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THOMISME. GRACE SUFFISANTE ET EFFICACE


De plus la doctrine thomiste de l’efficacité intrinsèque de la grâce dite efficace, distincte de la grâce suffisante, dérive immédiatement de la distinction entre la volonté divine antécédente et la volonté divine conséquente, telle qu’elle a été formulée par saint Thomas, I », q. xix, a. 6, ad l om, et que nous l’avons exposée plus haut, col. 872 sq., en parlant de la volonté de Dieu. La volonté antécédente porte sur le bien pris absolument et non pas en telles circonstances déterminées, par exemple sur le salut de tous les hommes, en tant qu’il est bon que tout homme soit sauvé ; de même pour le navigateur il est bon de conserver toutes les marchandises qu’il transporte. La volonté conséquente perte sur le bien à réaliser hic et mine, et le bien ne se réalise que hic et nunc ; ainsi le navigateur qui voudrait (au conditionnel) conserver toutes les marchandises qu’il transporte, de fait, pendant une tempête, veut hic et nunc les jeter à la mer pour sauver la vie des voyageurs. Proportionnellement ou analogiquement, Dieu, qui veut de volonté antécédente ou conditionnelle le salut de tous les hommes, permet cependant, pour manifester sa justice, l’impénitence finale de certains pécheurs comme Judas, tandis qu’il veut de volonté conséquente et efficace la persévérance finale hic et nunc d’autres hommes, poi’r manifester sa miséricorde.

De la volonté divine antécédente ou salvifique universelle dérivent donc les grâces suffisantes qui renflent l’accomplissement des préceptes réellement possible, sans les taire pourtant accomplir effectivement. De la volonté divine conséquente relative à nos actes salutaires dérive au contraire la grâce intrinsèquement efficace, qui nous fait accomplir effectivement les préceptes.

Il faut remarquer, pour voir le fondement suprême de cette doctrine, que, comme il est dit Ps., cxxxiv, 6 : In cselo et in terra omnia qmecumque voluit Deus, fecit. Tout ce que Dieu veut de volonté conséquente comme devant arriver Me et nunc, s’accomplit toujours. C’est ce que rappelle, pour finir les controverses soulevées par Gottschalck, le concile de Tuzey, en 860 ; cf. ici t. xii, col. 2929 ; P. /, ., t. cxxvi, col. 1 23 ; le même concile ajoute : Nihil enim in ceelo vel in terra fit, nisi quod ipse Deus aut propilius jacit, aut fieri juste pcrmittil. Il suit manifestement de là : 1. qu’aucun bien n’arrive de fait hic et nunc, en cet homme plutôt qu’en tel autre, sans que Dieu ne l’ait efficacement voulu de toute éternité, et 2. qu’aucun mal n’arrive hic et nunc en cet homme plutôt qu’en tel autre, sans que Dieu ne l’ait permis. Le pécheur, à l’instant précis où il pèche, peut éviter le péché, et de toute éternité Dieu a voulu qu’il puisse réellement l’éviter par la grâce suffisante ; mais Dieu n’a pas voulu efficacement que ce pécheur, par exemple Judas, en cet instant évite de fait ce péché ; et si Dieu l’avait efficacement voulu, ce pécheur non seulement pourrait éviter cette faine, mais il l’éviterait de fait.

Tels sont les principes certains et généralement . sur lesquels repose la doctrine thomiste de la distinct ion entre la grâce suffisante, qui donne le pouvoir de bien a^ir, et la grâce de soi efficace, qui, loin de violenter notre liberté, l’actualise ou nous porte fortitrr et tuaviler à donner librement le consentement salutaire. Nous avons exposé plus longuement ailleurs ce fondement suprême de la distinction des deux grâces, dans un livre récent La prédestination des saints et la grâce, 1936, p. 2.07 264 ; 341 350 ; 141 H19 ; voir aussi l.e fondement tupréme de la diiiinetion des deux grâces suffisante et efficace, dans lieu, thom., niai juin 1937 ; Le dilemme : Dieu déterminant ou déterminé, ibid., 1928, p. 193-210.

te doctrine se résume en la parole de saint Paul, I Cor., iv, 7 : Quid hobes quod non accepisti ? Qu’as lu

que tu ne l’aies reçu ? Certainement ce qu’il y a de meilleur dans les cœurs des justes qui tendent à la vie éternelle, vient de Dieu. Or, ce qu’il y a de meilleur dans leur cœur, c’est la détermination libre de leurs actes salutaires et méritoires. Il est manifeste que cette détermination libre, sans laquelle il n’y a pas de mérite, est plus que la proposition du précepte, que la pieuse pensée ou la pieuse velléité qui incline au bon consentement, car tout cela peut se trouver en celui qui ne donne pas ce bon consentement. Il y a manifestement plus en celui qui accomplit de fait le précepte, qu’en celui qui, pouvant réellement l’accomplir, ne l’accomplit pas, et ce « plus » ne peut venir uniquement de nous, mais doit venir de Dieu source de tout bien, et cause première de tout acte bon.

C’est ce que dit saint Thomas, I a, q. xx, a. 4 : Cum amor Dei sit causa bonitatis rerum, non effet aliquid alio melius, si Deus non vellel uni majus bonum quam alteri. Nul ne serait meilleur qu’un autre, s’il n’était plus aimé et plus aidé par Dieu. Si du reste cette détermination libre, sans laquelle il n’y aurait pas de mérite, ne venait pas de Dieu, il ne pourrait la connaître de toute éternité dans sa causalité divine ; dès lors sa prescience des futuribles et des futurs serait dépendante ou passive à l’égard de cette détermination qui ne viendrait pas de lui.

C’est pourquoi les thomistes n’ont jamais pu admettre la théorie moliniste de « la science moyenne » ni ces deux propositions de Molina : Auxilio œquali fieri potest ut unus vocatorum convertatur, alius non. — Auxilio gralise minori potest quis adjutus resurgere, quando alius majori auxilio non resurgit, durusque persévérât, cf. Concordia, éd. Paris, 1876, p. 51, 565, 617 sq.

D’après l’enseignement commun des thomistes, des augustiniens et des scotistes, il faut, comme l’a formulé Bossuet, « admettre deux grâces, dont l’une (la suffisante) laisse notre volonté sans excuse devant Dieu, et dont l’autre (l’efficace) ne lui permet pas de se glorifier en elle-même ».

Pour bien entendre cette doctrine il faut ajouter les cinq remarques suivantes.

1. La grâce suffisante, qui donne le pouvoir d’agir, sans nous faire encore poser librement l’acte salutaire, est multiple ; elle est soit extérieure, comme la prédication, les miracles qui confirment la parole de Dieu ; soit intérieure, comme les vertus infuses, les sept dons du Saint-Esprit, ou encore la grâce actuelle qui suscite en nous une bonne pensée ou un bon mouvement oe volonté antérieur au consentement salutaire. Toutes ces grâces donnent à des degrés divers le pouvoir de bien agir, les dernières donnent le pouvoir prochain. Elles diffèrent intrinsèquement de la grâce de soi efficace, qui, elle, en actualisant notre liberté au lieu de la détruire, nous meut à poser librement l’acte salutaire. Entre ces deux grâces suffisante et efficace, la différence est notable ; on peut accorder le plus possible à la grâce suffisante dans l’ordre du pouvoir le plus prochain) le plus immédiat, le plus prêt à l’action (potentia proxima et exprdita), ce pouvoir d’agir ne sera jamais l’acte même, l’agir lui-même. Affirmer le contraire serait confondre la puissance <t l’acte. Dire que la grâce qui donne le pouvoir réel île bien agir (antérieur à l’acte kll-méme) ne suffit pas dans son ordre, c’est dire que l’homme qui doit est aveugle, c’est lui refuser la puissance réelle de "*oir du tait qu’il n’a pas l’acte de la vision. Cf. E. Hugon, De gratia, q. iv, n. ix.

2. Il faut noter aussi que la BTàie i< t m lie, suit ; pour un acte parfait comme la contrition, est effli ici pour un acte moins parfait comme l’attril ion ; ( Ile produit au moins de fait une lionne pensée et souvent un bon mouvement de volonté, qui dispose au plein