Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/462

Cette page n’a pas encore été corrigée
909
910
THOMISME. SPIRITUALITÉ DE L’AME


Pour se rendre compte du caractère propre de ce traité, il faut rappeler que saint Thomas suit ici une direction qui s’oppose à la fois à celle des averroïstes et à celle des théologiens augustiniens ses prédécesseurs.

Averroès, De anima, t. III, éd. de Venise, 1550, p. 165, affirmait que l’intelligence humaine est la dernière des intelligences, une forme immatérielle, éternelle, séparée aes individus et douée d’unité numérique. Cette intelligence est à la fois intellect actif et intellect possible. La raison humaine est ainsi impersonnelle ; elle est la lumière qui éclaire les âmes individuelles et assure la participation de l’humanité aux vérités éternelles. Par suite Averroès niait l’immortalité personnelle des âmes individuelles et aussi leur liberté. Cette doctrine avait séduit, au xiiie siècle, les averroïstes latins Siger de Brabant et Boèce de Dacie. C’est contre eux que saint Thomas écrivit son traité De unitate intelleclus contra averroistas.

Pour Siger, dans son De anima intellectiua, à côté de l’âme végétative-sensible qui informe chaque organisme humain, il existe une âme intellective, séparée du corps par sa nature, et qui vient temporairement s’unir à lui pour y accomplir l’acte de la pensée, comme le soleil éclaire l’eau d’un lac. L’âme intellectuelle, selon lui, ne peut être la forme du corps, car elle informerait un organe et serait dès lors matérielle ou intrinsèquement dépendante de la matière. Cette âme immatérielle est unique, parce qu’elle exclut de son sein le principe même de l’individuation, qui est la matière. Mais cependant l’âme intellectuelle est toujours unie à des corps humains, car si les hommes individuels meurent, l’humanité est immortelle, la série des générations humaines n’a pas commencé et elle ne (luira pas. Cf. P. Mandonnct, Siger de Brabant et l’averroïsme latin auxiil" siMe, 2° éd., c. vi sq. ; et ici Siger de Brabant, t. xiv, col. 2048 ; et t. xv, col. 693.

D’autre part les théologiens des écoles prélhomlstes, comme Alexandre de Halès, saint Bonaventure, admettaient la pluralité des formes substantielles dans l’homme et une matière spirituelle dans l’âme humaine. Ces théologiens cherchaient, sans y parvenir, à concilier la doctrine de saint Augustin et celle d’Aristote sur l’âme. La multiplicité des formes sub-tantielles accentuait dans le sens de saint Augustin l’indépendance de l’âme à l’égard du corps, mais compromettait l’unité naturelle du composé humain.

Contre ces deux courants opposés entre eux, saint Thomas veut montrer que l’âme raisonnable est purement spirituelle, sans aucune matière, et par suite incorruptible, et qu’elle est pourtant forme du corps, bien plus l’unique forme du corps, en restant intrin sèquement indépendante de la matière dans ses opé rations intellectuelles et volontaires et dans son être, et qu’une fois séparée du corps, elle reste indioiduée, quoi qu’en disent les averroïstes, par sa relation à tel corps plutôt qu’à tel autre.

Nous soulignerons les principes auxquels saint Thomas a recours pour établir ces conclusions, que les thomistes n’ont cessé de défendre dans la suite, en particulier contre Scot et Suarez, qui conservent quelque chose des théories de l’ancienne scolastique. Scot admet une materia primo prima dans toute substance contingente, même dans les substances spirituelles, puis il tient qu’il y a dans l’homme une « forme de coi porétté dis ! Inotfl de l’âme, et que dans l’âme il y a trois formalités, formellement distinctes : les prin-I Ipet de l.i vie végétative, de la vie sensitive et de la vie. Intellectuelle. Il soutient aussi, contre saint Thom. is. que la matière première, de Quittance absolue, peut exister sans aucune forme. Cette dernière thèse trouve iIkz Suarez ; du fait qu’il rejette la distinction réelle de l’essence et de l’existence, il admet

que la matière première a une existence propre. Nous allons voir que les principes auxquels a recours saint Thomas ne peuvent se concilier avec ces positions.

2° Spiritualité et immortalité de l’âme. I a, q. lxxv. — L’âme humaine n’est pas seulement simple eu inétendue comme l’âme végétative et l’âme animale, elle est spirituelle ou immatéri îlle, c’est-à-dire intrinsèquement indépendante de la matière, et subsistante, de telle sorte qu’elle continue d’exister après être séparée du corps. Cela se prouve par son activité intellectuelle, car l’agir suit l’être, et le mode d’agir manifeste le mode d’être. L’activité intellectuelle est intrinsèquement indépendante de la matière, comme le montre son objet universel qu’elle considère en faisant abstraction de la matière, et où elle découvre des principes universels et nécessaires, qui dépassent sans m ; sure l’expérience limitée aux faits particuliers et contingents. Cf. I a, q. lxxv, a. 5.

Cela est d’autant plus manifeste que le degré d’abstraction est plus élevé. Or, saint Thomas, après Aristote, Métaph., t. I, lect. 10 ; t. III, lect. 7 ; t. VI, lect. 1 ; t. VIII, lect. 1 ; t. XII, lect. 2, distingue trois degrés d’abstraction. Au premier, celui des sciences physiques et naturelles, l’intelligence abstrait de la matière individuelle et considère, non pas ce minéral, ce végétal, cet animal, que perçoivent les sens, mais la nature du minéral, du végétal, de l’animal, et même la nature de tous les corps. Ibid., a. 2. Au deuxième degré d’abstraction, celui des sciences mathématiques, l’intelligence abstrait de toute matière sensible, c’est-à-dire des qualités sensibles, pour considérer la nature du triangle, du cercle, de la sphère ou celle des nombres, et pour déduire de façon nécessaire et par suite universelle leurs propriétés. On voit ici clairement que l’idée du cercle n’est pas seulement une image composite ou moyenne des cercles indiviouels, image dans laquelle les différences individuelles s’élimineraient et les ressemblances se renforceraient, ce qui donnerait un cercle moyen, ri petit, ni grand ; il s’agit de la nature du cercle, de sa définition et de ses propriétés nécessaires et universelles qui se réalisent aussi bien dans un petit ou un grand cercle que dans un cercle moyen. De même, tandis que l’imagination ne peut se représenter clairement un polygone à mille côtés, ni plus ni moins, l’intelligence conçoit très distinctement un tel polygone. L’idée diffère absolument de l’image, parce qu’elle exprime, non pas seulement les phénomènes sensibles de la chose connue, mais sa nature ou essence, qui est la raison d’être de ses propriétés, qui sont rendues ainsi non pas seulement imaginables, mais intelligibles.

Enfin au troisième degré d’abstraction, en métaphysique, l’intelligence abstrait de toute matière, pour atteindre l’être intelligible, qui n’est pas un objet accessible aux sens : ni un sensible propre comme la couleur ou le son, ni un sensible commun à plusieurs sens comme l’étendue ; l’être n’est accessible qu’à l’intelligence ; de même les raisons d’être des choses et de leurs propriétés. Seule l’intelligence peut saisir le sens de ce petit mot est. L’objet de l’intelligence n’est pas la couleur ou le son, mais l’être intelligible ; la preuve en est que toutes ses idées supposent celle de l’être, que l’âme de tout jugement est le verbe être, et que tout raisonnement légitime exprime la raison d’être de la conclusion. L’être intelligible, ne comportant en ce qu’il signifie formellement aucun élément sensible, peut même exister en dehors de toute matière ; aussi l’attlibuont-nOUS à l’esprit, a ce qui est immatériel et à la cause première det esprit s et des corps.

De même à ce troisième degré d’abstraction, l’Intelligence connaît les propriétés de l’être, l’unité, la vérité, la boulé. Elle connaît de même les premleri principes absolument nécessaires et univertelt de con-