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THOMISME. LE PÉCHÉ


cifique entre la tempérance acquise et la tempérance infuse, différence analogue à celle d’une octave, entre deux notes musicales de même nom, séparées par une gamme complète. C’est pourquoi on distingue la tempérance philosophique et la tempérance chrétienne, ou encore la pauvreté philosophique de Cratès et la pauvreté évangélique des disciples du Christ. Comme le remarque saint Thomas, ibid., la tempérance acquise a une règle, un objet formel et une fin différents de ceux de la tempérance infuse. Elle garde le juste milieu dans la nourriture pour vivre raisonnablement, pour ne pas nuire a la santé ni à l’exercice de la raison. La tempérance infuse, elle, garde un juste milieu supérieur dans l’usage des aliments, pour vivre chrétiennement comme un enfant de Dieu, en marchant vers la vie toute surnaturelle de l’éternité. La seconde implique ainsi une mortification plus sévère que la première ; elle demande, comme le dit saint Paul, que « l’homme châtie son corps et le réduise en servitude », I Cor., ix, 27, pour devenir, non pas seulement un citoyen vertueux dans la vie sociale d’ici-bas, mais un « concitoyen des saints, et un membre de la famille de Dieu ». Eph., ii, 19.

Il y a la même différence spécifique entre la prudence acquise et la prudence infuse, entre la justice acquise et la justice infuse, entre la force acquise et la force infuse. La vertu morale acquise facilite l’exercice de la vertu morale infuse, comme chez le musicien l’agilité des doigts facilite l’exercice de l’art qui est dans l’intellect pratique.

Saint Thomas montre bien, à la suite d’Aristote, comment les vertus morales acquises sont connexes dans la prudence qui les dirige, et comment les vertus infuses sont connexes avec la charité ; si la foi et l’espérance peuvent exister sans la charité, elles ne sont plus, sans elle, à l’état de vertu, in statu virtutis, et leurs actes ne sont plus méritoires. Les actes des vertus morales soit acquises, soit infuses, doivent tenir un juste milieu, qui est aussi un sommet entre l’excès déraisonnable et le défaut répréhensible ; mais il ne peut y avoir à proprement parler excès par rapport aux vertus théologales, car nous ne pouvons trop croire en Dieu, trop espérer en lui, trop l’aimer. Q. liv.

Les dons.

Tout cet organisme surnaturel des

vertus infuses, théologales et morales, dérive de la grâce sanctifiante, comme les facultés de l’âme dérivent de l’essence de celle-ci. À cet organisme surnaturel se rattache le sacrum septenarium, les sept dons du Saint-Esprit, qui. à litre d habitus infus, nous disposent à recevoir docilement et promptement les inspirations du Saint-Esprit, comme les voiles sur la barque la disposent à recevoir l’impulsion du vent favorable. Q. lxviii. Ces sept dons sont en effet connexes avec la charité, car « la charité est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné », Rom., v, 5. Ibid., a. 5. Tous ces habitus infus qui font partie de l’organisme spirituel, par cela même qu’ils sont connexes avec la charité, grandissent ensemble comme les cinq doigts de la main. Q. lxvi, a. 2.

4° Les habitus mauvais ou vices détournent du bien et portent au mal. Q. lxxi-lxxxix. Comme causes du péché, sont signalés : 1. l’ignorance plus ou moins volontaire ; 2. les passions dès qu’elles deviennent déréglées ; 3. la malice pure, qui est évidemment plus grave ; 4. le démon, qui porte au mal par suggestion eu agissant sur les facultés sensible^.. Dieu n’est jamais cause du péché, du désordre moral, bien qu’il soit cause première de l’entité de l’acte physique du péché, q. lxxix, a. 1-4, et bien que, par le retrait mérité de ses grâces, il aveugle et endurcisse les méchants.

péchés capitaux, qui inclinent à d’autres, dérivent de l’amour déréglé de soi-même, de la concupiscence de la chair, de celle des yeux, de l’orgueil de la

vie ; ce sont, d’après saint Grégoire, la vainc gloire, l’envie, la colère, l’avarice, Vacedia ou paresse spirituelle, la gourmandise et la luxure. Q. lxxxiv. De ces péchés capitaux en dérivent d’autres souvent plus graves, comme la haine de Dieu et le désespoir, car l’homme n’arrive pas tout de suite à la complète perversité.

Le péché.

Saint Thomas étudie le péché non

seulement dans ses causes, mais en lui-même comme acte. Q. lxxi, a. 3. Il admet la définition donnée par saint Augustin : « le péché est un acte ou une parole ou un désir contraire à la loi éternelle. » Comme les actes sont spécifiés par leur objet formel, les péchés sont ici distingués spécifiquement par leur objet, q. lxxii, a. 1, tandis que Scot les distingue plutôt par leur opposition à telle ou telle vertu, et Vasquez en tant qu’ils s’opposent à tel ou tel précepte.

Au sujet de la distinction du péché mortel et du péché véniel, saint Thomas fait cette remarque profonde que la notion de péché ne se trouve pas en eux univoquement, comme un genre en deux espèces, mais seulement d’une façon analogique. Ce qui en effet constitue le péché se trouve d’abord et surtout dans le péché mortel qui nous détourne de Dieu fin dernière, aversio a fine ultimo ; le péché mortel est donc proprement contra legem et il est de soi irréparable, tandis que le péché véniel est un désordre, non par rapport à la fin dernière, mais par rapport aux moyens, et il est plutôt prseter legem, en ce sens qu’il ne détourne pas de Dieu, mais retarde notre marche vers lui, il est par suite réparable. Q. lxxxviii, a. 1, corp. et ad l am.

Le péché mortel a pour effet de priver l’âme de la grâce sanctifiante, de diminuer notre inclination naturelle à la vertu, et il nous rend dignes d’une peine éternelle, car il est un désordre tel que, s’il est sans repentance, // dure toujours comme péché habituel et entraîne une peine qui, elle aussi, dure toujours. Q.lxxxvlxxxvii. Cependant, tous les péchés, même mortels, n’ont pas la même gravité ; ils sont d’autant plus graves qu’ils sont plus directement contre Dieu, tels les péchés d’apostasie, de désespoir et de haine de Dieu.

Le péché véniel ternit l’éclat actuel que donnent à l’âme les actes des vertus, non l’éclat habituel de la » ràce sanctifiante, q. i.xxxix, a. 1, mais il peut conduire insensiblement au péché mortel, q. lxxxviii, a. 3, et il mérite une peine temporelle. Q. lxxxvii, a. 5. Un acte faible (remissus) de vertu contient une imperfection, qui n’est pas un péché véniel, c’est- ; ’» dire un mal (prioatio boni debili), mais la négation d’une perfection désirable, il y a là un moindre bien, une moindre promptitude au service de Dieu. Voir sur la distinction du péché véniel et de l’imperfection ce que disent, parmi les thomistes, les Salmanlieenses, Cursus theol., De peccatis, tr. XIII. disp. XIX, dub. i, n. 8 et. 9, et De incarnatione, in 7// » ra, q. xv, a. 1, de impeecabililate Christi.

Le péché originel, q. lxxxi-lxxxim est spécifique- 1 ment distinct des péchés actuels dont nous venons de parler, c’est un péché de nature, qui se transmet avec elle. C’est un désordre volontaire dans sa cause (dans la volonté du premier homme) ; il consiste formellement dans la privation de la justice originelle, par laquelle notre volonté était soumise à Dieu : Sic /rgo privatio originalis jusliliæ, prr quam volunlas subdebatur Dro, est formate in peccato originali. Q. lxxxti, a. 3. La concupiscence eu est l’élément matériel. Ibid. Le péché originel, qui est remis par le baptême, est d’abord dans l’essence de l’âme (comme privation de la grâce habituelle ou sanctifiant et. avant d’infecter la VOkHlté et les autres puissances, y. lxxxiii. a.’.' I Nous n’insistons pas ici sur ce point, car nous en avons parlé assez longuement plus haut, a propos du de l’homme et de l’étal de justice originelle, col. ! ’I8 sq.