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THOMISME. PROVIDENCE ET PRÉDESTINATION


truit la liberté, pourquoi la détruirait-elle lorsqu’il s’agit de nos actes salutaires ?

Si du reste Dieu n’était pas déterminant, il serait déterminé et dépendant, dans la prescience des futuribles, de la détermination créée qui ne viendrait pas de lui. C’est à cela qu’il faut toujours revenir.

Il faut dire selon saint Thomas, qu’aucun bien n’arrive hic et nunc, sans que Dieu l’ait efficacement voulu de toute éternité, et aucun mal sans que Dieu l’ait permis.

Ainsi saint Thomas après saint Paul et saint Augustin, a entendu la parole de Ps., cxxxiv, 6 : In cselo et in terra omnia quæcumque voluit Deus, fecit.

Il dit équivalemment I », q. xix, a. 6, ad l am : Quidquid Deus simpliciter vult, fit ; licet illud quod antecedenter vult, non fiât. Ainsi Dieu a voulu simpliciter la conversion libre du bon larron, et antecedenter celle de l’autre. Il y a là certes un mystère impénétrable, celui de la prédestination, mais il faut tenir que tout ce qu’il y a de bon dans notre détermination libre vient de Dieu comme de la cause première, et qu’aucun bien n’arrive hic et nunc sans que Dieu l’ait efficacement voulu de toute éternité.

Constamment saint Thomas affirme que tout ce qu’il y a de réel et de bon, quidquid perfectionis est, dans nos actes libres vient de Dieu, auteur de tout bien ; c’est seulement ce qui est désordonné en nos actes qui ne vient pas de lui, tout comme la claudication ne vient pas de l’énergie qui porte le boiteux à marcher. Motio divina perfecte præscindit a malitia actus mali, disent toujours les thomistes, pour cette bonne raison que la malice ou le mal moral est en dehors de l’objet adéquat de la volonté et de la puissance de Dieu, au moins autant que le son est en dehors de l’objet de la vue. Nihil magis prsecisivum est quam objectum formale alicujus potentix, disent les mêmes théologiens ; rien de plus précisif que l’objet formel d’une puissance ; c’est ainsi que le bien réel est atteint par l’intelligence comme vrai et par la volonté comme bien désirable. La volonté divine ne peut pas vouloir le désordre, ni la puissance divine ne peut le réaliser, il vient donc uniquement de la cause seconde défectible et déficiente.

Résumé : Pour condenser cette doctrine sur l’efficacité de la volonté divine par rapport à nos actes libres salutaires, et montrer son lien avec les principes communément reçus, rappelons que tous les théologiens accordent que ce qu’il y a de meilleur dans l’âme des saints sur la terre vient de Dieu ; or, ce qu’il y a de meilleur en eux, c’est précisément la détermination libre de leurs actes méritoires, surtout de leurs actes d’amour de Dieu et du prochain. À cette détermination en effet sont ordonnés tous les dons qu’ils ont reçus : la grâce habituelle, les vertus infuses, les dons du Saint-Esprit, les grâces actuelles de lumière, d’attrait, de force. C’est dire que les principes généraux acceptés par tous les théologiens inclinent certainement à admettre la doctrine thomiste. On ne peut soustraire à la causalité divine ce qu’il y a de meillrui en nous ; le soustraire, ce serait poser en Dieu, en sa prescience des fulurihles, une dépendance à l’égard fie nos déterminations, qui, comme telles OU formelle ment, ne viendraient pas de lui. Tel est le sens à la fois simple et profond de la doctrine thomiste sur l’efflca-I -il « - du vouloir divin.

A la lumière de ces principes, saint Thomas montre < e. <|u’est l’amour de I)ieu pour nous, comment il aime davantage les meilleurs, en leur donnant ce par quoi lia ont meilleurs. I », q. xx, a. 3 et 4. Il montre atUfl que la miséricorde et l ; i jusli’e sont les deux grande ! vertus de la volonte divine et que leurs actes procèdent de l’amour du souverain Bien. I.’amour du Bien su prême, Cil tant que < i lui ri ; i droit a être préfère ; i tout

autre, est le principe de la justice. L’amour du Bien suprême, en tant que celui-ci est diffusif de soi, est le principe de la miséricorde, qui l’emporte sur la justice, en ce sens qu’elle est, comme la bonté rayonnante, la première expression de l’Amour. Cf. I », q. xxi, a. 4.

Providence et prédestination.

Après avoir exposé

les principes de la synthèse thomiste relatifs à la science et à la volonté de Dieu, il n’est pas nécessaire d’insister beaucoup sur les conclusions qui dérivent de ces principes au sujet de la providence et de la prédestination. Nous avons du reste exposé ici-même la doctrine de saint Thomas et des thomistes sur ces deux points, aux articles Providence, t. xiii, col. 998-1023, et Prédestination, t.xii, col. 2940-2959 et 29843022. Nous ne noterons ici que l’essentiel.

1. Preuve.

La preuve a posteriori de l’existence de la providence est tirée de l’ordre du monde, I », q. ii, a. 3, nous en avons parlé plus haut. La preuve quasi a priori dérive de ce qui a été dit de l’intelligence et de la volonté divines. Elle peut se résumer ainsi : En tout agent intelligent préexiste la raison ou l’idée de chacun de ses effets. Or, Dieu, par son intelligence, est cause de tout bien créé et par suite de l’ordre des choses à leur fin, surtout à leur fin ultime. Donc en Dieu préexiste la raison de l’ordre des choses à leur fin ou leur ordination suprême, que nous appelons la providence.

Cette notion n’implique aucune imperfection ; aussi, par analogie avec la prudence et. la prévoyance du père de famille ou du chef d’État, nous pouvons et devons parler de la providence divine au sens propre du mot, et non pas seulement par métaphore. Elle est dans l’intelligence divine, la raison de l’ordre ou de l’ordination de toutes choses à leur fin, et le gouvernement divin est l’exécution de cet ordre. I a, q. xxii, a. 1.

La providence (comme prévision et ordination) est dans l’intelligence divine, mais elle présuppose la volonté de la fin à atteindre. Nul en effet ne dispose et ne prescrit ce qu’il faut faire en vue d’une fin sans la vouloir.

2. Nature.

Comme l’expliquent généralement les thomistes : 1. Dieu veut comme fin manifester sa bonté ; 2. il juge des moyens aptes à cette fin, et parmi les mondes possibles, connus par sa science de simple intelligence antérieure à tout décret, il a jugé comme apte à la fin voulue ce monde possible, où se subordonnent les ordres de la nature et de la grâce, avec la permission du péché, et l’ordre d’union hypostatique constitué par l’incarnation rédemptrice ; 3. il a choisi librement ce monde possible et ses parties comme. moyen de manifester sa divine bonté ; 4. il commande l’exécution de ces moyens par un acte intellectuel, Vimperium, qui suppose les deux actes efficaces de volonté appelés l’intention de la fin et l’élection ou choix des moyens. La providence, selon saint Thomas et son école, consiste formellement dans cet imperium ou commandement. I », q. xxii, n. 1, ad l um. Quant au gouvernement divin, il es ! l’exécution dirigée par la providence, ou l’exécution du plan providentiel. Ibid., ad 2° m.

On voit dès lors que la providence présuppose non seulement la volonté divine antécédente ou conditionnelle et inefficace, mais aussi la volonté divine conséquente, absolue et efficace, de manifester la bonté de Dieu par les moyens choisis par lui, c’est-à-dire par l’ordre de la nature, l’ordre de la grâce (avec permission du péché) et par celui de l’incarnation rédemptrice. Cela suppose manifestement la volonté antécédente de sauver tous les hommes (en vertu de laquelle Dieu, qui ne commande jamais l’impossible, rend l’accomplissement de ses préceptes réellement possible à tous) et la volonté conséquente de conduire efficacement au salut tous ceux qui de fait seront sauvée. C’est