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THOMISME. LE TRAITÉ DES ANGES


il y a aussi distinction réelle en eux de la personne ou suppôt et de l’existence, en d’autres termes du quod est et de l’esse, et enfin distinction réelle de la substance, des facultés et de leurs actes ; ces distinctions sont déjà explicitement formulées par saint Thomas. I », q. liv, a. 1, 2, 3.

De cette doctrine de la pure spiritualité des anges, il suit, pour saint Thomas, qu’il ne peut y avoir deux anges de même espèce, car î’individuation de la forme substantielle ou spécifique se fait par la matière, capable de telle quantité plutôt que de telle autre, c’est ainsi que deux gouttes d’eau parfaitement semblables se distinguent l’une de l’autre. Or il n’y a pas de matière dans les anges. Q. l, a. 4. — Pour Scot au contraire, qui admet une certaine matière en eux, il peut y avoir plusieurs anges de même espèce. Suarez, en son éclectisme, admet cette conclusion de Scot, quoiqu’il soutienne avec saint Thomas que les anges sont des esprits purs sans aucune matière. À cela les thomistes répondent : si les anges sont purement spirituels, on ne peut trouver en eux aucun principe d’individuation capable de les multiplier dans la même espèce : forma irrecepta in materia est unica ; si albedo esset irrecepta, effet unica ; le nier, c’est nier le principe par lequel on démontr l’unicité de Dieu : ipsum esse irreceptum est subsistens et unicum. Cf. S. Thomas, I*, q. vii, a. 1 ; q. xi, a. 3.

Connaissance des anges.

Saint Thomas détermine

ce qu’est leur connaissance purement intellectuelle, par l’objet propre qui la spécifie, comparé à celui qui spécifie l’intelligence humaine. Il montre que l’objet de l’intelligence en général, c’est l’être intelligible, que l’objet propre de l’intelligence humaine, en tant qu’humaine, c’est l’être intelligible des choses sensibles, ou l’essence des choses sensibles plus ou moins confusément connue, car la dernière des intelligences, la plus faible de toutes, a pour objet proportionné le dernier des intelligibles dans l’ordre des choses sensibles. Par opposition l’objet propre de l’intelligence angélique est l’être intelligible des créatures spirituelles, ou l’essence angélique de chacun des anges, comme l’objet propre de l’intelligence divine est l’essence divine. I 1, q.xii, a. 4. Ainsi sont nettement distingués trois ordres de vie intellectuelle.

Il suit de là, pour saint Thomas, que, tandis que l’idée humaine est abstraite des choses sensibles singulières par la lumière de l’intellect agent, l’idée angélique n’est pas abstraite des choses sensibles, mais elle est naturaliter indita, infuse par Dieu, au moment de la création de l’ange, comme une suite de sa nature spirituelle. Dès lors l’idée angélique est à la fois universelle et concrète ; elle représente en même temps par exemple la nature du lion et les individus de cette espèce, individus actuellement existants et même les individus passés auxquels l’ange a été attentif et dont il peut garder le souvenir. Les idées angéliques sont ainsi une participation des idées divines, selon lesquelles Dieu produit les choses. C’est dire que les idées innées que Platon et Descartes ont admises pour l’homme, se trouvent véritablement chez les anges.

Ces idées angéliques à la fois universelles et concrètes représentent ainsi des régions entières du monde intelligible et sont comme des panoramas d’ordre suprasensible. Plus les anges sont élevés, plus leur intelligence est puissante et moins leurs idées sont nombreuses, parce qu’elles sont plus universelles et plus riches ; les anges supérieurs connaissent ainsi par très peu d’idées d’immenses régions intelligibles, que les anges inférieurs ne peuvent atteindre avec cette simplicité éminente. Q. lv, a. 3. De même le savant qui possède pleinement une science, la saisit tout entière en ses premiers principes. Bref, plus une intelligence est forte, plus elle se rapproche de l’émi nente simplicité de l’intelligence divine, plus elle atteint d’un seul regard un grand nombre de vérités.

De la nature de l’idée angélique, à la fois universelle et concrète, il suit encore que la connaissance des anges est intuitive et nullement discursive. Ils voient intuitivement et aussitôt le singulier dans l’universel, les conclusions dans les principes, les moyens dans les fins. Q. lviii, a. 3. Pour la même raison, leur jugement ne se fait pas en composant des idées et en les séparart, componendo et dividendo, mais dans leur appréhension purement intuitive tt non pas abstraite de l’essence d’une chose, ils voient ses propriétés, et tout ce qui naturellement lui convient ou non. Ils voient par exemple dans l’essence de l’homme toutes ses propriétés, et que l’essence de l’homme n’est pas son existence, mais participe à l’existence qui lui est donnée et conservée par la causalité divine. Ibid., a. 4.

Si l’on demande pourquoi la connaissance de l’ange est purement intuitive, c’est parce qu’il est esprit pur, ou parce que la force de son intelligence lui permet de voir immédiatement les créatures spirituelles ou l’intelligible créé, tandis que notre intelligence, à cause de sa faiblesse, a pour objet le dernier des intelligibles connu, comme au crépuscule, dans le miroir des choses sensibles, par l’intermédiaire des sens.

Enfin il suit de ce qui précède, q. lviii, a. 5, que l’ange ne peut se tromper sur ce qui convient ou sur ce qui ne convient pas à la nature des choses créées, ainsi connue par pure intuition. Mais il peut se tromper sur ce qui leur convient surnaturellement, par exemple sur l’état de grâce et le degré de grâce d’une âme humaine, car il ne voit pas naturellement la grâce qui est d’un ordre immensément supérieur ; de même il peut se tromper sur les futurs contingents, surtout sur les futurs libres et sur les secrets des cœurs, c’est-à-dire sur nos actes libres qui restent purement immanents, et qui n’ont pas de lien nécessaire ni avec la nature de notre âme ni avec les choses extérieures. Les secrets des cœurs ne sont pas des fragments de l’univers, ils ne résultent pas de l’entrecroisement des forces physiques. Q. lvii, a. 3, 4, 5.

Scot tient au contraire que l’ange, bien qu’il n’ait pas de sens, peut recevoir ses idées des choses sensibles. La raison en est qu’il ne veut pas distinguer spécifiquement les intelligences subordounées par leur objet propre ou formel. Et même, il tient que, si Dieu l’avait voulu, la vision immédiate de l’essence divine serait naturelle à l’ange et à nous ; dès lors la distinction entre l’objet propre de l’intelligence divine et celui des intelligences créées est une distinction non pas nécessaire, mais contingente. À fortiori n’y a-t-il pas pour lui de distinction nécessaire entre l’objet propre de l’intelligence humaine et celui de l’intelligence angélique.

Pour la même raison, Scot nie que les anges supérieurs connaissent par des iaées moins nombreuses et plus universelles. Pour lui, la perfection de la connaissance provient moins de l’universalité des idées que de leur clarté. À quoi les thomistes répondent : si la plus grande clarté empirique ne dépend pas de l’universalité des idées, il n’en e^t pas de même de la clarté doctrinale, qui s’obtient par la lumière des principes supérieurs rattachés eux-mêmes à un principe suprême. Scot tient aussi que l’ange peut connaître discursivement, faire des raisonnements, ce qui paraît diminuer notablement la perfection de l’esprit pur. Par ailleurs, il admet que l’ange peut connaître naturellement avec certitude les secrets des cœurs, bien que Dieu refuse cette connaissance aux démons.

Suarez, dans son éclectisme, admet avec saint Thomas les idées innées ou infuses pour les anges, mais il tient, avec Scot, que l’ange peut raisonner et se trom-