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THOMISME. LA FIN DERNIÈRE


La Secunda secundæ traite de la morale spéciale, c’est-à-dire en particulier de chacune des vertus théologales, de chacune des vertus cardinales, des vertus annexes et des dons correspondants, finalement des grâces gratis datæ comme la prophétie, de la vie contemplative et de la vie active, de l’état de perfection, où se trouvent à des titres divers les évêques et les religieux. Ainsi, à propos surtout des vertus théologales, de la prudence, de la religion, de l’humilité et des dons corrélatifs, sont formules les principes d’une spiritualité solidement fondée sur la doctrine théologicpie ; ces principes apparaissent déjà dans la Prima secundæ à propos des diverses parties de l’organisme spirituel, c’est-à-dire de la grâce habituelle, des vertus infuses et des dons, à propos de leur subordination, de leur connexion, et de leur progrès simultané. Nous ne soulignerons ici que les doctrines fondamentales.

Dans le traité de la fin dernière et de la béatitude, I » -II B, q. i-v, saint Thomas s’inspire à la fois de saint Augustin, d’Aristote et de Boèce ; cf. ici A. Gardeil, art. Béatitude, t. ii, col. 510-513.

Saint Thomas montre d’abord, q. i, que l’homme, être raisonnable, doit agir pour une fin., connue comme telle sub rationc finis, et pour une fin dernière, capable de le perfectionner pleinement, en laquelle il puisse se reposer. La tin est en effet ce pour quoi nous agissons et il faut un motif suprême d’agir au moins confusément connu. On ne peut en effet procéder à l’infini dans la subordination des fins, pas plus que dans la subordination des causes efficientes. Et, comme tout agent agit pour une fin proportionnée, la subordination des agents correspond à celle des fins et le premier moteur au motif suprême d’agir. La fin dernière qui sera obtenue en dernier lieu dans l’ordre d’exécution est ce qui est d’abord désiré et voulu dans l’ordre d’intention ; cil ! ’est ce pour quoi on veut tout le reste ; elle doit donc être au moins confusément connue comme désirable ; telle est pour le chef d’armée la défense « le la patrie. C’est ainsi que tout homme désire le bonheur chacun désire être heureux, mais beaucoup ru se rendent pas compte que le vrai bonheur est en Dieu, souverain bien, aimé véritablement plus que nous -mêmes et par dessus tout.

Le saint Docteur montre ensuite, q. ii, que les biens crées ne peuvent donner à l’homme le vrai bonheur, que celui-ci ne se trouve point dans les richesses, les honneurs, fi gloire, le pouvoir, les biens du corps, la volupté, la science, la vertu et autres biens créés de l’âme, parce que « l’objel de notre volonté est le bien universi 1. comme le vrai dans son universalilé est l’objet de notre intelligence. La volonté ne peut donc poser pleinement que dans le bien universel. Or, celui-ci ne s< trouve réellement dans aucun bien créé, mais seulement en Dieu, car toute créature a une bonté participée. » Q. ii, a. 8. Pour le bien entendre, il faut remarquer que l’objet qui spécifie notre volonté n’est pas tel bien délectable, utile ou honnête, mais le bien (buis son universalité, tel que le connaît notre intel. Il supéi ieure aux sens et à l’imagination. Or, I-bien se trouve de façon limitée en tout bien créé et il m pi ni i in uver comme universel ou sans limite le souverain bien, source de tous les autres, qui est Dieu même.

Il v i |fl une preuve de l’existence de Dieu, souverain bien. Nous eu avons examiné ailleurs la valeur ; cf. Le réallime’lu principe de finalité, Paris, 1932, p. 260-285. Cette preuve repose sur ce principe : un i naturel, fondé non pas sur l’imagination ou l’égarement de la raison, mais sur la nature même de noire volonté et son amplitude universelle, ne peut être vnin ou chimérique. Or, tout homme a le désir naturel du bonheur et l’i xpérience comme la raison montrent que le vrai bonheur ne se Irouve en aucun bien limité

DICT. DE THÉOI.. CATHOL.

ou fini, car, notre intelligence concevant le bien universel et sans limites, l’amplitude naturelle de notre volonté, éclairée par l’intelligence, est elle-même sans limites. De plus il ne s’agit pas ici d’un désir naturel conditionnel et inefficace, comme celui de la vision béatifique, fondé sur ce jugement conditionnel : cette vision serait la béatitude parfaite pour moi, s’il était possible que j’y sois élevé et si Dieu voulait bien m’y élever. Il s’agit ici d’un désir naturel inné, fondé non pas sur un jugement conditionnel, mais immédiatement sur la nature même de notre volonté et sur son amplitude universelle. Il n’y a pas de désir naturel sans un bien désirable et sans un bien de même amplitude que ce désir naturel. Il faut donc qu’il existe un bien sans limites, bien pur, sans mélange de non-bien ou d’imperfection, car en lui seul se trouve réellement le bien universel qui spécifie notre volonté et il peut être connu naturellement d’une façon médiate, dans le miroir des choses créées.

Sans l’existence de Dieu, souverain bien, l’amplitude universelle de notre volonté, ou sa profondeur qu’aucun bien fini ne peut combler, serait une absurdité radicale, ou un non-sens absolu. Il y a là une impossibilité absolue qui est inscrite dans la nature même de notre volonté, dont le désir naturel tend, non pas vers l’idée du bien, mais vers un bien réel — carie bien est non dansl’esprit, maisdansles choses — et vers un bien réel non restreint, qui ait la même amplitude que le désir naturel qui se porte vers lui.

L’objet spécificateur de la volonté doit pourtant se distinguer de sa fin dernière même naturelle. Cet objet spécificateur n’est pas Dieu, souverain bien, qui spécifie immédiatement la charité infuse. C’est le bien universel connu naturellement par l’intelligence, lequel se trouve de façon participée en tout ce qui est bon, mais il ne se trouve comme bien à la fois réel et universel qu’en Dieu : Solus Deus est ipsum bonum universale, non in prædicando, sed in essendo et in causando. Cajétan l’a bien noté, In 7° m -//" J, q. ii, a. 7, en disant avec Aristote : dum verum est formaliler in mente, bonum est in rebus. On passe ainsi légitimement, par ce réalisme de lavolontéet de la finalité, du bien universel in prædicando, au bien universel in essendo.

Si donc l’homme avait été créé dans un état purement naturel, sans la grâce, il n’aurait trouvé le vrai bonheur que dans la connaissance naturelle de Dieu et l’amour naturel de Dieu, auteur de la nature, préféré à tout. Il est manifeste en effet que notre intelligence, immensément supérieure aux sens et à l’imagination, est faite par nature pour connaître la vérité, elle doit donc tendre à connaître la vérité suprême, telle du moins qu’elle est nal urellement connaissable dans le miroir des choses créées ; pour la même raison, notre volonté, qui est faite pour aimer ci vouloir le bien, tend naturellement à aimer par dessus tout le souverain bien, Ici du moins qu’il est naturellement connaissable ; cf. I », q. lx, a. 5 ; II*-II ». q. xxvi, a. 4.

Mais la Hévélalion nous fait Connaître que Dieu nous a grat uilement appelés à Une béatitude essentiellement surnaturelle, à le voir immédiatement l’aimer d’un amour surnaturel, parfail et inaniissible. Saini Thomas fait consister l’essence de la béatitude suprême dans l’acte essentiellement surnaturel de la vision immédiate de l’essence divine, car c’est par cet acte que nous prendrons possession de Dieu ; l’nmour

précède la possession sous forme de désir et il la suit

sous forme de Jouissance, de très pure complaisance J il ne la constitue pas formellement. Or, la béatitude

est essentiellement la possession du souverain Bien. Q, iii, a. i s. Mais si la béatitude est essentiellement

Constituée par la vision bi’at ilUpie. elle comporte comme complément nécessaire l’amour du bien su

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