérité. Le juste milieu déterminé par la prudence infuse est supérieur à celui déterminé par la prudence acquise, mais dans l’homme juste ces deux vertus de même nom se subordonnent, comme chez le musicien l’agilité des doigts se subordonne à l’art qui est dans l’intellect pratique.

La prudence, soit acquise, soit infuse, a trois actes : le conseil qui examine les divers moyens en vue d’une fin ; le jugement pratique qui détermine le meilleur moyen et dirige immédiatement l’élection ou choix volontaire ; et l’imperium, qui dirige l’exécution des moyens choisis. II*- II", q. xlvii, a. 8.

Saint Thomas a particulièrement déterminé le rapport mutuel de la prudence et des vertus morales et le caractère propre de la certitude prudentielle d’après le principe formulé par Aristote : qualis unusquisque est, talis finis videtur ei conveniens, chacun juge du bien à réaliser selon les dispositions subjectives de sa volonté et de sa sensibilité, cf. I » -II", q. Lvin.a. 5 ; bref chacun juge selon son penchant, l’ambitieux juge bon ce qui flatte son orgueil, l’humble juge bon ce qui est conforme à l’humilité. Aussi y a-t-il un rapport mutuel entre la prudence qui dirige les vertus morales et celles-ci. Kn d’autres termes nul ne petit avoir la vraie prudence (soit acquise, soit infuse), distincte de la ruse et de l’artifice, s’il n’a pas à un degré proportionné la Justice, la force, la tempérance, la loyauté, une vraie modestie. Pour que le jugement prudentiel soit vrai et évite toute déviation, il faut que la volonté et la sensibilité soient rectifiées, tout comme le cocher pour bien conduire un char a besoin de chevaux déjà dressés.

C’est pourquoi saint Thomas dit que le Jugement de la prudence est pratiquement vrai par conformité à l’appétit (rationnel et sensitif) rectifié, surtout pnr conformité à l’intention droite de la volonté : uerum Inlellectus practici nrripitur per conformilatem ad appetiliim rectum. I » -II", q. lvit, a. 5, ad 3 om. C’est le wns profond de l’adage : chacun juge selon son inclination. I’i comme toujours suint Thomas passe progressivement du sens commun ou raison naturelle à la raison philosophique mise au service de la théologie. Il Trinité de là que, même si le jugement prudentiel est spéculai ! veinent faux, par suite d’une ignorance <>u

d’une erreur absolument involontaire, il reste pratiquement vrai. Ainsi, si nous ne pouvons absolument pas savoir ni soupçonner que le breuvage qu’on nous présente est empoisonné, il n’est pas imprudent de juger que nous pouvons le boire ; ce jugement spéculativement faux est pratiquement vrai, per conformitatalem ad intenlionem rectam.

Cette droite intention de la volonté est donc requise pour que la prudence par le jugement pratique détermine bien le juste milieu de chaque vertu morale, par exemple celui de la force entre la témérité et la lâcheté, ou celui de l’humilité entre l’orgueil subtil et la pusillanimité.

L’intention droite de la volonté est nécessaire plus encore pour que la prudence, après avoir bien jugé, commande efficacement les actes des vertus de justice, force, tempérance, etc. Il est clair qu’elle ne peut les commander que si la volonté est droite et efficace et que si la sensibilité est assez rectifiée pour obéir à la direction donnée. Il y a ainsi un rapport mutuel entre la prudence acquise et les vertus morales acquises qu’elle dirige, et proportionnellement aussi entre la prudence infuse et les vertus morales infuses. On saisit mieux dès lors ce qu’est la connexion des vertus et leur subordination dans l’organisme spirituel. L’étude attentive de ce que saint Thomas a écrit sur la prudence et les vertus annexes peut beaucoup aider à la formation de la conscience et l’on pourrait avec ces éléments écrire un excellent livre sur ce sujet, plus sûr, plus profond, plus utile que les comparaisons souvent artificielles des probabilités pour et contre.

A la vertu de prudence correspond le don de conseil, qui nous rend dociles aux inspirations du Saint-Esprit, inspirations parfois nécessaires là où la prudence même infuse reste hésitante, par exemple pour répondre à une question indiscrète en évitant tout mensonge et sans livrer un secret à garder ; cf. II » - II", q. lu.

2° La justice et ses différentes formes. II » -II", q. lviicxxii. — Saint Thomas montre que la justice, soit acquise, soit infuse, est dans la volonté pour la faire sortir de l’égoïsme ou amour-propre désordonné, en lui faisant rendre à autrui ce qui lui est dû.

A la suite d’Aristote, il distingue nettement quatre espèces de justice selon cette énumération ascendante : 1. la justice commutative est celle qui règle les échanges entre particuliers selon l’égalité ou la juste valeur des choses échangées, elle défend le vol, la fraude, la calomnie et oblige à restitution ; 2. la justice distribulive, qui préside à la répartition par l’autorité des avantages et des charges de la vie sociale entre les divers membres de la société ; en vue du bien commun, elle distribue comme il faut à. chacun les biens, le travail, les charges, les impôts, les récompenses et les peines ; cette distribution doit se faire, non pas également pour tous, mais proportionnellement aux mérites, aux vrais besoins et à l’importance des divers membres de la société, II » - II", q. lxi, a. 1, 2 ; 3. la justice légale (ou sociale) vise immédiatement le bien commun de la société, elle fait établir et observer de justes lois et ordonnances. C’est à elle que correspond cette partie de la prudence appelée par saint Thomps la prudence. politique, qui doit se trouver surtout dans le chef d’État et ses collaborateurs, mais aussi dans ses sujet s. car leur prudence ne doit pas se désintéresser du bien commun et, s’ils n’ont pas à contribuer à l’établissement de justes lois, ils doivent toujours veiller à les bien observer, II » - II", q. i.vni, a. 6, 7 ; q. lx, a. 1, ad 4 om ; q. i.xxxi, a. H, ad l om ; 4. l’équité OU VeplcheiQ est la forme la plus élevée de la justice, elle est attentive, non pas seulement à la lettre des lois, mais à leur ( -spril. à l’intention du législateur, surtout dans les clrconi tance* exceptionnelles partlculièrement difficile el