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THOMISME. VOLONTÉ DIVINE ET AMOUR


sent s dans l’éternité. Cette science en effet, n’est pas mesurée par le temps, elle n’attend pas l’arrivée des événements pour les connaître ; elle est mesurée, comme l’être de Dieu, par l’unique instant de l’immobile éternité, qui enveloppe toute la durée des siècles : œternitas ambit lolum tempus. Ainsi le sommet d’une pyramide correspond à chacun des points de sa base et un observateur placé sur le sommet d’une montagne voit d’un seul regard toute une armée qui défile dan ? la vallée. A. 13. Mais il est bien évident, comme le remarquent tous les thomistes, que tel événement futur ne serait pas présent dans l’éternité, si Dieu ne l’avait pas voulu ou tout au moins permis, suivant qu’il s’agit d’un bien ou d’un mal. Il est clair par exemple que la conversion de saint Paul plutôt que sa résistance est présente de toute éternité au regard de Dieu, seulement parce que Dieu l’a voulue, et le péché de Judas uniquement parce que Dieu l’a permis.

Ainsi à l’égard des événements, qui en eux-mêmes sont futurs, la connaissance divine reste intuitive, car c’est la connaissance de ce que Dieu veut réaliser, réalise ou de ce qu’il permet. II voit son action réalisatrice qui est éternelle, bien que l’effet de celle-ci soit temporel et ne se produise qu’à l’instant choisi par Dieu de toute éternité. Il voit aussi ses éternelles permissions en vue d’un bien supérieur, dont lui seul est juge.

Nos actes libres et salutaires, Dieu les voit de toute éternité dans la décision éternelle qu’il prend de nous donner sa grâce pour les accomplir. Il les voit dans sa lumière à lui, il les voit librement accomplis sous sa grâce, qui fortiter et suaoiter actualise notre liberté au lieu de la détruire, il les voit concourir à sa gloire et à la nôtre. C’est ce que montre, plus explicitement la doctrine thomiste relative à la volonté divine.

La volonté de Dieu et son amour.

L’intelligence

divine, qui connaît le bien suprême, ne peut pas exister sans la volonté divine qui aime et veut le bien, et se complaît en lui. Cette volonté ne peut être, comme en nous, une simple faculté de vouloir ; elle serait imparfaite si elle n’était pas par elle-même toujours en acte, et l’acte premier de la volonté, c’est l’amour du bien, amour tout spirituel comme l’intelligence qui le dirige ; tous les actes de volonté procèdent en effet de l’amour du bien, qui a pour conséquence la haine du mal. Il y a donc nécessairement en Dieu un acte tout spirituel et éternel d’amour du bien, du souverain Bien qui n’est autre que l’infinie perfection de Dieu, la plénitude de l’être. Cet acte d’amour est parfaitement spontané, mais il n’est pas libre ; il est au dessus de la liberté : Dieu s’aime nécessairement lui-même, parce qu’il est la bonté infinie, qui ne peut pas ne pas être aimée lorsqu’elle est immédiatement connue telle qu’elle est en soi ; Dieu s’aime infiniment et cet amour s’identifie avec le souverain Bien toujours aimé. Cf. I », q. xix, a. 1 ; q. xx, a. 1.

1. Souveraine liberté de ta volonté divine.

De ces principes communément reçus, saint Thomas déduit que Dieu, comme l’enseigne la Bévélation, veut très librement l’existence des créatures, sans aucune nécessité ni physique, ni morale. Il est incliné sans doute à la vouloir, car le bien est diffusif de soi, la bonté est communicative ; mais c’est très librement qu’il crée, car sa souveraine bonté peut exister sans aucune créature, et celles-ci ne peuvent accroître en rien son infinie perfection. Le bien sans doute est diffusif de soi, mais il faut distinguer l’aptitude à se communiquer et la communication actuelle. De plus cette communication actuelle, dans les causes déterminées ad unum ou nécessaires, est elle-même nécessaire, ainsi le soleil éclaire et réchauffe, tandis que, dans les causes libres ou non déterminées ad unum, cette communication actuelle est libre, ainsi le sage communique librement

sa sagessï et sa bonté. Ainsi encore Dieu crée librement et la communication qu’il nous fait d’une participation de sa bonté ne rend pas Dieu lui-même plus parfait, c’est la créature qui est perfectionnée par le don reçu.

Tandis que Leibniz disait : « Dieu ne serait ni bon ni sage s’il n’avait pas créé », Théod., c. V.Bossuet répondait : « Dieu n’est pas plus grand pour avoir créé l’univers. » C’est l’expression très simple et splendide de la doctrine contenue dans l’article 3 de la question xix de saint Thomas. L’acte créateur n’ajoute pas à Dieu une perfection nouvelle, non melioratus est Deus. Cet acte libre s’identifie du reste avec l’amour que Dieu se porte à lui-même, mais à l’égard de Dieu cet acte d’amour spontané (non coactus) est nécessaire, et à l’égard des créatures il est libre, car les créatures n’ont pas droit à l’existence, et Dieu n’a pas besoin d’elles pour posséder son infinie perfection et y trouver sa béatitude essentielle. La fin qui attire à elle et l’agerjt qui agit perfectionnent, mais ne sont pas par là-même rendus plus parfaits. On voit par cet article 3 de la question xix quelle distance sépare ici saint Thomas de Platon et d’Aristote, pour qui le monde est une irradiation nécessaire de Dieu.

2. En quel sens faut-il dire que la volonté divine est cause des choses, a. 4 ? — Ce n’est pas seulement en ce sens que Dieu les produit et les conserve librement, mais en ce sens qu’il les produit et les conserve par sa volonté. En cela il diffère par exemple de l’homme, qui engendre librement sans dovte, mais en raison de sa nature même et non pas par volonté ; d’où il suit que l’homme ne peut engendrer qu’un homme et non pas des êtres d’espèce différente.

Saint Thomas formule très exactement à ce sujet, a. 4, le principe d’induction : une même cause naturelle ou déterminée ad unum, dans les mêmes circonstances produit toujours le même effet, l’homme engendre l’homme, le bœuf engendre le bœuf :

Agens naturale secundum quod est taie, agit, unde quamdiu est taie non facit nisi taie ; omne enim agens per naturam, habet esse determinatum. Cum igitur esse divinum non sit determinatum (seu limitatum), sed contineat in se totam perfectionem essendi, non potest esse quod agat per necessitatem naturæ nisi forte causaret aliquid indeterminatum et infinitum in essendo, quod est impossibile (q. vii, a. 2). Non igitur agit per necessitatem naturæ sed eflectus determinati ab infinita ipsius perfectione procedunt secundum determinationem voluntatis et intellectus ipsius.

C’est la réfutation d’une des principales thèses de l’averroïsme. Les effets les plus variés procèdent de l’infinie perfection de Dieu selon la détermination de sa volonté et de son intelligence. Ibid., a. 4. Ce vouloir de Dieu n’a pas de cause extérieure à lui, et il n’y a pas en Dieu deux actes : le vouloir de la fin et celui des moyens ; mais un seul et même acte par lequel il veut la fin et les moyens pour elle : vult hoc esse proplcr hoc, sed non propler hoc vult hoc. Ibid., a. 5.

On s’explique dès lors que la volonté efficace dé Dira s’accomplit toujours infailliblement, c’est le sens de la parole du Psaume cxxxiv, 6 : Omnia qutecumque voluit Deus, fecit. Rien de réel et de bon en effet ne peut arriver en dehors de la causalité universelle de Dieu, car nulle cause seconde ne peut agir qu’avec son concours, et le mal n’arrive jamais sans une permission divine. Ibid., a. 6.

Mais cela pose la question de la volonté inefficace, surtout de celle par laquelle Dieu veut sauver tous les hommes, alors que de fait tous ne sont pas sauvés. Comment concevoir en Dieu cette velouté inefficace ? Saint Thomas (ibid., a.’», ad l um) répond : c’est une volonté conditionnelle, dite antécédente, qui porte sur ce qui est bien en soi, indépendamment des circons-