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THOMISME. LES VERTUS THÉOLOGALES


ment et par lui il mériterait le suivant et ainsi de suite, jusqu’à mériter et à obtenir infailliblement le don de la persévérance finale.

Cependant celui-ci peut être obtenu par la prière humble, confiante, persévérante et en ce sens on dit qu’il peut être mérité de congruo improprie. Ce n’est pas alors l’objet d’un mérite proprement dit s’imposant à la justice divine, mais de la force impétratoire de la prière, qui s’adresse à la miséricorde. C’est en ce sens qu’on peut entendre la promesse faite par le Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie d’accorder la grâce de la bonne mort à ceux qui auront reçu la sainte communion le premier vendredi du mois neuf fois de suite.

Contre l’impossibilité de mériter par un mérite proprement dit la persévérance finale, on a cbjecté : qui peut mériter plus, peut mériter moins ; or, le juste peut mériter la vie éternelle, qui est plus que la persévérance finale. — On répond que le principe invoqué n’est vrai que toutes choses égales d’ailleurs, et quand il s’agit des objets auxquels le mérite est ordonné par Dieu, mais non pas du principe du mérite, lequel ne peut être mérité. — Il n’est pas nécessaire du reste que la grâce de la bonne mort soit méritée comme moyen en vue de la vie éternelle, car elle peut être obtenue autrement que par le mérite : par la prière.

On insiste en disant : mais on ne peut mériter l’obtention de la vie éternelle, sans mériter la persévérance finale qui en est la condition. À cela il faut répondre qu’on ne mérite l’obtention même de la vie éternelle qu’à condition de ne pas perdre ses mérites, ce dont la grâce de la persévérance finale préserve les élus ; cela revient encore à dire que cette grâce n’est autre que la conservation du principe du mérite et qu’elle ne peut être méritée. Le concile de Trente, sess. vi, c. xvi, et csn. 32, dit du juste : Meretur vitam selernam et ipsius vitee seternæ, si tamen in gratia decesserit, consecutionem.

Tels sont les principes qui dominent le traité de la grâce de saint Thomas. On voit que, selon lui, la doctrine chrétienne s’élève ici comme un sommet entre deux hérésies radicalement opposées, au dessus du pélagianisme et du semipélagianisme, qui nient l’élévation de la grâce, sa nécessité et sa gratuité, et au dessus du prédestinatianisme, renouvelé par le protestantisme, qui nie la volonté salvifique universelle.

Contre la première de ces hérésies, saint Thomas affirme très nettement la distinction sans mesure des deux ordres de la nature et de la grâce ; celle-ci est déclarée participation formelle de la Déité telle qu’elle est en soi. À propos de la nécessité de la grâce, le saint docteur souligne la parole du Sauveur : « Sans moi vous ne pouvez rien faire », dans l’ordre du salut. En traitant de la gratuité de la grâce, il revient constamment aussi à cette parole de saint Paul : « Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu ? » Nul ne serait donc meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. La subordination des agents correspond à celle des fins ; par suite Dieu seul, auteur de la grâce, peut mouvoir vers la fin surnaturelle et la grâce actuelle efficace est efficace par elle-même, elle porte effectivement à l’acte salutaire, en actualisant notre liberté.

Mais, contre le prédestinatianisme, qui reparaîtra dans le protestantisme et le jansénisme, saint Thomas affirme nettement que Dieu ne commande jamais l’impossible et que la grâce suffisante, offerte ou même accordée à tous 1er adultes, donne le pouvoir réel d’agir de taçon salutaire. Et, si l’homme lui résiste, il mérite d’être privé de la grâce efficace qui lui aurait fait accomplir librement l’acte salutaire. Le juste peut mériter ce à quoi l’acte méritoire est ordonné, mais non pas le principe même du mérite.

Entre ces affirmations contre chacune des deux

hérésies opposées le mystère reste ; pour avoir ici l’évidence il faudrait voir comment se concilient dans l’éminence de la Déité l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la souveraine liberté.

XV. Les vertus théologales. — 1° La foi et son motif formel. II » -II", q. i-xvi. — Après avoir parlé dans la I » -II" des principes des actes humains en général, saint Thomas, dans la II » - II", traite de chaque vertu en particulier et d’abord de chacune des trois vertus théologales.

Comme nous l’avons indiqué en parlant des vertus en général, le principe qui domine toutes ces questions est celui de la spécification des habitus et æ leur acte par leur objet formel, principe dont le sens profond et la portée ont été méconnus par Scot, par les nominalistes et leurs successeurs. On peut s’en rendre compte par les controverses qui ont eu lieu depuis le xive siècle et qui durent encore sur le motif formel de la foi et l’ultime résolution ou fondement de la certitude de celle-ci. Ce sont seulement ces points capitaux que nous soulignerons au sujet de chacune des principales vertus.

Saint Thomas, II » -II », q. i, a. 1, montre d’abord que la foi a pour objet matériel tout ce qui est révélé par Dieu et surtout les mystères surnaturels inaccessibles à l’intelligence naturelle de l’homme nu de l’ange. Elle a pour objet formel ou motif formel de son adhésion, la véracité de Dieu (verilas prima in dicendo), qui suppose son infaillibilité (verilas prima in intelligendo), bref l’autorité de Dieu révélateur, auctorilas Dei revelantis, comme le dira le concile du Varican, sess. iii, c. ni. Il s’agit manifestement de la véracité de Dieu auteur non pas seulement de la nature, mais de la grâce et de la gloire, car c’est ainsi que Dieu intervient pour nous révéler les mystères essentiellement surnaturels de la Sainte-Trinité, de l’incarnation rédemptrice, etc. Saint Thomas dit, ibid., q. i, a. 1 ; In fide, si consideremus formalem rationem objecti, nihil aliud es f, quam veritas prima. Non enim fides, de qua loquimur, assentit alicui, nisi quia est a Deo revelatum. Unde ipsi veritati divinee fides innititur, tanquam medio. El q. ii, a. 2 : Formate objectum fidei est veritas prima, cui inhæret homo, ut propter eam creditis assential. Voir aussi, q. v, a. 1 : In objecto fidei est aliquid quasi formate, scilicet veritas prima super omnem naturalem cognitionem créatures existens ; et aliquid maleriale, sicut id, cui assentimus, inhærendo primæ veritati ; et encore, q. iv, a. 1 : Veritas prima est objectum fidei secundum quod ipsa non est visa et ea quibus propter ipsam inhæretur. Le motif formel d’une vertu théologale, disent les thomistes, doit être incréé, il ne peut être que Dieu même ; la proposition infaillible de l’Église et les miracles qui la confirment, ne peuvent être que des conditions sine qua non, mais pas le motif formel de la foi.

Il suit de là que la foi spécifiée par un tel objet formel, essentiellement surnaturel, est elle-même surnaturelle, quoad essentiam, vi objecti formalis specificativi ; cf. ibid., q. vi, a. 1 : Cum homo assentiendo his quæ sunt fidei elevetur supra naturam suam. oportet quod hoc ei insit ex supernaturali principio inlerius movente quod est Deus. Et encore q. v, a. 3, ad l Bm : Articulos fidei… tenet fidelis simpliciter inheerendo primée veritati, ad quod indiget adjuvari per habitum fidei.

En d’autres termes, le fidèle, par la foi infuse et une grâce actuelle, adhère surnaturellement au motif formel de cette vertu théologale, dans un ordre très supérieur à celui de la raison ou des raisonnements apologétiques fondés sur l’évidence des miracles et autres signes de la révélation. Il y adhère par un ai le simple, et non pas discursif, bien plus par le même acte surnaturel qui le fait adhérer aux mystères rêvé-