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THOMISME. CAUSE DE LA GRACE


consentement. Tous les thomistes, même les plus rigides, s’accordent sur ce point, et disent avec Alvarez, De auxiliis.l. III, disp. LXXX : Auxilium omne quod respeclu unius actus est sufficiens, potest esse simul eliam efficax in ordine ad alium (minus perjectum), ad quem efficiendum, per absolidum dioinæ providentiæ decrelum ordinatur, ila ut simpliciter sil sufficiens et efficax secundum quid. De même, Gonet, Clypeus, De voluntate Dei, disp. IV, n. 147.

Tout acte salutaire, même facile, requiert une grâce de soi et infailliblement efficace vis-à-vis de lui ; il est en effet un bien réalisé hic et nunc et il suppose que, de toute éternité, Dieu l’a efficacement voulu de volonté conséquente. Nihil fit hic et nunc nisi quod Deus efficaciler voluit (si agitur de bono) aul permisit (si agitur de malo). Cf. N. del Prado, De gratia, 1907, t. iii, p. 423. Et, comme le dit Bossuet, Traité du libre arbitre, c. viii, on ne peut refuser à Dieu la puissance d’actualiser notre liberté, de produire en nous et avec nous notre détermination libre et salutaire, sans laquelle le mérite n’existerait pas.

3. Résister à la grâce suffisante est un mal qui ne vient que de nous, de notre défectibilité et de notre déficience. Au contraire ne pas résister à la grâce suffisante est un bien, qui ne peut venir uniquement de nous, mais qui vient de Dieu source de tout bien, comme de sa cause première. De plus c’est un bien réalisé hic et nunc, ce qui suppose que Dieu, de toute éternité, l’a efficacement voulu.

Gomme le dit Billuart : Non diffitemur, imo pro certo tenemus, quod, ut homo gratise sufficienti non desit, eique consentiat, requiritur gratia efficax ; sed, quod bene averte, ut illi desit, ut illi résistai, ut peccel, non requiritur gratia efficax, sed sufficit defectiva ejus voluntas ; et quia illa resistentia, istud peccatum prsecedit natura et ordine privationem gratise efficacis, ideo verum est dicere hominem privari gratia efficaci, quia peccando sufficienti résistif, non vero peccare, quia privatur gratia efficaci. De gratia, diss. V, a. 4.

4. La grâce efficace nous est offerte dans la grâce suffisante comme le fruit dans la fleur, comme l’acte dans la puissance ; mais, si l’on résiste à la grâce suffisante, on mérite d’être privé de la grâce efficace. La résistance tombe sur la grâce suffisante, comme la grêle sur un arbre en fleur qui promettait beaucoup de fruits. Cf. Lemos, Panoplia gratise, t. IV, tr. iii, c. vi, n. 78.

5. IJ n’est pas surprenant qu’il reste ici un grand mystère., c’est celui de l’intime conciliation de la volonté salvifique universelle et de la prédilection divine à l’égard des élus ; en d’autres termes c’est celui de l’intime conciliation de l’infinie justice, de l’infinie miséricorde et de la souveraine liberté ; or, cette conciliation ne peut se faire que dans l’éminence de la Déité ou de la vie intime de Dieu qui reste cachée pour nous, tant que nous n’avons pas reçu la vision béatifîque. Comme le disait saint Prosper en une proposition conservée par le concile de Quiersy : Quod quidam salvantur, salvantis est donum ; quod autem quidam pereunl, pereuntium est merilum. Denz.-Bannw., n. 31 8. C’est ce que dit le sens chrétien, lorsque, de deux pécheurs également mal disposés, l’un se convertit plutôt que l’autre ; c’est, dit-on, l’effet d’une miséricorde spéciale de Dieu à l’égard de celui-ci plutôt que de celui-là. Tout ce qu’il y a en nous de réel et de bon vient de Dieu, seul le mal ne peut venir de lui.

Tels sont les principes qui commandent la doctrine thomiste de l’efficacité de la grâce, laquelle se réclame de saini Augustin et de saint Paul.

La cause principale de la grâce.

D’après ce qui

précède, cette cause ne peut être que Dieu, considéré dans sa vie intime, puisque la grâce est une participation de la nature divine. Comme seul le feu peut ignifier, Dieu seul peut déifier. Q. cxii, a. 1.

La grâce n’est pas créée de rien, ni concréée, car elle n’est pas une réalité subsistante ; elle suppose un sujet dont elle dépend dans son devenir et dans son être : l’âme même, dont elle est un accident. Cependant, à titre d’accident essentiellement surnaturel et non pas naturel, ni acquis, elle est tirée de la puissance obédientielle de l’âme. Cette puissance obédientielle est l’aptitude de l’âme à recevoir tout ce que Dieu voudra lui donner, et la puissance divine n’est limitée que par la contradiction. Aussi l’âme a-t-elle une puissance obédientielle à recevoir de Dieu tout ce qui ne répugne pas, non seulement la grâce et la gloire, mais l’union hypostatique, et un degré toujours plus élevé de gloire, car, de puissance absolue, Dieu peut toujours augmenter en nous la grâce et l’intensité de la lumière de gloire ; à ce dernier point de vue la puissance obédien tielle ne peut être comblée ou actualisée au point de n’être plus actualisablc. Cette puissance obédientielle est formellement passive, puisque c’est l’âme même en tant qu’elle est apte à recevoir un don supérieur. Cependant la puissance obédientielle peut être matériellement active si elle est dans une faculté active comme la volonté ; telle est l’aptitude de la volonté à recevoir la charité infuse.

Cette notion thomiste de la puissance obédientielle, notablement différente de la conception scotiste et de l’idée suarézienne de la puissance obédientielle active, se trouve dans un grand nombre de textes de saint Thomas réunis par ses commentateurs dans la question qui nous occupe.

Selon le cours ordinaire de la providence, la production de la grâce requiert chez l’adulte conscient une disposition, qui est un mouvement du libre arbitre vers Dieu, ibid., a. 2, selon la parole de l’Écriture : prseparate corda vestraDomino. IReg., vii, 3. Dieu meut en effet les êtres conscients et libres conformément à leur nature. Mais, tandis qu’un acte bon répété engendre une vertu acquise, la disposition dont nous parlons ne peut engendrer la grâce, qui est un habitus infus.

A l’homme qui, avec la grâce actuelle, fait ce qu’il peut pour se préparer à la justification, la grâce habituelle est donnée infailliblement, non pas en tant que cette préparation procède de notre libre arbitre, mais en tant qu’elle provient de Dieu, qui meut efficacement et dont l’intention efficace ne peut être frustrée. Unde, dit saint Thomas, si ex inlentione Dei moventis est quod homo cujus cor moust, gratiam consequatur, infallibiliter ipsam consequetur. Ibid., a. 3.

Suivant que l’homme se dispose plus ou moins bien, il reçoit la grâce à un degré plus ou moins élevé ; mais la cause première de sa disposition plus ou moins parfaite est Dieu, qui distribue ses dons plus ou moins abondamment, comme il le veut, pour qu’il y ait divers degrés de grâce et de charité dans l’Église, corps mystique du Christ. Ibid., a. 4.

Personne ne peut, sans une révélation spéciale, avoir la certitude absolue d’être en état de grâce, c’est-à-dire d’une certitude qui exclut toute crainte d’erreur ; on ne peut en avoir qu’une certitude relative, dite morale et conjecturale. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Je ne me juge pas moi-même ; je n’ai conscience d’aucun péché mortel, mais il ne s’ensuit pas que je sois justifié ; celui qui me juge, c’est le Seigneur. » I Cor., iv, 4. On peut en effet toujours craindre d’oublier quelque faute cachée, de n’avoir pas eu une contrition suffisante des péchés avoués, de confondre l’amour de charité avec un amour naturel qui lui ressemble. De plus Dieu, auteur de la grâce, dépasse notre connaissance naturelle et, sans révélation spéciale, on ne peut connaître avec une vraie certitude, s’il habite encore en nous ou s’il s’est retiré. Mais cependant il y a des signes qui permettent de conjecturer l’état de grâce ;