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THOMISME. CRÉATION, MOTION DIVINE


c) Création dans le temps. — D’après la Révélation. Dieu a créé l’univers dans le temps, à l’origine du temps, non ab œterno ; en d’autres termes : le monde a Commencé, il y a eu un premier jour. Ce point de doctrine, selon saint Thomas, ne saurait être démontré, c’est un article de foi. I », q. xlvi, a. 2.

Pourquoi ? Parce que la création dépend de la liberté divine, et que Dieu aurait pu créer des milliards de siècles plus tôt, et toujours plus tôt, de telle sorte même que le monde n’aurait pas commencé, et n’aurait eu à l’égard de Dieu qu’une postérité de nature et de causalité ; il n’y aurait pas eu de premier jour. Ainsi l’empreinte du pied dans le sable suppose le pied, mais si le pied était ab œterno dans le sable. L’empreinte y serait aussi dès toujours. D’après la Révélation, les créatures spirituelles ne finiront pas, les corps eux-mêmes après la résurrection générale dureront toujours, de même le monde aurait pu ne pas commencer, il aurait pu être créé ab œterno et conservé par Dieu. Cf. Conl. Gent., t. II, c. xxxiv, et surtout xxxviii.

Ce que saint Thomas montre, ibid., c. xxxi-xxxvii, contre les averroïstes de. son temps, c’est qu’il n’est pas nécessaire que le monde ait été produit par Dieu ab œterno. Sans doute l’action créatrice en Dieu est éternelle, elle est en lui formellement immanente et virtuellement transitive, mais, comme elle est libre, elle peut faire que son effet commence dans le temps à tel instant choisi de toute éternité. Il y a ainsi novilas divini effeclus absque novitate actionis diuinæ ; cf. ibid., t. II, c. xxxv et I », q. xlvi, a. 1, ad 9um.

2. Conservation.

Si l’on entend bien cette doctrine de la création, on voit qu’elle a pour conséquence celle de la conservation. I a, q. civ. Si Dieu cessait un instant de conserver les créatures, elles seraient aussitôt annihilées, comme la lumière cesse lorsque le soleil disparaît. La raison en est que l’être des créatures, composées d’essence et d’existence, est de l’être par participation, qui dépend toujours de l’Être par essence, en qui seul l’essence et l’existence sont identiques. Cf. N. del Prado, De veritate fundamentali philosophiæ christianæ, 1911, p. 404-415.

Dieu en effet n’est pas seulement cause du devenir des créatures, mais aussi et directement de leur être. Le père qui engendre un fils n’est directement cause que du devenir, de la génération de celui-ci, qui par suite, peut continuer à vivre après la mort de son père. Il y a au contraire des causes dont dépend la conservation de l’être de leur effet : supprimez la pression atmosphérique et la chaleur solaire, l’animal le plus vigoureux ne lardera pas à mourir. Si la lumière n’est pas conservée par le foyer d’où elle provient, elle disparaît ; si la sensation n’est pas conservée par l’influence de l’objet senti, elle disparaît aussi. De même dans l’ordre intellectuel, si l’on oublie les principes on ne peut plus saisir la valeur des conclusions et, si l’on ne veut plus la liii, le désir des moyens disparaît.

C’est le propre d’une cause de même espèce que son effet, d’être seulement cause du devenir de celui-ci. Il est de toute évidence que l’être de l’effet ne peut dépendre d’elle directement, car elle est aussi pauvre que lui, elle participe comme lui à une perfection, que l’un et l’autre ne peuvent tenir que d’une cause supérieure.

C’est au contraire le propre d’une cause qui reste d’ordre supérieur à ses effets d’être cause directe non seulement de leur devenir, mais de leur être. Ainsi le principe à l’égard de ses conséquences et la valeur de la fin à l’égard des moyens. Or, Dieu, cause suprême, est l’Être même subsistant et toute créature est être par participation, composé d’essence et d’existence. Et donc loufe créature a besoin d’être conservée par Dieu pour continuer à exister. L’action conservatrice, supérieure au mouvement et au temps, est la continuation

de l’action créatrice, un peu comme l’influx continu du soleil conserve la lumière. I a, q. civ, a. 1, ad 4 am.

Dieu, qui conserve ainsi immédiatement l’existence même des créatures, est, par son action conservatrice, plus intime aux choses qu’elles-mêmes. I », q. viii, a. 1.

3. Motion divine.

Enfin Dieu meut toutes les causes secondes à leurs opérations, I", q. cv, a. 5, selon les paroles de l’Écriture, Is., xxvi, 12 : Omnia operalus es in nobis ; Act., xvii, 28 : In ipso enim vivimus, movemur et sumus ; I Cor., xii, 6 : Operatur omnia in omnibus.

Il ne faut point l’entendre, comme les occasionnalistes, en ce sens que Dieu seul agirait en toutes choses, que le feu ne chaufferait pas, mais Dieu dans le feu ou à l’occasion du feu. On ne doit pas non plus aller à l’autre extrême et soutenir que la cause seconde peut agir sans motion divine, qu’elle est plutôt coordonnée que subordonnée à la cause première, comme deux hommes qui tirent un navire.

Saint Thomas prend ici une posilion supérieure à ces deux conceptions opposées entre elles. L’agir suit l’être et le mode d’agir suit le mode d’être. Donc Dieu seul, qui est l’Être par soi, agit par soi, tandis que la créature qui est être par participation en dépendance de Dieu, n’agit aussi qu’en dépendance de la motion divine. Cf. I a, q. cv, a. 5 : « Dieu non seulement donne aux créatures leur forme ou nature, mais il les conserve dans l’être, les applique à agir, applicat eas ad agendum, et il est la fin de leurs actions. » Ibid.. ad 3um. Si la créature passait de la puissance à l’acte d’agir sans motion divine, le plus sortirait du moins, contrairement au principe de causalité, et les preuves de l’existence de Dieu par le mouvement et par les causes efficientes perdraient leur valeur. Cf. Cont. Gent., t. III, c. lxvii ; De potentia, q. iii, a. 7, où il est dit : Sic ergo Deus est causa actionis cujuslibet in quantum dat virtutem agendi, et in quantum conservai eam et in quantum applicat aclioni, et in quantum ejus virtute omnia alia virtus agit. Et ibid., ad 7um : Rei naturali conjerri non poluit quod operaretur absque operatione divina. Les thomistes n’ont rien dit de plus explicite. Cf. la 24e des xxiv thèses thomistes.

On sait que Molina, Concordia, éd. Paris, 1876, p. 152, a écrit : Duo sunt quæ mini difjicultatem pariunt circa doclrinam hanc D. Thomæ. Primum est, quod non videam, quidnam sit motus ille et applicatio in causis secundis, qua Deus illas ad agendum moveal et applicet. Pour Molina le concours général de Dieu est un concours simultané, il n’influe pas sur la cause pour l’appliquer à agir, mais immédiatement sur son effet, non secus ac cum duo trahunt navim. Cf. ibid., p. 158. Suarez a conservé cette manière de voir, cf. Disp. Met., XXII, sect. 2, n. 51 ; sect. 3, n. 12 ; sect. 1.

A cela les thomistes répondent : la cause seconde serait alors coordonnée et non pas subordonnée dans sa causalité à la cause première, et son passage de la puissance à l’acte ne s’expliquerait pas. Il faut dire au contraire que ce sont deux causes dont l’une est subordonnée à l’autre ; de la sorte tout l’effet est de Dieu comme de la cause première et il est tout entier de la créature comme de la cause seconde ; ainsi le fruit est tout entier de l’arbre comme de son principe radical, et du rameau qui le porte, comme de son principe prochain. Et de même que Dieu, cause première, actualise la vitalité des fonctions de la plante et de l’animal, ainsi il peut éclairer, fortifier notre intelligence, et actualiser notre liberté, sans la violenter en rien, comme nous l’avons vu plus haut, en parlant de la volonté divine.

Nous n’insistons pas sur cette question que nous avons longuement traitée ici-même à l’article Prémotion physique, t. xiii, col. 31-77.