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THOMISME. L’UNION HYPOSTATIQUE


personne du Verbe fait chair, l’explication qui en est donnée repose sur la notion même de personne. Nous soulignerons ici ce que saint Thomas nous dit de la personnalité qui constitue formellement la personne et nous dirons comment cet enseignement est généralement compris par les thomistes.

Saint Thomas, I », q. xxix, a. 1, explique la définition de la personne donnée par Boèce : persona est rationalis naturee individuel substantiel, en disant que la personne est « un sujet individuel intelligent et libre, ou maître de ses actes, sui juris, qui opère par lui-même. Étant un sujet premier d’attribution (suppesitum. substantiel prima) de tout ce qui lui convient, la personne n’est pas elle-même attribuable à un autre sujet. On lui attribue la nature raisonnable, l’âme, le corps, l’existence, les facultés de l’âme, leurs opérations, les parties du corps. Elle-même est un tout incommunicable à un autre sujet. Ibid., ad 2um. Ainsi se précise le concept confus de personne que possède déjà le sens commun ou l’intelligence naturelle. Bref la personne est un sujet intelligent et libre. La personnalité ontologique qui constitue formellement ce sujet, comme sujet premier d’attribution, est ainsi la racine de la personnalité psychologique, caractérisée par la conscience de soi, et de la personnalité morale, qui se manifeste par l’usage de la liberté et la maîtrise de soi.

Cette définition de la personne s’applique à l’homme, à l’ange et analogiquement à Dieu. Mais, selon la Révélation, en Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois sujets intelligents et libres, qui ont la même intelligence, la même liberté, la même intellection et le même acte libre par lequel ils opèrent ad extra. La même notion de personne nous permet aussi d’affirmer que Jésus qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie », et encore : Joa., xiv, 6 « Tout ce que le Père a est à moi », Joa., xvi, 15, est un seul sujet intelligent et libre, un seul moi, bien qu’il possède les deux natures divine et humaine et par suite deux intelligences et deux libertés, pleinement conformes l’une à l’autre. Le même moi, qui a dit : Ego sum via, veritas et vita, est véritablement homme et véritablement Dieu, la vérité même et la vie même.

Sur la personnalité ontologique ou le constitutif formel et radical de la personne, il y a parmi les scolastiques diverses conceptions qui s’opposent entre elles suivant qu’on admet ou qu’on n’admet pas la distinction réelle entre l’essence créée et l’existence, distinction qui est, nous l’avons vii, une des thèses les plus fondamentales du thomisme.

Parmi les scolastiques qui nient la distinction réelle entre l’essence et l’existence ou encore entre le sujet ou suppôt fquod rst) et l’existence (esse), Scot dit : la personnalité est quelque chose de négatif. C’est dans une nature singulière, la négation de l’union byposta-Uque à une personne divine, par exemple Pierre et Paul sont des personnes, du fait que leur nature humaine individuelle n’est pas assumée, comme celle du Christ, par une personne divine. In III" m Sent., dist. I, q. i, n. 5. — Pour Suarez, la personnalité est un mode substantiel, qui présuppose l’existence d’une nature singulière et l ; i rend incommunicable. Suarez ne peut admettre avec les thomistes que l’existence attribuée à la pe rsonne présuppose le constitutif tonne ! de cellcri, car pour lui l’essence et l’existence ne sont pas réellement distinctes. Cf. Disp. Met., XXXIV, sect. 1, 2. 1. Dr incam., disp. XI, sect. 3.

D’autre part, parmi les scolastiques qui admettent la distinction réelle entre l’essence créée et l’existt Il y a trois opinions principales. Ca]étao et la plupart des thomistes aominicaim et cannes disent : la i » r sonn.ilité est ce p ; ir quoi la nature singulière devient immédiatement capable de n i evoir l’< sistence, id quo

naiura singularis fit immédiate capax exislentise, seu id quo aliquid est quod est. D’autres disent moins explicitement avec Capréolus, c’est la nature singulière, ut est sub suo esse ; c’est presque la même doctrine. Enfin le cardinal Billot et ses disciples réduisent la personnalité à l’existence même, qui actue ou actualise la nature singulière ; cf. L. Billot, De Verbo incarnato, 5e éd., p. 75, 84, 137, 140.

L’explication proposée par Cajéian, In J// am, q. iv, a. 2, n. 8, a été acceptée comme l’expression de la vraie pensée de saint Thomas par la plupart des thomistes, par Silvestre de Ferrare, Victoria, Bafiez, Jean de Saint-Thomas, les carmes de Salamanque, les Complnlenses abbreviati, Goudin, Gonet, Billuart, Zigliara, del Prado, Sanseverino, les cardinaux Mercier, Lorenzelli, Lépicier, par les PP. Gardeil, Hugon, Gredt, etc.

Quel est pour Cajétan et ces thomistes le critère pour discerner parmi les différentes opinions la vraie définition de Ja personnalité ontologique ? Cajétan nous le dit, à l’endrrit cité ; il faut, dit-il, que la définition réelle et distincte de la personnalité conserve, en l’expliquant, ce qui est contenu dans la définition nominale de la personne que nous fournit le sens commun ou l’intelligence naturelle et que tous les théologiens entendent conserver. Or, par le nom de « personne » et par les pronoms personnels, moi, toi, lui, nous entendons tous signifier formellement, non pas une négation, ni un accident, mais un sujet individuel auquel l’existence est attribuée comme un prédicat contingent. Et alors, pourquoi, en cherchant la définition réelle et distincte de la personne, contredisons-nous la définition nominale de sens commun que nous entendons conserver. Il faut passer de la définition nominale à la définition réelle selon la méthode indiquée par Aristote et saint Thomas, Post. analyt., t. II, c. xiixiv.

En procédant ainsi, les thomistes notent d’abord au sujet de la personnalité ontologique ce qu’elle n’est pas, pour déterminer ensuite ce qu’elle est.

1. La personnalité ontologique ou ce par quoi un sujet est personne, n’est pas quelque chose de négatif, comme le veut Scot, mais quelque chose de positif, comme la personne dont elle est le constitutif formel. De plus la personnalité de Socrate ou de Pierre est d’ordre naturel et ne peut donc se définir, comme le veut Scot, par la négation de l’union hypostat ique, qui est d’ordre essentiellement surnaturel ; il s’ensuivrait que la personnalité de Socrate ne pourrait être naturellement connue.

2. La personnalité ontologique est quelque chose non seulement de positif, mais de substantiel et non pas d’accidentel, car la personne est une substance, un sujet réel. Par suite la personnalité proprement dite ou ontologique ne peut être formellement constituée par la conscience de soi, qui est un acte de la personne (la conscience du moi manifeste le moi, mais le suppose), ni par la liberté, qui est une faculté de la personne (la maîtrise de soi montre la valeur de la personne, mais la présuppose). Il y a du reste en Jésus deux intelligences conscient effet deux libertés, et une seule personne, un seul moi. La personnalité ontologique est donc quelque chose de positif et de substan lui. Comparons la maintenant à ce qui lui ressemble le plus dans le genre substance.

3. La personnalité n’est pas la nature même de la substance, pas même la nature singulière ou indivi duée (natura hœc), car celle-ci est attribuée a. la pet sonne comme sa partie essent leDe, elle n’est pas ce qui constitue le tout comme tout, ut suppositum. Aussi saint Thomas, dit il. III*, q. ii, a. 2 : SuppOittum signi firtiliir ni lolum Iwbens naturum sirut fxirlrm jormatem -I perfeetioam sui. Ainsi nous ne disons pas : « Pierre est sa nature », car le tout n’est pas sa partie, puisqu’il