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    1. THOMISME##


THOMISME. LA TRINITÉ DANS LES AMES

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Chacune des trois personnes ne se distingue des autres que par sa relation aux autres, de sorte que, sans aucun égoïsme, cela même qui les distingue les unit en les rapportant l’une à l’autre, comme les trois angles d’un triangle. On entrevoit par là la virtualité du principe qui éclaire tout le traité : In Dco omniu sunt imiiin et idem ubi non obviai relationis oppositio. Les trois personnes divines essentiellement relatives l’une a l’autre constituent ainsi l’exemplaire éminent de la vie de la charité. Chacune peut dire à l’autre : El mea omnia tua sunt, et tua mea sunt ; tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce.qui est à toi est à moi. Joa., xvii, 10. L’union de charité qui doit exister entre les âmes doit être un rcllet de l’union des divines personnes ; c’est la prière du Sauveur : ut omnes unum sint, sicut lii, Pater in me, et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint. Joa., xvii, 21. Comme le Père et le Fils sont un par nature, les croyants doivent être un par la grâce, qui est une participation de la nature divine.

La Trinité n’est pas naturellement connaissable.


Tout ce qui précède montre que la Trinité n’est pas naturellement connaissable, en d’autres termes qu’elle est un mystère essentiellement surnaturel. Saint Thomas le montre beaucoup mieux qu’on ne l’avait fait avant lui, I*, q. xxxii, a. 1 : « Par la raison naturelle on ne peut connaître de Dieu que ce qui lui convient comme cause des êtres créés. Or, il en est cause, par la puissance créatrice, qui est commune aux trois personnes, comme la nature divine dont elle est un attribut. Donc par la raison naturelle on ne peut connaître la distinction des personnes, mais seulement ce qui convient à l’unité de nature. » Ainsi la distinction de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel apparaît de plus en plus explicitement.

Il suit même de là, comme le remarquent généralement les thomistes, que la raison naturelle ne peut pas démontrer positivement la possibilité intrinsèque de ce mystère surnaturel qui dépasse la sphère de la démon strabilité. On montre bien qu’il n’y a pas dans ce mystère de répugnance manifeste, mais on ne montre pas apodictiquement par la seule raison qu’il ne contient aucune contradiction latente. Le concile du Vatican dit au sujet des mystères proprements dits : E naturalibus principiis non possunt intelligi et demonstrari. Denz.-Bannw., n. 1861.

Si du reste la seule raison démontrait positivement et apodictiquement la possibilité réelle ou la parfaite non-répugnance de la Trinité, elle démontrerait aussi son existence. Pourquoi ? Parce que, pour les choses nécessaires — et la Trinité n’est pas contingente — de la réelle possibilité se déduit l’existence : 171 necessariis ex reali possibilitale sequitur existentia ; si par exemple la sagesse infinie est possible en Dieu, elle existe en lui.

Au sujet de la possibilité et de l’existence de la Trinité, la théologie peut donner des raisons de convenance très profondes sans doute, et qu’on peut toujours scruter davantage, mais celles-ci ne sont pas démonstratives. La théologie peut aussi montrer la fausseté ou au moins la faiblesse des objections faites contre ce mystère et établir que ces objections sont aut falsæ aut non necessariæ, comme le dit saint Thomas, In Boelium de Trinitate, a. 3. L’enseignement reçu chez les thomistes et chez la généralité des théologiens est le suivant : possibilitas et a fortiori existentia mysleriorum supernaturalium non probatur, nec improbatur, sed suadetur et defenditur contra neganles.

Les analogies invoquées pour l’intelligence du mystère de la Trinité ont de la valeur dans la mesure où elles sont indiquées par la Révélation elle-même. Ainsi, d’après le Prologue de saint Jean, le Fils unique de Dieu procède de lui comme son Verbe mental. De là on est conduit à penser que la seconde procession se fait par voie d’amour.

Noms propres et appropriations.

La distinction

des personnes nous est mieux manifestée par les noms propres de chacune.

Les noms propres de la première sont l’ère et inengendré, ingenitus, ou principe sans autre principe, principium non de principio. I », q. xxxiii. Par appropriation le Père est appelé créateur, car la puissance créatrice commune aux trois personnes a une affinité spéciale avec sa personne, en ce sens que le Père a la vertu créatrice par lui-même et ne l’a pas reçue d’une autre personne. I », q. xlv, a. 6, ad 2 UI °.

Les noms propres de la deuxième personne sont Fils, Verbe, Image. I », q. xxxiv, xxxv. Par appropriation on lui attribue les œuvres de sagesse, qui ont une affinité spéciale avec le Verbe.

Les noms propres de la troisième personne sont Esprit-Saint, Amour, c’est-à-dire amour non pas essentiel, ni nolionnel, mais personnel, et Don incréé. Cf. !, q. xxxvi, xxxvii, xxxviii. Par appropriation on lui attribue les œuvres de sanctification et d’amour, et pour la même raison l’habitation dans l’âme juste, car cette habitation suppose la charité : caritas Dei diffusa est in cordibus noslris per Spirilum sanctum, qui datus est nobis. Rom., v, 5. La charité nous assimile plus au Saint-Esprit, que la foi obscure ne nous assimile au Verbe ; l’assimilation plus parfaite au Verbe se fera quand nous recevrons la lumière de gloire.

9° L’habitation de la sainte Trinité dans les âmes justes. — Nous ne pouvons exposer ici la doctrine de saint Thomas sur les missions des personnes divines, I », q. xliii ; mais nous devons au moins dire ce en quoi consiste, pour lui et son école, l’habitation de la sainte Trinité dans les âmes justes.

Cette doctrine repose surtout sur ces paroles du Sauveur : « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure. » Joa., xiv, 23. Qui viendra ? Non pas seulement des effets créés : la grâce sanctifiante, les vertus infuses et les sept dons ; mais les personnes divines, le Père et le Fils, dont n’es ! jamais séparé l’Esprit-Saint, promis du reste par Notre-Seigneur et visiblement envoyé à la Pentecôte ; cf. Joa., xiv, 16, 26 ; I Joa., iv, 9-16 ; Rom., v, 5 ; I Cor., iii, 16 ; vi, 19. Cette présence spéciale de la Trinité dans les justes est notablement différente de la présence universelle de Dieu en toutes créatures, comme cause conservatrice.

Diverses explications de cette habitation ont été proposée » ; celle de saint Thomas, celle de Suarez et celle de Vasquez.

Vasquez réduit toute présence réelle de Dieu en nous à la présence générale d’immensité, selon laquelle Dieu est présent en toutes les choses qu’il conserve dans l’existence. À titre d’objet connu et aimé, Dieu n’est pas réellement présent dans le juste, il y est seulement comme représenté à la manière d’une personne absente, mais très aimée. Cette opinion diminue beaucoup la présence spéciale de Dieu dans les justes.

Suarez, au contraire, soutient que, même si Dieu n’était pas déjà présent dans les justes par sa présence générale d’immensité, il deviendrait réellement et substantiellement présent en eux, à raison de la charité qui nous unit à lui. — Cette opinion se heurte à cette très forte objection : bien que, par la charité, nous aimions l’humanité du Sauveur et la sainte Vierge, il ne s’ensuit pas qu’ils soient réellement présents en nous, qu’ils habitent en notre âme. La charité par elle-même constitue une union affective sans doute, et fait désirer l’union réelle, mais comment constituerait-elle celle-ci ?

Jean de Saint-Thomas, In 7, iii, q. xliii, a. 3, disp. XVII, n. 8-10, et le P. A. Gardeil, La structure de l’âme et l’expérience mystique, 1927, t. ii, p. 7-60, ont