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THOMISME. LES VERTUS THÉOLOGALES


mas, le don de crainte filiale, qui nous détourne du péché en nous préservant de la présomption. Q. xxii.

3° La charité. II » -II æ, q. xxiii-xlvii. — Il nous est impossible ici de toucher tous les grands problèmes qu’aborde saint Thomas dans son traité de la charité au cours de vingt-trois questions Nous parlerons seulement de l’objet formel de cette vertu, de sa nature, d’où se déduisent ses principales propriétés ; cf. lI » -II æ, q. xxiii, a. 1, 2, 3, 5 ; q. xxv, a. 1 ; q. xxvii, a. 3.

1. Objet formel.

La charité est la vertu infuse et théologale par laquelle nous aimons Dieu auteur de la grâce pour lui-même, plus que nous, plus que tous ses dons et par dessus tout ; celle aussi par laquelle secondairement nous aimons surnaturellement nous-même et le prochain, pour l’amour de Dieu, parce qu’il est aimé de Dieu et appelé, comme nous, à le glorifier en cette vie et éternellement. Notre charité est l’effet en notre volonté de la charité incréée, qui nous a aimés la première, et dont l’amour est créateur, conservateur, vivificateur, régénérateur. La charité est par suite un don créé, distinct du Saint-Esprit, quoi qu’en ait dit Pierre Lombard.

Comme il est dit dans l’Écriture : Jam non dicam vos servos, sed amicos, Joa., xv, 15, la charité est à proprement parler une amitié surnaturelle entre les enfants de Dieu et lui-même, et aussi entre les enfants du même Père céleste. Ce n’est pas là seulement une conclusion théologique, c’est l’explication certaine d’une vérité de foi. Dire que la charité est une amitié, c’est dire qu’elle est un amour de bienveillance mutuel, fondé sur une communauté de vie (convivere, convictus, communio), du fait que Dieu nous a communiqué une participation de sa nature, de sa vie intime, et nous appelle à le voir immédiatement comme il se voit et à l’aimer éternellement ; cf. q. xxiii, a. 1.

Le motif formel de la charité est donc la bonté divine surnaturellement connue, en tant qu’elle est en soi souverainement aimable pour elle-même. Ainsi aimer Dieu pour ses bienfaits (si ces derniers mots expriment le motif formel de notre amour et non pas seulement un moyen de connaître et de se disposer à aimer la bonté divine) ne serait pas un acte de charité ; cf. q. xvii, a. 3.

La charité nous porte à aimer Dieu en lui-même et pour lui-même plus que tous ses dons, car la bonté du bienfaiteur dépasse tous ses bienfaits. Elle nous porte par suite à désirer la béatitude éternelle, non pas comme l’espérance, en tant que Dieu est notre souverain bien, mais pour le glorifier éternellement en reconnaissant sa bonté.

Bien plus, tandis que, par la connaissance naturelle, nous atteignons d’abord les créatures et Dieu par l’intermédiaire de celles-ci, tandis que, par la foi, nous ne connaissons Dieu que in speculo sensibilium, par des idées abstraites des choses sensibles, par la charité au contraire nous atteignons Dieu immédiatement et nous aimons les créatures aimées par lui parce que nous l’aimons d’abord lui-même : Dileclio etiam in statu vise lendit in Deum primo et ex ipso derivatur ad alia, et secundum hoc carilas Deum immédiate diligit, alia vero Deo medianle. Q. xxvii, a. 4.

Nous devons donc aimer Dieu par dessus tout, au moins d’un amour d’estime efficace, appretiative et efficaciter super omnia, et nous devons tendre à l’aimer intensive super omnia, avec l’élan conscient d’un cœur pleinement possédé par Dieu, ce qui se vérifiera surtout au ciel. Q. xxvi, a. 2, 3.

C’est par la même vertu de charité que nous aimons Dieu et le prochain, car le motif formel de ces deux actes est le même. La raison formelle en effet pour laquelle nous aimons surnaturellement le prochain d’amour de charité, c’est Dieu même, car ainsi nous voulons que le prochain soit en Dieu, ut in Deo sit, qu’il

adhère à lui comme à sa fin ultime et qu’il le glorifie éternellement. Q. xxv, a. 1.

2. Principales propriétés.

Dès lors la charité doit être universelle, elle doit s’étendre à tous les hommes, bien que nous devions aimer davantage d’un amour d’estime ceux qui sont plus près de Dieu et d’un amour senti et de dévouement ceux qui sont plus près de nous. Q. xxvi, a. 1, 4, 5, 6, 7-13.

Il suit de là qu’il n’y a pas deux espèces de charité, celle envers Dieu et celle envers le prochain, mais il y a une seule charité dont Dieu est l’objet premier et dont le prochain est comme nous, l’objet secondaire. Nous pouvons ainsi avoir pour le prochain et peur nous-même, au dessus de l’affection naturelle, un amour essentiellement surnaturel et théologal.

La charité de la terre n’est pas non plus spécifiquement distincte de celle du ciel, car l’amour se porte sur son objet, à raison de la bonté de celui-ci, abstraction faite de ceci que l’objet soit vu ou non vu ; la proposition intellectuelle de l’objet bon n’est pas la raison formelle mais seulement la condition de l’amour.

Il résulte encore de ce qui précède que la charité, comme ne cessent de le dire saint Paul et saint Jean, est la plus excellente de toutes les vertus, car elle atteint Dieu plus immédiatement. Q. xxiii, a. 6. En particulier, in via, l’amour de Dieu, qui se porte vers lui tel qu’il est en soi, est plus parfait que la connaissance de Dieu, qui lui impose en quelque sorte la limite de nos idées bornées. Ibid.

Étant supérieure à toutes les autres vertus, la charité inspire et impère leurs actes et les rend méritoires en les ordonnant à la fin dernière aimée par dessus tout. En ce sens, elle est la forme (extrinsèque) des autres vertus, en les référant à la vie éternelle.

Aussi, bien que sans elle il puisse y avoir de vraies vertus, celles-ci ne sont pas alors ta perfeclo statu virtutis, car la référence à la fin ultime manque, et l’homme, étant en état de péché mortel, est même détourné de Dieu, fin dernière ; il y a par suite en lui une faiblesse, qui empêche la connexion des vertus et qui ne permet pas à celles qui existent d’être subjectivement in statu virtutis difficile mobilis. Cf. q. xxiii, a. 7 et 8, et les commentaires des Salmanticenses, de Billuart, etc.

La charité sur terre peut toujours augmenter et le viator doit toujours tendre vers Dieu en l’aimant davantage. Q. xxiv, a. 4. Tout acte de charité même imparfait, même remissus ou inférieur en intensité au degré de la vertu dont il procède, mérite de condigno une augmentation de charité, mais il ne l’obtient aussitôt que s’il est assez intense ou généreux (non remissus), pour nous disposer à recevoir cette augmentation : Quilibet actus caritatis meretur carilatis augmentum, non tamen statim augetur, sed quando aliquis conatur ad hujusmodi augmentum. Q. xxiv, a. 6, ad l næ.

A la vertu de charité correspond, selon saint Thomas, le don de sagesse, qui, sous l’inspiration du Saint-Esprit, nous fait juger des choses divines par une sympathie ou connaturalité fondée sur la charité et nous les fait ainsi goûter dans l’obscurité de la foi. Q. xlv, a. 1, 2. De la foi éclairée par les dons de sa gesse, d’intelligence et de science procède la contemplation infuse.

On voit que saint Thomas attire particulièrement l’attention sur le motif formel de chacune des trois vertus théologales. Cette doctrine a des conséquences importantes en spiritualité, notamment à propos de la purification passive de l’esprit. À ce moment les vertus théologales sont de plus en plus purifiées de tout alliage humain et leur motif formel, essentiellement surnaturel, est mis alors en un puissant relief au dessus de tout autre motif inférieur et accessoire, de sorte qu’au terme de cette purification passive, sous la lumière du don d’intelligence, ces trois motifs formels