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THOMISME. MARIOLOGIE


sent que saint Thomas n’était pas favorable au privilège de l’immaculée conception, il faut compter Suarez, Chr. Pesch, L. Billot, L. Janssens, Al. I.épicier, B.-H. Merkelbach, op. cit., p. 127-130.

Pour quelles raisons saint Thomas a-t-il hésité à affirmer le privilège de l’immaculée conception ? À la suite de plusieurs autres thomistes, P. Mandonnet l’a exposé ici, art. Frères Prêcheurs, t. vi, col. 899, et depuis lors c nt parlé dans le même sens, dans les publications que nous venons de citer, les pères N. del Prado, E. Hugon, G. Frietoff, J.-M. Vosté.

Nous exposerons brièvement cette interprétation qui paraît avoir une sérieuse probabilité. Saint Thomas au début de sa carrière théologique (1253-1254) affirma très explicitement le privilège, In I am Sent., dist. XLIV, q. i, a. 3, ad 3um : talis fuit purilas beatæ Virginis, quee a peccato originali et acluali immunis fuit. Mais il s’aperçut ensuite que la façon dont plusieurs entendaient ce privilège aboutissait à soustraire la sainte Vierge à la rédemption du Christ, contrairement au principe formulé par saint Paul, Rom., v, 18 : Sicut per unius delictum in omnes homins in condemnationem, sic et per unius justitiam in omnes homines in juslificationem vitee, et I Tim., ii, 5 : Unus enim Deus, unus et mediator Dei et hominum, homo Christus Jésus, qui dédit redemptionem semetipsum pro omnibus. Aussi saint Thomas s’est-il efforcé de montrer que Marie a été rachetée par les mérites de son Fils (ce que dira Pie IX dans la bulle Ineffabilis Deus) et donc qu’elle avait besoin de rédemption à raison du debilum culpse, qui provient de la descendance d’Adam par voie de génération ordinaire. Dès lors il a toujours dit que la vierge Marie n’a pas été sanctifiée avant son animation, afin que le ccrps de Marie, conçu dans les conditions ordinaires, fût la cause instrumentale qui transmît le debitum culpæ ; et l’on sait que pour saint Thomas la conception du corps ou fécondation précède dans le temps l’animation, par laquelle est constituée la personne engendrée, cf. III 1, q. xxxiii, a. 2, ad 3um ; selon saint Thomas, c’est seulement la conception virginale du Christ qui eut lieu au même instant que son animation.

Si donc on trouve dans les œuvres de saint Thomas l’expression B. Maria Virgo concepta est in peccato originali, il faut se rappeler qu’il ne s’agit là que de la conception de son corps, qui a une priorité de temps sur l’animation.

Quant à la question de savoir à quel moment exact la vierge Marie a été sanctifiée dans le sein de sa mère, saint Thomas l’écart a, sauf peut-être à la fin de sa vie où il paraît revenir à l’affirmation positive du privilège. Avant cette dernière période, il affirma seulement que la sanctification avait suivi rapidement l’animation, cito post. Quodl. vi, q. v, a. 1. Mais il déclara qu’on en ignorait l’instant précis. C’est pour cela qu’il ne posa pas la question de savoir si la vierge Marie a été sanctifiée à l’instant même de son animation. Saint Bonaventure avait posé ce problème et, comme plusieurs autres, l’avaient résolu par la négative. Saint Thomas voulut laisser la question ouverte et ne se prononça pas.

Pour maintenir sa première affirmation du privilège citée plus haut, il aurait pu facilement user de la distinction qu’il fait fréquemment ailleurs entre la priorité de nature et celle de temps, pour mieux expliquer le cito post, et dire que la création de l’âme de Marie n’avait qu’une priorité de nature sur sa sanctification. Mais, comme le remarque Jean de Saint-Thomas, loc. cit., voyant l’attitude réservée de l’Église romaine, qui ne célébrait pas la fête de la Conception, le silence de l’Écriture, et la position négative d’un grand nombre de théologiens, il s’abstint de se prononcer sur ce point précis. Telle est en substance l’interprétation

donnée par le P. N. del Prado, op. cit., p. xxi-xxxiii. Le P. Hugon, op. cit., p. 748 sq., parle de même et remarque l’insistance de saint Thomas sur le principe qui a été reconnu par la bulle Ineffabilis Deus, d’après lequel Marie a été sanctifiée par les mérites futurs de son Fils, mais le saint Docteur ne se serait pas prononcé sur la question de savoir si cette rédemption a préservé Marie du péché originel ou le lui a remis.

En d’autres termes, saint Thomas n’aurait pas nié le privilège, mais il lui serait plutôt favorable.

A cette interprétation on oppose surtout deux textes ; dans la Somme théologique, III », q. xxvii, a. 2, ad 2 uæ, il est Ait : B. Virgo contraxit quidem originale peccatum, sed ab eo fuit mundala, antequam ex utero nasceretur ; et In III um Sent., dist. III, q. i, a. 1, ad 2 am qu » iii, on lit : sanctificatio B. Virginis non potuit esse decenler ante infusionem animée, quia gratise capax nondum erat, sed nec in ipso inslanli infusionis, ut scilicet per gratiam tune sibi infusam conservaretur ne culpam originalem incurreret. Les PP. del Prado, Hugon et les autres théologiens cités plus haut entendent ainsi ces deux passages. Si l’on se rappelle l’affirmation du privilège formulée In I am Sent, et les exigences du principe invoqué de la rédemption de Marie par le Christ, ce qui est dit en ces derniers textes doit s’entendre du debitum culpæ originalis, plutôt que du péché originel lui-même, et de l’animation qui précède la sanctification selon une priorité de nature, non de temps.

Il faut avouer, comme le remarque le P. B.-H. Merkelbach, op. cit., p. 129 sq., que ces distinctions opportunes n’ont pas été formulées par saint Thomas : il a écrit contraxit peccatum originale et non pas debebat contrahere, ou contraxisset si non preeservata fuisset. Et Quodl. vi, q. v, a. 1, il a écrit : Creditur quod cito post conceptionem et animée infusionem B. Maria virgo fuerit sanctificata, sans distinguer la priorité de nature et celle de temps.

Mais il faut ajouter avec le P. Vosté, op. cit., 2e éd., 1940, p. 18, qu’à la fin de sa vie, en 1272-1273, saint Thomas paraît bien revenir à l’affirmation de ses débuts, In I™ Sent., dist. XLIV, q. i, a. 3, ad 3™ : talis fuit puritas B. M. V. quee a peccato originali et actuali immunis fuit. Il écrit en effet, In Ps. XIV (déc. 1272), ꝟ. 2 : Sed in Christo et in Virgine Maria nulla omnino macula fuit. — In Ps. XVIII, ꝟ. 6 : In sole posuit, etc., id est corpus suum (Christus) posuit in sole, id est in B. Virgine, quee nullam habuit obscuritatem peccati (Cant., iv, 7) : « Tota pulchra es, arnica mea, et macula non est in te. » — Compendium theologiee, c. 224 : Non solum a peccato actuali immunis fuit B. V. Maria, sed etiam ab originali speciali privilegio mundala ; si c’est speciali privilegio, ce ne fut pas comme Jérémie et Jean-Baptiste. Enfin In expositione Salutationis angeliew. (3-4 avril 1273), selon l’édition critique récemment faite (Plaisance, 1931) par I.-F. Bossi, C. M. ( Gratia plena) on lit : Tertio excelluit angelos quantum ad purilalem, quia B. Virgo non solum fuit pura in se, sed etiam procuravit purilalem aliis. Ipsa enim purissima fuit et quantum ad culpam, quia nec originale, nec mortale, nec veniale peccatum incurrit. Item quantum ad poenam (scil. ad très maledictiones), speciatim immunis fuit a corruptione sepulchri. Il est vrai que dans ce même endroit, plus haut, saint Thomas dit : B. V. Maria in originali est concepta, sed non nata, mais nous savons que pour lui la conception du corps a une notable priorité de temps sur l’animation et, si l’on veut écarter de cet écrit une contradiction inadmissible à quelques lignes de distance, on doit voir dans les paroles in originali concepta le debitum contrahendi à raison du corps formé par génération ordinaire et non pas le péché originel lui-même, qui ne peut être que dans l’âme : cf. C.