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THOMISME. LES VERTUS


traité des vertus en général de celui des habitus. Q. xlix-liv. Ce terme latin ne se traduirait qu’imparfaitement par le mot français habitude. Saint Thomas considère surtout les habitus comme des qualités opératives, ou principes d’opération soit acquis, soit infus, bien qu’il y ait des habitus entitatifs, comme l’est dans l’ordre surnaturel la grâce sanctifiante, reçue dans l’essence même de l’âme. Les habitus opératifs sont reçus dans les facultés ; ils se divisent au point de vue de la moralité, en habitus bons ou vertus et habitus mauvais ou vices.

Le traité des habitus montre quelle est leur nature, leur sujet, leur cause et il les divise à divers points de vue dans la question liv. Le principe qui domine cette question est celui-ci : les habitus sont spécifiés par leur objet formel, a. 2, c’est-à-dire par l’objet propre (quod) qu’ils regardent, auquel ils sont essentiellement relatifs, et par le point de vue formel ou motif formel (quo ou sub quo), sous lequel ils l’atteignent. Ce principe est capital, car il éclaire ensuite tous les traités suivants relatifs aux vertus théologales, aux vertus morales et aux dons du Saint-Esprit. Nous avons montré ailleurs le sens et la portée de ce principe, cf. Acta Pont. Academiæ romanse S. Thomx, 1934 : Aclus specificantur ab objecto formali, p. 139-153. Nous résumerons sur ce point la doctrine de saint Thomas et de ses commentateurs en suivant l’art. 2 de la question liv.

1. Les habitus peuvent être considérés comme forme passivement reçue en nous ; alors ils sont spécifiés par le principe actif qui les produit en nous comme une similitude de lui-même ; c’est ainsi que les habitus infus sont une participation de la vie intime de Dieu, que les habitus acquis des sciences sont spécifiés par les principes démonstratifs qui les engendrent, et les vertus morales acquises par l’acte de la raison qui les dirige.

2. Les habitus comme habitus, par rapport à la nature à laquelle ils conviennent ou disconviennent, se divisent en habitus infus, qui conviennent à la nature divine participée, et en habitus acquis, soit bons selon leur convenance à la nature humaine, soit mauvais selon leur disconvenance à cette même nature.

3. Les habitus comme habitus opératifs et par rapport à leur opération, sont spécifiés par leur objet formel, les habitus infus par un objet essentiellement surnaturel, inaccessible aux forces naturelles de nos facultés, et les habitus acquis par un objet naturellement accessible. Saint Thomas dit ibid. : habitus ut dispositions ordinatse ad operationem, specie distinguuntur secundum objecta specie differentia.

Quelques théologiens suivant les directions du scolisme et du nominalisme ont voulu interpréter cet article de saint Thomas en disant que les vertus infuses peuvent être spécifiquement distinctes des vertus acquises par leurs principes actifs, tout en ayant le même objet formel. De ce point de vue, l’objet formel des vertus infuses, même des vertus théologales, serait accessible aux forces naturelles de nos facultés, à supposer du moins que la révélation divine nous soit extérieurement proposée par la lettre de l’Évangile, confirmée par les miracles naturellement connaissables.

Les thomistes et aussi Suarez se sont toujours fortement opposés à cette interprétation qui se rapproche du semipélagianisme en compromettant le caractère essentiellement surnaturel des vertus infuses, y compris les vertus théologales. Si l’objet formel de la foi infuse pouvait être atteint sans elle, elle-même serait inutile, ou ne serait utile que ad facilius credendum, comme le disaient les pélagiens ; et Vinitium fidei et salutis pourrait provenir de notre nature sans le secours de la grâce, comme le disaient les semipélagiens.

Si l’objet formel de la foi chrétienne est accessible aux forces naturelles de notre intelligence aidée de la bonne volonté naturelle, après la lecture de l’Évangile confirmé par les miracles, la foi ne paraît plus être comme le dit saint Paul un don de Dieu » ; on ne voit plus tout au moins pourquoi la foi infuse est nécessaire au salut, si déjà une foi acquise suffit à atteindre formellement les mystères révélés.

Les commentateurs de saint Thomas montrent que, dans l’article que nous venons de citer, les trois points de vue considérés par le saint Docteur ne doivent pas être séparés les uns des autres, mais sont connexes. En d’autres termes, une vertu infuse n’est telle : 1. que si Dieu seul peut la produire en nous ; 2. que si elle est conforme à la nature divine participée en nous comme une seconde nature ; 3. que si elle a un objet essentiellement surnaturel inaccessible aux forces naturelles de nos facultés, de notre intelligence et de notre volonté. Méconnaître ce dernier point, c’est s’engager dans la direction du nominalisme, qui ne considère plus que les faits et non pas la nature des choses.

Les vertus.

Dans le traité des vertus, saint Thomas

distingue trois classes de vertus : intellectuelles, morales et théologales.

Les vertus intellectuelles perfectionnent l’intelligence ; ce sont : l’intellect des premiers principes ; la science qui déduit les conclusions de ces principes ; la sagesse qui par eux s’élève jusqu’à Dieu cause première et fin dernière ; la prudence, « recta ratio agibilium », qui dirige l’agir humain, et l’art, « recta ratio factibilium ; qui a pour objet l’œuvre à faire. I » - !  ! », q. lvii.

Les vertus morales perfectionnent soit la volonté, soit l’appétit sensilif dans la recherche du bien. Saint Thomas suit la division qui en a été donnée par les moralistes anciens, notamment par Aristotc, et par les Pères, surtout par saint Ambroise et saint Augustin. Il distingue les quatre vertus dites cardinales : la prudence, qui, tout en étant vertu intellectuelle, est dite aussi vertu morale, parce qu’elle dirige la volonté et la sensibilité, en déterminant le choix des moyens à employer en vue d’une fin ; la justice, qui incline la volonté à rendre à chacun ce qui lui est dû ; la force, qui affermit l’appétit irascible contre la crainte déraisonnable, en le préservant aussi de la témérité ; la tempérance, qui modère l’appétit concupiscible. I » -II »,

q. LVIII-LXI.

Les vertus théologales élèvent nos facultés supérieures, l’intelligence et la volonté, en les proportionnant à notre fin surnaturelle, c’est-à-dire à Dieu considéré dans sa vie intime. La foi nous fait adhérer surnaturellement à ce que Dieu révèle de lui-même et de ses œuvres ; l’espérance tend à le posséder en s’appuyant sur son secours ; la charité nous le fait aimer plus que nous et par dessus tout, parce que sa bonté infinie est en soi souverainement aimable et parce qu’il nous a aimés le premier, non seulement comme Créateur, mais comme Père. Q. lxii. Les vertus théologales sont donc essentiellement surnaturelles et infuses à raison de leur objet formel, qui est inaccessible sans elles. Q. lxii, a. 1.

Saint Thomas distingue aussi spécifiquement à raison de leur objet formel, de leur règle et de leur fin, les vertus morales acquises et les vertus morales infuses. Q. lxiii, a. 4. Ce point est capital dans sa doctrine et il est trop peu connu ; il convient de le souligner. Les vertus morales acquises, décrites par Aristote, nous font vouloir, sous la direction de la raison naturelle, le bien honnête, au dessus de l’utile et du délectable, et elles constituent le parfait honnête homme ; mais elles ne suffisent pas à l’enfant de Dieu, pour qu’il veuille comme il convient, sous la direction de la foi infuse et de la prudence chrétienne, les moyens surnaturels ordonnés à la vie éternelle. Il y a ainsi une différence spé-