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THOMISME. LA JUSTIFICATION


n’avoir conscience d’aucun péché mortel, mépriser les choses terrestres et trouver sa joie dans le Seigneur.

Les effets de la grâce sont la justification et le mérite dont il nous reste à parler.

6° La justification. I » -II", q. cxiii. — 1. Ce qu’elle est. — Dans la justification de l’impie ou du pécheur, selon le témoignage de l’Écriture, les péchés sont vraiment remis, effacés, enlevés et non pas seulement couverts et non imputés comme le diront les luthériens. S’il en était autrement, il s’ensuivrait que l’homme serait en même temps juste et injuste, que Dieu aimerait les pécheurs comme ses amis et ses enfants et que ceux-ci, tout en restant dans l’état de péché, seraient dignes de recevoir la vie éternelle. Il s’ensuivrait aussi que Jésus-Christ ne serait pas vraiment « l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Cf. Ibid., a. 1.

Pour cette rémission des péchés, qui est la justification du pécheur, l’infusion de la grâce habituelle ou sanctifiante est requise, si bien que, même de puissance absolue, il ne peut y avoir de justification sans infusion de la grâce. Ibid., a. 2. Les thomistes ont fortement défendu ce point de doctrine contre les scotistes, les nominalistes et leurs successeurs. La raison en est que la justification du pécheur est l’effet de l’amour de Dieu pour lui ; or.l’amour de Dieu, comme il a été dit plus haut, n’est pas seulement affectif, mais effectif, en ce sens qu’il produit la grâce qui justifie et qui sanctifie ; c’est la grande différence entre l’adoption humaine et l’adoption divine qui seule enrichit et vivifie l’âme de celui qui est adopté.

D’autre part le péché grave habituel implique que la volonté de l’homme est habituellement, sinon actuellement, détournée de Dieu, fin ultime ; elle reste dans un état d’éloignement habituel. Or, il est impossible que ce péché habituel soit effacé sans que la volonté soit convertie vers Dieu, et donc sans qu’elle soit changée réellement par l’infusion de la grâce habituelle et de la charité, qui tourne l’âme vers Dieu. La cause formelle de la justification est donc la grâce sanctifiante, comme l’a défini le concile de Trente, sess. vi, c. vii, can. 10 et 11,

Les thomistes soutiennent par voie de conséquence, contre les scotistes et Suarez, que, même de puissance absolue, Dieu ne peut faire que le péché mortel, soit actuel soit habituel, et la grâce sanctifiante coexistent dans un même sujet. La grâce sanctifiante est en effet par son essence même justice, sainteté et rectitude, tandis que le péché est par nature iniquité, souillure et désordre ; ils sont donc absolument incompossibles. Un même homme ne peut au même instant être ami de Dieu, agréable à Dieu, et ne pas l’être, en état de grâce et en état de péché mortel ou de mort spirituelle.

La production de la grâce habituelle requiert, nous l’avons vii, chez l’adulte conscient une disposition, fini est un mouvement du libre arbitre vers Dieu, car lui-même meut les êtres conscients et libres conformément à leur nature. Ibid., a. 3.

2. Quels sont les actes requis à la justification de l’adulte ? — Le concile de Trente, sess. vi, . vi, énumérera les six actes de foi, de crainte, d’espérance, d’amour de Dieu, de pénitence ou de contrition et de ferme propos de commencer une vie nouvelle, en recevant les sacrements et en obéissant aux préceptes.

Saint Thomas insiste, ibid., a. 4 et 5, sur les actes do foi et de contrition ; mais il note aussi les actes de crainte filiale et d’humilité, d’espérance, d’amour de Dieu ; quant au ferme propos il csi inclus dans la contrition.

La foi éclaire l’esprit sur la justice divine qui châtie le péché et sur la miséricorde qui offre le pardon. De là naît l’acte de crainte filiale de la Justice divine et l’es péranee du pardon. L’acte d’espérance dlspo l’amour de Dieu source de toute Justice et plus aimable

que ses bienfaits. De là naît enfin la détestation du péché comme nuisible à l’âme et comme offense à Dieu ; cette détestation du péché est la contrition, soit parfaite, si le péché déplaît surtout comme offense à Dieu, soit imparfaite, s’il déplaît surtout comme nuisible au pécheur. Cette douleur du péché n’est pas sincère, si elle n’implique pas le ferme propos de commencer une vie nouvelle.

Selon les thomistes, parmi ces six actes, deux certainement doivent exister formellement ou explicitement : les actes de foi et d’amour de Dieu, car ce sont, dans l’intelligence et la volonté, les deux actes principaux qui ne peuvent être contenus virtuellement en d’autres. Quant à l’acte de contrition, il semble qu’il doit être lui aussi explicite, car il faut regretter le péché comme offense à Dieu, à moins que l’homme ne pense pas alors à ses péchés et fasse un acte de charité qui contient virtuellement la contrition. De même l’acte de charité peut contenir virtuellement celui d’espérance.

3. De quel principe procèdent efjectivement les actes de contrition et de charité qui sont la disposition ultime à la grâce habituelle, à l’instant même de la justification ? — Parmi les thomistes, Jean de Saint-Thomas et Contenson disent que ces actes procèdent d’un secours actuel transitoire, tandis que Gonel et plusieurs autres soutiennent qu’ils dérivent de la grâce habituelle et des vertus infuses à l’instant précis et indivisible de leur infusion, c’est-à-dire de la motion divine qui produit ces habilus infus comme actuellement opérants.

Cette seconde interprétation paraît plus conforme à ce que dit saint Thomas, ibid., a. 8, ad 2um : « La disposition du sujet précède la forme selon une priorité de nature (dans l’ordre de la causalité matérielle et dispositive), et pourtant elle suit (dans l’ordre de causalité efficiente et formelle) l’action de l’agent qui dispose le sujet ; aussi le mouvement du libre arbitre précède d’une priorité de nature (dans l’ordre de causalité matérielle et dispositive) la réception de la grâce habituelle, mais il suit l’infusion de la grâce (dans l’ordre de la causalité efficiente et formelle). » Ce que nous ajoutons entre parenthèses est dit explicitement, ibid., a. 8, ad l um.

En ce passage saint Thomas dit expressément, au sujet de l’instant indivisible où s’accomplit la justification : « Au même instant, le soleil, selon une priorité de nature, éclaire d’abord et par suite chasse les lénèbres ; tandis que l’air, selon une autre priorité de nature, cesse d’être obscur avant d’être éclairé. De même, en un seul instant. Dieu, selon une priorité de nature, infuse la grâce avant de remettre le péché, tandis que l’homme, selon une autre priorité de nature, cesse d’être pécheur avant de recevoir la grâce. » Ainsi s’applique le principe général qui joue partout où interviennent les quatre causes : Causée ad invirern sunt causse, in diverso génère, il y a une priorité mutuelle entre la matière qui reçoit la forme et la forme qui détermine la matière, et aussi entre la fin qui attire l’agent et l’agent qui réalise ou obtient la lin. Selon ce principe, dans l’ordre de causalité matériel ! * et dispesilive, la disposition ultime précède la forme, mais elle la suit, comme sa propriété, dans l’ordre de causalité formelle. Ainsi dans l’embryon humain, l’ultime disposition à l’âme humaine la précède et la suit à des points de vue divers ; on encore, c’est un exemple plus sensible, l’air n’entrerait pas si la fenêtre ne s’ouvrait pas, mais la fenêtre ne s’ouvrirait p.is, , i l’air n’entrait pas. Il n’y a pas là contradiction ! ni cercle vtcleui la priorité mutuelle est affirmée à ites points de vue

différents, in dlVUtO ijrncrr, rrmsir ad innirrm sunt CaUMte. Cf. Aristote. Mitaph., t. V, C Il, connu, di saint Thomas, lect. 2.