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THOMISME. LA FIN DEHNIÈRE


soumis au spirituel, comme le corps à l'âme. » I » -II », q. lx, a. 6, ad 3um. Saint Thomas reconnaît à l'Église le pouvoir d’annuler l’autorité des princes qui deviennent infidèles ou apostats et de les excommunier. ll*-ll iii, q. x, a. 10 ; q.xii, a. 2. La prééminence normale de l'Église dérive de la supériorité de sa (in propre : aussi les princes eux-mêmes doivent-ils obéir au souverain pontife comme à Jésus-Christ dont il est le vicaire.

A partir du xve siècle, les théologiens thomistes, devant réfuter les erreurs relatives à l'Église, ont mis en relief les principes formulés par saint Thomas sur ces sujets. Ce fut l’oeuvre surtout de Torquemada (Turrecremata), Summa de Ecclesia qui étudie attentivement les notes de l'Église, la manière dont les membres du corps mystique du Christ sont unis à leur chef, le pouvoir indirect de l'Église en matière temporelle. Cf. E. Dublanchy, Turrecremata et le pouvoir du pape dans les questions temporelles, dans Rev. thom., 1923, p. 74-101. Il faut citer aussi l’ouvrage de Cajétan, De auctoritate papæ et concihi ; M. Cano, De locis theologicis. Parmi les ouvrages des thomistes récents, cf. J.-V. De Groot, O. P., Summa de Ecclesia, 3e éd., Ratisbonne, 1906, et R. Schultes, O. P., De Ecclesia catholica, Paris, 1926 ; R. Garrigou-Lagrange, O. P., De Revelatione per Ecclesiam catholicam proposita, Rome, 3e éd., 1935 ; A. de Poulpiquet, O. P., L'Église catholique, Paris, 1923.

Les fins dernières.

Au sujet des fins dernières

nous signalerons ici, comme question capitale, celle de l’immutabilité des âmes dans le bien ou dans le mal sitôt après la mort. Ce problème est traité par saint Thomas surtout dans Cont. Gent., t. IV, c. xci-xcvi. Il faut lire surtout le c. xcv. Il y est dit : « Tant que demeure dans notre volonté la disposition qui nous fait vouloir un objet comme fin ultime, le désir de cette fin ne change pas, et il ne pourrait changer que par le désir d’une chose plus désirable. Or, l'âme humaine est dans un état variable tant qu’elle est unie au corps, mais pas lorsqu’elle est séparée du corps ; la disposition de l'âme est en effet changée accidentellement selon quelque mouvement du corps ; comme en effet le corps est an service de l'âme pour ses propres opérations, il lui est donné naturellement pour que, tant qu’elle est en lui, elle se porte vers sa perfection. Aussi dès qu’elle est séparée du corps, l'âme n’est plus en état de mouvement vers sa fin, mais elle se repose dans la fin obtenue (à moins qu’elle ne l’ait manquée pour toujours). Et donc la volonté est alors immobile en son désir de la fin ultime, de laquelle dépend toute la bonté ou toute la malice de la volonté… La volonté de l'âme séparée est donc immuable dans le bien ou dans le mal, elle ne peut passer de l’un à l’autre ; elle peut seulement dans l’un ou l’autre de ces deux ordres, choisir librement tel ou tel moyen. » Et au c. xci : Statim post mortem, animée hominum recipiunt pro merilis vel pœnam, vel præmium. On voit en cette raison profonde comment la révélation divine de cette immutabilité de l'âme séparée dans le bien ou dans le mal s’harmonise avec la doctrine de l'âme forme du corps, selon laquelle le corps est uni ; non pas accidentellement, mais naturellement à l'âme, pour l’aider à tendre à sa fin, de sorte que, lorsqu’elle est séparée de son corps, l'âme n’est plus à l'état de tendance vers sa fin.

Cajétan a proposé sur ce sujet une opinion particulière dans laquelle il paraît perdre de vue la distance qui sépare de l’ange l'âme humaine. Après avoir traité de l’immutabilité de l’ange dans le bien ou dans le mal après son choix irrévocable, il écrit In I hm, q. lxiv, a. 2, n. 18 : Dico quod anima obstinala redditur per primum aclum quem elicit in statu separationis ; et quod anima tune demeretur, non ut in via, sed ut in termino.

Cette opinion de Cajétan est généralement rejetée

comme peu sûre par les thomistes, en particulier par Silvestre de Fcrrare et par les Salmanticenses. Silvestre de Ferrare dit dans son commentaire sur le Cont. Gent., c. xcv :

Licet anima in instaiili separationis habcat immobilem apprehensionem, et tune primo incipiat esse obstinata, tamen in illo non habet demeritum, ut quidam dicunt, quia meritum et demeritum non est anima : solius, sed compositi, scilicet hominis ; in illo autem instanti homo non est, sed est primum instans sui non-esse, et primum instans in quo anima primo ponitur separata et obstinata… Homo non remanet, ut mereri possit… Unde pro homine obstinatio causatur inchoative ab apprehensione mobili talis finis in via, et complétive ab immobili apprehensione existente in anima dum est separata.

Les Salmanticenses parlent de même, De gralia, de merito, disp. I, dub. iv, n. 36 ; ils noient au sujet de l’opinion de Cajétan : Hic dicendi modus non admittitur propter lestimonia Scripturæ n. 26, 32, adducla. Inquibus expresse dicitur, homines solum posse mereri, vel demereri ante mortem, non vero in morte. El præcipue id sonant illa verba Joannis ix, 4 : « Oporlct operari, donec dies est, véniel nox, in qua nemo potest operari », item, II Cor., v, 10. — Cajétan a considéré la chose d’une façon trep abstraite, il a remarqué que la via se termine par le dernier instant où elle cesse, per primum non esse vise ; il n’a pas assez fait attention à ceci que le mérite ne peut appartenir qu'à ï'homo viator, et non pas à l'âme séparée.

D’après saint Thomas et presque tous ses commentateurs, le dernier mérite ou démérite est un acte de l'âme encore unie au corps, et cet acte de volonté sur la fin ultime est rendu immuable par la séparation de l'âme d’avec le corps et le mode de connaissance de l'âme séparée.

Il suit de là qu’il est faux de dire : l'âme damnée, voyant sa misère, peut se repentir. Il faut ici dire comme pour l’ange déchu : son orgueil dans lequel elle se fixe lui ferme la route du retour, qui ne pourrait être que la voie de l’humilité et de l’obéissance. Si l'âme de celui qui est mort dans l’impénitence finale, commençait de se repentir, elle ne serait déjà plus damnée.

Par contre l’immutabilité dans le bien de l'âme de ceux qui sont morts en état de grâce, l’immutabilité de leur choix libre du souverain Bien, aimé par dessus tout et plus qu’eux-mêmes, est un reflet admirable de l’immutabilité de l'élection incréée de Dieu ; cette élection est souverainement libre et pourtant immuable de toute éternité ; pour Dieu qui a prévu d’avance, voulu ou permis tout ce qui arrivera dans le temps, il ne peut y avoir aucune raison de la changer. Enfin, lorsque l'âme séparée d’un élu reçoit la vision béatifique, elle aime Dieu vu face à face d’un amour qui est au dessus de la liberté, d’un amour spontané, mais nécessaire et inamissible. I a -II B, q. v, a. 4.

Cette question, qui est celle de la grâce de la bonne mort, est un nouvel aspect du grand mystère que nous avons souligné plus haut celui de la conciliation intime de l’infinie miséricorde, de l’infinie justice et de la souveraine liberté, conciliation qui se fait dans l'éminence de la Déité, laquelle reste obscure pour nous tant que nous ne sommes pas élevés à la vision béalifique.

XI. Fin dernière et béatitude. — La Prima secundse de la Somme théologique traite de la morale générale ou fondamentale : de la fin dernière ou béatitude ; des actes humains ou volontaires ; des passions ; des habilus en général ; des vertus (acquises et infuses) ; des dons du Saint-Esprit : des vices ; enfin de la loi par laquelle Dieu nous instruit et de la grâce par laquelle il nous aide jusque dans notre activité la plus intime.