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TÉMOIGNAGE (FAUX)


un serment proprement religieux et un serment simplement laïc. L’emploi intentionnel de l’une ou l’autre formule, venant confirmer une déposition mensongère devant le tribunal, entraîne évidemment des effets différents en ce qui regarde la gravité spécifique du faux témoignage. Mais, dans les deux cas. il s’agira de faux témoignage, dont le premier sera théologiquement un faux serment, tandis que le second, appelé couramment faux serment, ne sera pour le théologien qu’un témoignage judiciaire d’une gravité particulière en tant que mensonge.

II. Malice du faux témoignage.

Pour bien juger de la moralité du faux témoignage, il ne suffit pas de s’appuyer sur la Bible, mais il faut encore tenir compte des éléments que l’analyse nous a fait découvrir dans ce péché.

1° Les textes scripturaires, en effet, un excepté (Deut., xix, 18-21), caractérisent sa gravité d’une manière générale, comme étant un acte odieux à Dieu, Prov., vi, 19, surtout dommageable au prochain : « C’est une massue, une épée, une flèche aiguë que l’homme qui porte faux témoignage contre son prochain », Prov., xxv, 18, et « qui sera puni ». Prov., xix, 5 ; xxi, 28. Le Nouveau Testament se contente de rapporter le huitième précepte du décalogue, par exemple Matth., xix, 18 ; Luc, xviii, 20 ; Rom., xiii, 19. Seul un texte du Deutéronome attache de l’importance à la déposition judiciaire et condamne le faux témoin à la peine du talion : « Lorsqu’un témoin à charge se lève contre quelqu’un pour l’accuser d’un crime, les deux hommes en contestation se présenteront devant Jahvé en présence des prêtres et des juges, alors en fonction. Les juges s’informeront avec soin, et si le témoin se trouve être un faux témoin qui a fait contre son frère une déposition mensongère, vous lui infligerez ce qu’il avait dessein de faire subir à son frère, et ainsi tu feras disparaître le mal du milieu de toi. Les autres l’apprendront, craindront, et l’on ne commettra plus une aussi mauvaise action au milieu de toi. Tu seras sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied. » Deut., xix, 18-21. On remarquera aussi qu’aucun des textes, ni ceux qui mettent en garde contre ce crime, ni ceux qui relatent les faits de faux témoignage commis en justice contre Nabot ii, III Reg., xxi, 10, contre Suzanne, Dan., xiii, contre Jésus, Matth., xxvi, 59-61, et contre Etienne, Act., vi, 13, ne font la moindre allusion à un serment corroborant la déposition mensongère.

2° Reprenons donc les éléments découverts par l’analyse du concept traditionnel du faux témoignage, pour en marquer clairement la multiple malice. Nous n’avons qu’à suivre la doctrine de Saint Thomas. Falsum (estimonium habet Iriptirem deformilalem : uno modo ex perjurio, quia testes non ndmilluntur nisi jurait, et e.r hoe. semper est mortule ; alio modo ex violât ione justili.r, et hoc modo est peceatum mortnle in suo génère, sicut et quælibet injustitia. Et ideo in prscreplo dccalogi sub hnc forma inierdicitur falsum testimonium, cum dicitur (Exod., xx, 16) : t Non laquer is contra proximum luum falsum testimonium » : non enim contra aliquem factt qui riiiii ah injuria facienda impedit, srd solum qui ei suam justitiam tollil. Tertio modo ex ipsa falsitede, secundum quod omne mendaclum est peceatum ; ri ex hoc non habet falsum testimonium quod semper stt peceatum mortale. II*- II", q. i.xx. a. 1. Il peut donc y.ivnir dans le faux témoignage trois malices spécifiques, mais de gravite différente : une malice contre la religion, une autre contre la |U8tlce, une troisième contre la vérité. Les Décrétâtes disent la même chose en ces termes : Fabtidicut testii tribut personi » est obnoxius : primum f)eo cujus /irirsenliam lunlrnuul ; unir fudici rpiem menliendt) fallit ; postremo tnnncenit

quem falso testimonio lœdit. L. V, tit. xx, De crimine falsi, c. 1. Étudions-en les malices selon saint Thomas, mais dans l’ordre inverse.

1. Dans son objet le faux témoignage est d’abord un mensonge, dont il revêt essentiellement la moralité, modifiée toutefois par les fins que poursuit le faux témoin : il veut tromper un juge, pour définitivement rendre service à quelqu’un ou nuire à un autre. Ce sont là deux circonstances dont la première peut aggraver le mensonge et la seconde le fera généralement entrer sur le terrain de la justice commutalive.

Le mensonge n’est pas de sa nature péché mortel, comme le fait remarquer saint Thomas : vouloir tromper quelqu’un ou l’induire en erreur peut n’être que véniel. Mais le mensonge devant le tribunal a comme fin première de tromper un personnage officiel, qui représente la société et, en raison du bien public, a droit à la vérité de la part des témoins ; en d’autres termes le faux témoin essaie de tromper l’autorité légitime. En conséquence, à cet égard le faux témoignage n’est pas seulement la violation de la vérité, mais du droit à la vérité. Cette circonstance est-elle toujours notablement aggravante en sorte que le mensonge puisse devenir un péché mortel ? Saint Thomas ne l’exclut pas, et en cas particulier il serait bien difficile de le définir. Que si l’autorité judiciaire est incompétente et n’a pas droit à la vérité, par exemple dans une cause ecclésiastique appelée par un tribunal civil, le mensonge d’un témoin n’en resterait pas moins mensonge ; le témoin aurait d’ailleurs à sa disposition d’autres moyens pour cacher la vérité non due. surtout le refus de déposer.

Ce sont les fins spéciales du témoin qui affectent spécifiquement la moralité de son action mensongère. Or, comme nous l’avons vii, le mensonge sera rarement simple mensonge officieux sans répercussion injuste sur les intérêts légitimes du prochain ; souvent il sera pernicieux.

Supposons-le purement officieux ; ne sera-t-il, de ce fait, que véniel, parce que le témoin aura seulement voulu sauver l’accusé qu’il sait coupable ? Nous ne le croyons pas ; car, en justice, l’acquittement d’un coupable, si favorable qu’il soit en apparence ou dans la réalité pour l’accusé, a de fâcheuses conséquences pour la société et pour le bien commun. C’est probablement ce que saint Thomas a voulu dire quand il parle de gravité mortelle possible pour le mensonge comme tel, abstraction faite de l’injustice et du faux serment. La société a intérêt à ce que les coupables soient découverts et punis et la justice légale, plus encore que la vérité, exige qu’on ne les sauve pas du déshonneur et du châtiment au moyen de mensonges. l’n témoin ne saurait donc jamais s’excuser en disant : sans doute j’ai menti en procurant à mon ami un faux alibi, mais je n’avais que cette ressource pour le défendre et le sauver.

Il en serait autrement si le témoin mentait pour sauver un innocent qui va être condamné par suite de faux témoignages portés contre lui. Saint Thomas (ibid., ad 2um) concède que le mensonge comme tel n’est que véniel, mais qu’il reste mortel en raison du faux serment.

2. Ordinairement, le faux témoignage est un mensonge pernicieux et devient par le fait même une Injustice, directe ou indirecte selon les cas. L’injustice est directe si la déposition mensongère a eu pour tin et pour effet de faire condamner un Innocent ou si elle a concouru a mie sentence Judiciaire qui a dépossédé un juste propriétaire. En ces cas. l’injustice, et d’intention et surtout de fait, est à coup sur mortellement

grave en raison de la gravité du tort injuste Voulu et causé au prochain. Même si l’injustice est indirecte, la gravité n’en scia pas moins réelle, objectivement