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THOMISME. LA GRACE

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C’est une participation non pas virtuelle et transitoire (comme la grâce actuelle qui dispose à la justification), mais formelle et permanente. C’est enfin une participation non pas univoque, mais analogique, car la nature divine es 1, en soi absolument indépendante et infinie, tandis que la grâce est essentiellement dépendante de Dieu et finie ou limitée ; de plus elle n’est qu’un accident en notre âme, non pas une substance, et jamais elle ne pourra nous faire parvenir à une connaissance absolument compréhensive, mais seulement intuitive de Dieu.

C’est pourtant une participation analogique de la Déité telle qu’elle est en soi, et non pas seulement telle qu’elle est conçue par nous, puisque c’est le principe radical qui nous dispose à voir la Déité immédiatement. De la grâce habituelle consommée dérive en effet dans l’intelligence des bienheureux la lumière de gloire qui leur fait voir immédiatement l’essence divine, sicuti est, telle qu’elle est en soi.

Il laut remarquer attentivement que la grâce sanctifiante est ainsi une participation à la Déité, en tant que celle-ci est supérieure à l’être, à la vie, à l’intelligence, à toutes les perfections naturellement participâmes et naturellement connaissables, que la Déité contient dans son éminence formaliter eminenler. Deilas ut sic est super ens et unum. super esse, vivere, intelligere. La pierre participe à l’être et ressemble analogiquement à Dieu comme être ; la plante partici pe à la vie, et ressemble analogiquement à Dieu comme vivant ; notre âme par sa nature même participe à l’intellcctualité et ressemble analogiquement à Dieu comme intelligent, ou comme nature intellectuelle. Seule la grâce sanctifiante participe à la Déité comme Déité, à la nature divine comme divine, à la vie intime de Dieu comme Dieu. En d’autres termes, la Déité comme telle, Deitas sub ratione Deitatis, n’est pas participable naturellement, ni par suite naturellement connaissable. Seule la foi infuse peut ici-bas nous la faire connaître positivement et obscurément, et seule la lumière de gloire peut nous la faire voir.

Nous sommes ici dans l’ordre de la vérité et de la vie essentiellement surnaturelles, qui dépasse les démonstrations pour et contre de la raison. Autrement dit : les adversaires de la foi ne peuvent démontrer que la grâce sanctifiante telle que la conçoit l’Église est impossible. Mais sa possibilité n’est pas non plus rigoureusement démontrable par la seule raison, aux yeux des thomistes, car elle est d’ordre essentiellement surnaturel. Cependant cette possibilité intrinsèque de la grâce se manifeste par les arguments de convenance très profonds que nous venons de rappeler ; mais on peut toujours les approfondir ; ils ne seront jamais dm démonstrations rigoureuses d’ordre purement rationnel ou philosophique, car ils dépassant ici ordre, ils sont au dessus de la sphère du démontrable. La possibilité Intrinsèque il l’existence de la sont affirmées avec certitude, non par la raison, miiis par la foi Cela se résume en cette formule généralement reçue : Possibilitas intrinseca gratiæ non proprie probatur, nec improbatur, sed suadttur et sala flde ftrmissime tenctur. Nous avons exposé longuement ailleurs cette doctrine : La possibilité fie la grâce est-elle rigoureusement démontrable ?, dans Revue thomiste, mari 1936. Voir.-nissi l’onvrage Le sens du mi/stère, Caris. 19 37. p. 224-233.

Il résulte de ce qui précède que la grâce sanctifiante est surnaturelle par son essence même, et qu’elle dépasse toutes les natwes créées et créables. La nature angélique est relativement surnaturelle par rapport à la nôtre, mais elle ne l’est pas essentiellement. Le miracle n’est surnaturel que pnr le mode de sa production et non pas par la nature de l’effet produit ; par exemple la résurrection rend surnaturellement au ca davre la vie naturelle (végétative et sensitive), elle ne lui donne pas une vie surnaturelle. La grâce au contraire est surnaturelle par son essence même, ce qui fait dire à saint Thomas que le moindre degré de grâce sanctifiante vaut plus que toutes les natures créées prises ensemble, y compris les natures angéliques : Bonum gratiæ unius (hominis) majus est quam bonum naturæ totius universi, I a -II s, q. cxiii, a. 9, ad 2um ; et ailleurs : Gratia nihil aliud est quam quædam inchoatio gloriæ in nobis, IIMI*, q. xxiv, a. 3, ad 2um. Pour savoir tout le prix de la grâce, semen gloriæ, germe de la vie éternelle, il faudrait avoir joui de la vision béatifique.

Ainsi Dieu aime plus le juste, en qui il habite par la grâce, que toutes les créatures qui n’ont qu’une vie naturelle, comme le père aime plus ses enfants que sa maison, ses champs et ses troupeaux. De ce point de vue saint Paul nous dit que Dieu a tout fait pour les élus.

La distinction des deux ordres de la nature et de la grâce est ici beaucoup plus affirmée que chez Duns Scot, qui en fait une distinction contingente ; d’après lui, Dieu aurait pu, s’il l’avait voulu, nous donner la lumière de gloire comme une propriété de noire nature ; de ce point de vue, la grâce et la gloire seraient surnaturelles de fait seulement, non pas de droit, non pas par leur essence même. Les nominalistes ont dit aussi que la grâce habituelle n’est pas nécessairement surnaturelle dans son être même, dans sa réalité, mais qu’elle donne un droit moral à la vie éternelle, un peu comme le papier monnaie, bien qu’il ne soit que du papier, donne droit à telle somme d’argent ou d’or. Cette thèse nominaliste préparait celle de Luther d’après laquelle la grâce n’est que l’imputation morale ou l’attribution qui nous est faite des mérites du Christ. Saint Thomas avait au contraire profondément mis en relief la différence entre l’adoption humaine, qui n’enrichit pas l’âme de l’enfant adopté, et l’adoption divine, qui donne à l’adopté le germe de la vie éternelle.

II suit de ce qui précède que la grâce sanctifiante est distincte de la charité, car la charité est une vertu infuse, qui perfectionne une faculté, une puissance opérative, la volonté ; et, comme la vertu humaine acquise suppose la nature humaine, de même une vertu infuse suppose la nature élevée à la vie surnaturelle en vue d’une fin divine, et cette vie surnaturelle est donnée à l’âme par la grâce sanctifiante. En tout ordre, l’agir suppose l’être qui agit, et Dieu ne pourvoit pas moins a nos besoins dans l’ordre surnaturel que dans celui de la nature. Ibid.. :  ;. S. La grâce est donc reçue dans l’essence même de l’âme, tandis que la charité est reçue dans la volonté. Ibid., a. 4. Cette grâce consommée s’appelle la gloire, elle est le principe radical duquel dérive, dans l’intelligence, la lumière de gloire et, dans la volonté, la charité inamissible.

3° Divisions de la grâce. Q. cxi. — Les principales divisions de la grflee mentionnées et expliquées par saint Thomas sont les suivantes » La grâce sancti fiante, de laquelle dérivent les vertus infuses et les sept dons, est une vie nouvelle, qui nous unit à Dieu ; elle se distingue donc des grâces en quelque sorte extérieures dites grâces gratis datæ ou charismes, comme la prophétie et le don des miracles, qui fournissent seulement des signes de l’intervention divine, (".es signes par eux-mêmes ne sont pas une vie nouvelle qui unit à I)ieii, et même des hommes en état « le péché mortel ont pu les recevoir. Saint Thomas insiste beaucoup sur ce point que la grâce sanctifiante est bien plus excellente que les grvoes gratis daim. Il suit >ie l ; i que l.i conteraplatioa infuse, qui procède de la foi éclairée par les

Ions du Sîiint Esprit, est de l’ordre non pas des cha-