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THOMISME. GRACE SUFFISANTE ET EFFICACE


rismes, mais de la grâce sanctifiante et qu’elle appartient au plein développement de celle-ci, comme le prélude normal de la vie du ciel.

Saint Thomas a déjà indiqué plus haut la distinction entre la grâce habituelle permanente, principe radical des vertus infuses et des sept dons, et la grâce actuelle transitoire qui porte aux actes surnaturels. Cette distinction repose sur le principe : l’agir suppose l’être, operari sequitur esse, et modus operandi modum essendi.

Le saint Docteur insiste, ibid., a. 2, sur la distinction entre la grâce actuelle opérante et la grâce actuelle coopérante. Sous la seconde la volonté se meut elle-même à son acte, en vertu d’un acte antérieur, par exemple, du fait qu’elle veut une fin, elle se porte au choix des moyens, comme lorsque, voyant que l’heure de notre prière quotidienne arrive, nous nous mettons à prier. Sous la grâce actuelle opérante au contraire, la volonté ne se meut pas elle-même à son acte en vertu d’un acte antérieur, mais elle est mue par une inspiration spéciale, notamment par celle des dons du Saint-Esprit, comme lorsque, au milieu d’un travail absorbant, nous recevons l’inspiration imprévue de prier, et que sous cette inspiration docilement reçue nous prions librement. Dans ce dernier cas l’acte est libre, mais il n’est pas le fruit d’une délibération discursive ; comme il arrive dans la contemplation infuse et l’amour infus, l’acte lui-même est dit infus, car nous ne pouvons nous y porter de nous-mêmes avec une grâce coopérante, il est le fruit d’une grâce opérante ou inspiration spéciale.

Parmi les divisions de la grâce, celle qui a provoqué le plus de discussions est celle de la grâce suffisante et de la grâce efficace ; nous exposerons sur ce point la doctrine thomiste classique.

Grâce suffisante et grâce efficace.

La doctrine

thomiste de la distinction entre la grâce suffisante, qui peut rester stérile, et la grâce efficace, qui fait accomplir l’acte salutaire, soutient que la grâce efficace, ou suivie de son effet, est intrinsèquement efficace parce que Dieu le veut, et non pas seulement extrinsèquement efficace parce que la créature libre veut y consentir ; en d’autres termes c’est la grâce efficace qui suscite le consentement de notre volonté, tandis que la grâce suffisante donne seulement le pouvoir d’agir, sans nous faire poser l’acte lui-même.

Notons les principaux textes de saint Thomas où est exprimée cette doctrine, nous verrons ensuite sur quels textes scripturaires elle repose, qu’elle dérive immédiatement de la distinction entre la volonté divine antécédente et la volonté divine conséquente, telle que l’a formulée le saint Docteur, et qu’elle est pleinement conforme à la distinction de l’acte et de la puissance.

Saint Thomas distingue entre grâce suffisante et grâce efficace, lorsqu’il dit : In Ep. I ad Tim., ii, 6 : Christus est propitialio pro peccalis nostris, pro aliquibus efficaciter, pro omnibus sufficienter, quia pretium sanguinis ejus est sufficiens ad salutem omnium, sed non habet efficaciam nisi in electis, propter impedimentum. A cet impedimentum Dieu remédie souvent, pas toujours. C’est là le mystère. Il dit encore, I », q. xxiii, a. 5, ad 3um : Deus nulli subtrahit debitum ; et, I » -II B, q. evi, a. 2, ad 2um : Lex nova, quantum est de se, sufficiens auxilium dut ad non peccandum, et, ibid., a. 1 et 2 : Lex nova est principaliter lex indita in corde, et justifical. Saint Thomas précise encore lorsqu’il dit In Ep. ad Ephes., iii, 7, lect. 3 : Auxilium Dei est duplex. Union quidem ipsa facultas exequendi, aliud ipsa operalio, sive actualitas. Facultatem autem dat Deus infundendo virtutem et graliam per quas efficitur homo potens et aplus ad operandum. Sed ipsam operalioncm conferl in quantum in nobis interius operatur movendo et insligando ad bonum… Operalionem Deus efficit, in

quantum virtus ejus operatur in nobis velle et perficere pro bona voluntate ; voir aussi I » -II", q. cix.a. t, 2, 9, 10 ; q. cxiii, a. 7, 10.

A tous les hommes est donné un secours suffisant pour qu’ils puissent accomplir les préceptes divins qu’ils connaissent, car Dieu ne commande pas l’impossible ; et quant au secours efficace par lequel ils les accomplissent effectivement, « s’il est donné à ce pécheur, c’est par miséricorde, s’il est refusé à tel autre, c’est par justice ». II » -II B, q. ii, a. 5, ad l nm. Si en effet l’homme résiste de fait à la grâce qui lui donne le pouvoir de bien agir, il mérite d’être privé de celle qui le ferait bien agir effectivement. Cf. I » -II", q. lxxix, a. 2 : Deus proprio judicio lumen gratiæ non immittil illis in quibus obstaculum invenil.

Cette distinction de la grâce suffisante et de l’efficace repose selon les thomistes, sur les textes scripturaires suivants. L’Écriture parle souvent de la grâce qui ne produit pas son effet par suite de la résistance de l’homme. On lit dans les Proverbes, i, 24 : « J’appelle et vous résistez » ; de même, Isaïe, lxv, 2 ; dans Matth., xxiii, 37, Jésus dit : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! » Etienne dit aux Juifs avant de mourir, Act., vii, 51 : « Vous vous opposez toujours au Saint-Esprit » ; cf. II Cor., vi, 1. Il y a donc des grâces qui restent stériles par suite de noire résistance. Elles sont pourtant suffisantes, quoi qu’en aient dit les jansénistes, car par elles l’accomplissement des préceptes divins est réellement possible, sans quoi Dieu commanderait l’impossible, contrairement à ce qui est dit I Tim., ii, 4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité…, car Jésus s’est donné lui-même en rançon pour tous. » C’est dire équivalemment ce qu’affirme le concile de Trente, dans les termes même de saint Augustin (De nat. et gratia, c. xliii, n. 50) : Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet et facere quod possis et posiulare quod non possis. Sess. vi, c. xi, Denz.-Bannw., n. 804. La grâce à laquelle le pécheur résiste et qu’il rend stérile était vraiment suffisante, en ce sens qu’elle rendait l’accomplissement du précepte ou du devoir, non pas effectif, mais réellement possible, elle donnait le pouvoir réel et souvent le pouvoir prochain de bien consentir et de bien agir.

Par ailleurs l’Écriture parle souvent de la grâce efficace qui produit son effet, l’acte salutaire. C’est particulièrement clair dans les textes scripturaires cités par le IIe concile d’Orange contre les semipélagiens : Ez., xxxvi, 27 : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous suiviez mes ordonnances et que vous observiez et pratiquiez mes lois » ; Eccli., xxxiii, 13 : « Comme l’argile est dans la main du potier et qu’il en dispose selon son bon plaisir, ainsi les hommes sont dans la main de celui qui les a faits » ; cf. Esth., xiii, 9 ; xiv, 13. De même Jésus dit, Joa., x, 27 : « Mes brebis ne périront jamais, personne ne les ravira de ma main ». et saint Paul ajoute, Phil., ii, 13 : « C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire selon son bon plaisir. » — D’où ces paroles du IIe concile d’Orange : Quolies bona agimus, Deus in nobis atque nobiscum ut operemur, operatur. Denz.-Bannw., n. 182.

Il semble bien, d’après la façon dont s’exprime l’Écriture et ce concile que la grâce efficace, dont il est parlé en ces textes, est efficace par elle-même ou intrinsèquement, c’est-à-dire parce que Dieu veut qu’elle le soit, et non pas seulement parce qu’il a prévu que nous y consentirions sans résistance.