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THOMISME. LA GRACE


riellement, par un assentiment imparfait et pour un motif humain. Ainsi les hérétiques formels retiennent certains dogmes par jugement propre et volonté propre, après avoir rejeté les vérités qui leur déplaisent. Ce n’est plus là la foi infuse, c’est une foi humaine, qui rappelle la foi acquise des démons, ces derniers admettant les mystères surnaturels à cause de l’évidence des miracles qui confirment la révélation. La foi qui se fonde sur la seule évidence de ces signes est possible sans la grâce, mais non pas la foi qui se fonde formellement sur la véracité de Dieu auteur de la vie surnaturelle.

La grâce est donc nécessaire pour croire les vérités de foi à cause de l’autorité de Dieu révélateur et cette grâce ne manque à aucun adulte que par sa faute, car si l’adulte ne résistait pas à la voix de sa conscience et aux premières grâces prévenantes, il serait conduit jusqu’à celle de la foi. II » - II », q. ii, a. 5, ad l™ ».

L’homme en état de péché mortel, ou privé de la grâce sanctifiante et de la charité, peut faire certains actes moralement bons d’ordre naturel et, s’il conserve la foi et l’espérance infuses, il peut avec une grâce actuelle en faire les actes surnaturels.

Sans la grâce de la foi, l’homme déchu peut faire certains actes naturels moralement bons : honorer ses parents, payer ses dettes, etc. ; tous les actes des infidèles ne sont donc pas des péchés. La raison en est que l’inclination naturelle au bien moral existe encore en eux, bien qu’elle soit affaiblie. L’infidèle n’est pas immuablement fixé dans le mal. Pour accomplir ces actes ethice bonos, il a besoin cependant de la motion naturelle de Dieu, qui est gratuite, en ce sens seulement qu’elle est accordée à tel homme plutôt qu’à tel autre en qui Dieu permet plus de fautes. I » -II", q. cix, a. 2.

L’homme déchu ne peut par les seules forces de sa nature, sans la grâce qui guérit, aimer plus que soi et par dessus tout, d’un amour d’estime « affectivement efficace », Dieu auteur de sa nature et à plus forte raison Dieu auteur de la grâce. Ibid., a. 3.

Scot, Biel et Molina concèdent que, sans la grâce, l’homme ne peut aimer Dieu, auteur de la nature, d’un amour effectivement efficace, qui soit non seulement un ferme propos, mais l’exécution de celui-ci, ce qui implique l’accomplissement de toute la loi naturelle. Les thomistes tiennent que la grâce qui guérit, gratia sanans, est nécessaire pour arriver même à ce ferme propos, antérieur à son exécution. Saint Thomas dit, ibid., a. 3 : Ad diliyendum Deum naturaliter super omnia. in statu nutiiræ corruptæ, indiget homo auxilio gradée sanantis. La raison en est que, dans l’état de nature corrompue ou blessée, l’homme est incliné à son bien propre plus qu’à Dieu, tant qu’il n’est pas guéri par la grâce, in statu naturæ corruptæ, homo ab hoc (arnore Dei super omnia) déficit secundum appetitum voluntatis rationalis, quæ prapter corrnptionem naturæ sequitur bonum privatum nisi sunetur per gratiam Dei.

Il est clair en effet qu’une faculté blessée ou infirme ne peut exercer à l’égard de Dieu, auteur de la nature, le plus élevé des actes qu’elle produirait si elle était parfaitement saine. Cette faiblesse de la volonté de l’homme déchu consiste, selon les thomistes, en ce qu’elle est directement détournée de la fin dernière surnaturelle et, au moins indirectement, de la fin dernière naturelle. Tout péché contre la fin dernière surnaturelle est en effet Indirectement ((mire la loi naturelle, qui nous oblige d’obéir à Dieu quoi qu’il commande, soit dans l’ordre naturel, suit dans un ordre supérieur.

C’est pourquoi les thomistes tiennent généralement (outre Molina et ses disciples que, dans l’état de déchéance, l’homme a moins de fortes pour l’accomplis sement de la loi morale naturelle, qu’il n’en aurait eu dans l’état de pure nature. Dans cet état purement naturel en effet, il aurait eu une volonté, non pas détournée au moins indirectement de la fin dernière naturelle, mais une volonté capable soit de se porter vers cette fin, soit de s’en détourner. Cf. Billuart, De gratia, diss. II, a. 3.

D’après ce qui précède, on s’explique que, selon saint Thomas, q. cix, a. 4, l’homme déchu ne peut, sans la grâce qui guérit, accomplir toute la loi naturelle ; ce serait en effet l’exécution du ferme propos dont nous venons de parler, lequel n’est pas possible sans la grâce qui guérit.

Il suit de là que l’homme déchu et en état de péché mortel ne peut sans une grâce spéciale éviter tous les péchés mortels contre la loi naturelle et vaincre toutes les tentations. I » -II">, q. cix, a. 8.

Quant au juste, il peut avec les secours ordinaires de la grâce et sans privilège spécial, éviter chaque péché véniel, car si ceux-ci étaient inévitables ils ne seraient plus des péchés ; mais il ne peut longtemps les éviter tous, la raison ne pouvant être toujours vigilante pour réprimer tous les premiers mouvements désordonnés. Ibid.

L’homme déchu peut-il se préparer à la grâce sans le secours d’une grâce actuelle ? On sait que les semipélagiens répondirent affirmativement en soutenant que l’inilium salutis, le commencement de bonne volonté salutaire vient de notre nature et que la grâce nous est donnée à l’occasion de ce bon mouvement naturel. Ils furent condamnés par le IIe concile d’Orange, qui affirma la nécessité de la grâce actuelle prévenante pour se préparer à la conversion. Saint Thomas insiste sur ce point, ibid., a. 6, et q. cxii, a. 3, en rappelant la parole du Sauveur : « Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l’attire », Joa., vi, et celle de Jérémie : « Convertissez-nous, Seigneur, et nous serons convertis. » Lament., iv. La raison en est que, selon le principe de finalité, tout agent agit pour une fin proportionnée et que, par suite, la subordination des agents correspond à celle des fins. Or, la fin de la disposition à la grâce est surnaturelle. Cette disposition dépend donc d’un principe surnaturel, de Dieu auteur de la grâce. Des actes naturels n’ont aucune proportion avec le don surnaturel de la grâce et ne peuvent donc nous y disposer. Entre les deux ordres il y a une distance sans mesure.

Comment dès lors faut-il entendre l’axiome communément reçu : Facienti quod in se est, Deus non denegat gratiam ? Saint Thomas et ses commentateurs, quand leur fut connu le IIe concile d’Orange, crurent devoir l’entendre ainsi : « À celui qui fait ce qu’il peu ! avec le secours de la grâce actuelle, Dieu ne refuse pas la grâce habituelle » ; mais on ne saurait admettre que Dieu confère cette grâce actuelle parce que l’homme fait, par lui seul, un bon usage de sa volonté naturelle. I » -II a, q. cix, a. 6 ; q. cxii, a. 3. Saint Augustin dit en effet : Quare hune trahal Deus, et illum non trahat, noli judicare, si non vis errarc. In Joa., tr. xxvi. Il y a là une miséricorde spéciale, qui, par un jugement inscrut aMe de Dieu, est faite à ce pécheur plutôt qu’à tel autre. Ce jugement divin ne serait plus inscrutable si la grâce était donnée à cause de la bonne disposition naturelle. À la question : pourquoi Dit il attire l-il celui-ci plutôt que celui-là ? il faudrait simplement répondre : parce que celui ci par ses propres forces naturelles s’y est disposé et non pas l’autre. Cette explication supprimerait le mystère et perdrait de uc la distance sans mesure qui existe entre les deux ordres île la nature et de la grâce.

On sait que Molina et ses disciples entendent autrement l’axiome cité. Selon eux. à celui qui f « ll ( c qu’il peu ! par sel forces naturelles. Dieu (tonne la