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    1. THOMISME##


THOMISME. LA GRACE

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La loi.

Après avoir considéré les vertus et les

vices comme principes des actes humains, saint Thomas traite de Dieu en tant qu’il est cause des actes humains par la loi et par la grâce.

La loi est définie « une ordination ou prescription de la raison en vue du bien commun, portée et promulguée par celui qui doit veiller sur la communauté ». Q. xc, a. 4. Sa violation mérite une peine, pour que l’ordre violé soit rétabli. Q. xen, a. 2. Il y a plusieurs espèces de lois. La plus haute dont dérivent toutes les autres, est la loi éternelle, c’est l’ordination de la divine sagesse qui dirige tout : Ratio divinæ sapienlise. secundum quod est direcliva omnium actuum et motionum. Cf. q. xem, a. 1. Toute créature rationnelle en connaît une certaine irradiation, au moins les principes communs de la loi naturelle. Ibid., a. 2. — De la loi éternelle dérive d’abord en effet la loi naturelle : « Parlicipatio legis seltrnie in ralionali creatura » ; cette loi naturelle est imprimée dans nos facultés ordonnées et inclinées à leurs actes propres et à la fin voulue par l’auteur de notre nature. Ibid. Elle est donc immuable comme notre nature, qui exprime une idée divine. Le premier précepte de la loi naturelle est : « il faut faire le bien et éviter le mal » ; il s’agit du bien honnête, conforme à la droite raison ; de ce principe se déduisent les autres préceptes de la loi naturelle relatifs à la vie individuelle, à la vie familiale, à la vie sociale, au culte dû à Dieu. Q. xciv, a. 2.

Les lois positives divine et humaine présupposent la loi éternelle et la loi naturelle. Saint Thomas traite en détail de la loi de l’Ancien Testament et de celle du Nouveau ; il les compare en montrant que la loi nouvelle est d’abord inscrite dans nos âmes, avant de l’être sur le parchemin ; c’est la grâce elle-même et les vertus infuses ordonnées à leurs propres actes. Q. evi, a. 1 ; elle est plus parfaite que l’ancienne loi, elle la perfectionne, car plus intérieure, plus élevée ; elle est surtout une loi d’amour, car elle rappelle constamment la prééminence de la charité et des deux grands préceptes de l’amour de Dieu et du prochain. Q. cvn. Les lois humaines, portées par une autorité humaine pour le bien commun de la société, doivent être conformes à la loi naturelle et à la loi divine positive, q. xcv, a. 3 ; elles doivent êtres honnêtes, justes, possibles selon la nature et les coutumes de la région et du temps. Ibid. Les lois humaines justes obligent en conscience parce qu’elles dérivent de la loi éternelle ; les lois humaines injustes n’obligent pas en conscience, mais il convient de les observer lorsqu’on peut éviter ainsi un plus grand mal ; on cède alors quelque chose de son droit, sans céder sur son devoir. On ne doit pas obéir à une loi inférieure qui serait manifestement contraire à une loi plus élevée, surtout à une loi divine. Q. xevi, a. 4.

On vo : t combien cette doctrine de saint Thomas, en particulier sur l’immutabilité de la loi naturelle, diffère de celle de Duns Scot, qui a soutenu que seuls les préceptes relatifs à Dieu sont nécessaires, et que, si Dieu révoquait le précepte non occides, le meurtre d’un innocent ne serait pas un péché. De ce point de vue, la loi naturelle qui fixe les rapports des hommes entre eux ne se distingue plus de la loi positive. Occam va encore plus loin et dit que Dieu, qui est infiniment libre, aurait pu nous commander de le haïr. « C’est déshonorer Dieu, dira Leibniz ; pourquoi ne serait-il donc pas aussi bien le mauvais principe des manichéens, que le bon principe des orthodoxes ? » Théod., il, 176 sq. Cette doctrine nominaliste arrive à un positivisme juridique complet ; d’après elle aucun acte n’est intrinsèquement bon, et aucun n’est intrinsèquement mauvais. Cette doctrine se retrouve même chez Gerson ; pour lui, en dehors de l’amour de Dieu, il n’y a pas d’acte intrinsèquement bon, qui soit

par nature opposé à un acte intrinsèquement mauvais. Voir ici art. Gerson, t. v, col. 1322.

Saint Thomas maintient au contraire avec l’immutabilité de la nature humaine, celle du droit naturel, qui doit éclairer d’en haut toute législation digne de ce nom.

XIV. Traité de la grâce. — Pour souligner les principes qui éclairent le traité de la grâce dans la Somme théologique de sain ! Thomas, nous parlerons, selon l’ordre qu’il a choisi, de la nécessité de la grâce, de son essence, de sa division, de sa cause et de ses effets : la justification et le mérite.

1° Nécessité de la grâce. I » - !  ! ", q. cix. — Selon saint Thomas et ses commentateurs, l’homme déchu, sans une grâce spéciale, avec le seul concours naturel de Dieu, peut connaître certaines vérités naturelles, facilement accessibles ; ce concours naturel est pourtant spécial et gratuit, en ce sens qu’il est accordé à tel homme plutôt qu’à tel autre. Mais, sans une grâce spéciale surajoutée à la nature, il n’est pas moralement possible que l’homme déchu connaisse tout l’ensemble des vérités naturelles, ni parmi elles les plus difficiles. Pour atteindre ces dernières il faut de longues études, un ardent amour de la vérité, une bonne volonté persévérante, le calme des passions, ce qui suppose, dans l’état actuel, un secours supérieur de Dieu. A. 1.

Après la révélation divine extérieurement proposée, l’homme ne peut croire aux vérités surnaturelles pour le motif surnaturel de la révélation divine, sans une grâce intérieure, qui éclaire son intelligence et fortifie sa volonté. Ce point de doctrine est très fermement défendu par les thomistes contre ce qui rappellerait de près ou de loin le pélagianisme et le semipéïagianisme. Ils montrent que l’acte de foi par lequel nous adhérons aux vérités surnaturelles pour le motif de la révélation divine, est essentiellement surnaturel, supernaturalis quoad substanliam vel essentiam, à raison de son objet propre et du motif formel qui le spécifient. Un objet formellement surnaturel ne peut en effet êlre atteint comme tel que par un acte essentiellement surnaturel. Les mystères de la foi ne sont pas seulement surnaturels comme le miracle, qui, lui, est naturellement connaissable ; le miracle n’est surnaturel que par le mode de sa production, non pas par l’essence même de l’effet produit ; par exemple le miracle de la résurrection rend surnaturellement à un cadavre la vie naturelle. Au contraire la vie de la grâce, participation de la vie intime de Dieu, est essentiellement surnaturelle ; de même les mystères de la Trinité, de l’incarnation, de la rédemption. Ils sont surnaturels par leur essence même, et dépassent par suite toute connaissance naturelle, soit humaine, soit angélique. Cf. les Salmanticenses, Jean de Saint-Thomas, Gonet, Billuart, In I* m -II iii, q. cix, a. 1.

En cela les thomistes se séparent nettement de Scot, des nominalisles, de Molina, qui soutiennent que l’assentiment de la foi pour le motif de la révélation divine est naturel en substance et surnaturel par une modalité surajoutée. Cela fait penser à du « surnaturel plaqué », et c’est contraire au principe : « les actes tt les habitus sont spécifiés par leur objet formel » ; un objet surnaturel ne peut donc être atteint comme tel que par un acte essentiellement surnaturel. Si du reste l’acte de foi était naturel en substance, il faudrait en dire autant des actes d’espérance et de charité, et la charité d’ici-bas ne serait plus la même qu’au ciel, car au ciel elle sera, comme la vision béatifique, essentiellement surnaturelle.

Ce que les thomistes concèdent, c’est que, après la prédication de la doctrine révélée, l’homme déchu peut sans la grâce, avec le seul concours naturel de Dieu, connaître et admettre les vérités surnaturelles maté-