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THOMISME. LA SCIENCE DIVINE


l’intime conciliation de la volonté salviflque universelle et de la gratuité de la prédestination. Ce serait connaître comment se concilient intimement, dans l’éminence de la Déité, l’infinie miséricorde, l’infinie justice et la suprême liberté, qui a miséricordieusement choisi celui-ci plutôt que celui-là.

Cette contemplation théologique de l’éminence de la Déité, si elle est unie à l’amour de Dieu, peut disposer à recevoir la contemplation infuse, qui procède de la foi vive éclairée par les dons d’intelligence et de sagesse ; celle-ci atteint dans l’obscurité d’une façon supérieure et ineffable la Déité, que saint Paul, I Tim., vi, 16, appelle « la lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir », tant qu’il n’a pas reçu la lumière de gloire.

La science de Dieu.

La doctrine de saint Thomas

sur la science ou la connaissance intellectuelle de Dieu, si on la considère en ses principes, se ramène à ces lignes essentielles : cf. I », q. xiv.

" 1. La science de Dieu en général. — L’immatérialité est la raison pour laquelle un être est connaissant, et plus il est immatériel, plus il est connaissant. Or, Dieu est souverainement immatériel, car il dépasse non seulement les limites de la matière, mais toute limite d’essence, puisqu’il est l’Être même, infiniment parfait. Il est donc souverainement intelligent. A. 1.

Il se connaît lui-même et se comprend autant qu’il est connaissablc, c’est-à-dire infiniment, a. 2 et 3 ; bien plus, comme il est Acte pur, il n’y a pas en lui une faculté intellectuelle distincte de l’acte d’intellection et de l’objet divin connu, mais il est la Pensée même ou l’intellection éternellement subsistante. Pour se connaître, il n’a pas besoin comme nous de se former une idée de lui-même, un verbe intérieur qui soit comme un accident, un mode de sa pensée, car son essence n’est pas seulement intelligible en acte, mais elle est la Vérité même toujours actuellement connue, non solum intelligibilis in aclu, sed intellecta in actu. Si la Révélation nous dit que Dieu le Père s’exprime en son Verbe, ce n’est pas par indigence, par le besoin de se faire une idée de lui-même, mais par surabondance ; du reste le Verbe divin n’est pas accidentel, comme le uôtre, mais substantiel. Il n’y a donc dans l’Acte ; pur aucune distinction entre le sujet connaissant, l’intelligence, l’intellection, l’idée et l’essence (Urine connue. Son acte de pensée ne peut être un accident de sa substance ; il s’identifie avec elle. A. 4. Comme l’avait dit Aristote, Dieu est la Pensée de la Pensée, un pur éclair intellectuel éternellement subsistant, ipsum inlclligcrc subsislens.

Comment Dieu connaît-il ce qui n’est pas lui, les réalités possibles, celles actuellement existantes et les événements futurs ? Saint Thomas, a. 5, montre d’abord que la connaissance divine ne peut, comme la nôtre, dépendre des choses créées, être mesurée par elles ; ce serai’admettre en Dieu une passivité, qui est Inconciliable av< la perfection de l’Acte pur. Bien au contraire les choses ne sont possibles, existantes et futures qu’en dépendance de l’Etre par essence, car il I i’u que lien ne peut exister en dehors de lui sans un rapport de causalité ou de dépendanc i a son égard. saint Thomas a-t-il écrit : Alia a se videt Deus non in ipsi.% (dependente.r ab ipsis), sed in seipso, ibiil.. a.’; tandis que nous ne connaissons les choses

divines et les spirituelles que dans le miroir des choses sensibles, ou d’en lias, Dieu connaît les choses sensibIm et toutes les réalités créées d’en haut, en lui-même,

spiritualité absolue. Il faut doue dire, et c’est

la solution du problème : Dieu connaît parfaitement tout ce qu’il est) tout ce qu’il peut, tout ce qu’il veut réaliser dans le temps, tout ce qu’il réalise actuelle ment, tout ce qu’il voudrait réaliser s’il n’avait en vue une fin plus haute, et enfin tout ce qu’il permet pour

un bien supérieur. Tout cela s’exprime aisément sans néologismes, sans terminologie spéciale, il suffit des termes généralement reçus, pourvu qu’on en pénètre bien le sens. Ainsi il connaît en lui-même tout ce qui est connaissable, tout ce à quoi s’étend son omniscience.

Dès lors en effet que Dieu connaît tout ce qu’il peut produire, il connaît tous les possibles, leur multitude absolument innombrable et véritablement infinie ; tout ce qui ne répugne pas à l’existence, tous les mondes possibles et les multiples combinaisons de chacun. A. 6.

Connaissant tout ce qu’il veut réaliser dans le temps et tout ce qu’il réalise actuellement, Dieu connaît tous les êtres qui se succèdent dans le temps et tous leurs actes et il les connaît non pas seulement en général de façon confuse, mais en particulier et distinctement, a. 6, car tout ce qu’il y a de réel en eux vient de lui comme de la cause première, même la matière qui est le principe d’individuation des corps. Les moindres particularités des créatures sont encore de l’être, du réel, qui ne peut être produit sans que Dieu le réalise, soit sans le concours des causes secondes (création), soit avec leur concours (motion). La science divine des choses n’est donc pas discursive, mais intuitive, c’est l’intuition que Dieu a de tout ce qu’il peut réaliser et réalise. A. 7.

Cette science divine est cause des choses, en tant qu’elle s’unit à la volonté divine qui, parmi tous les possibles, veut librement réaliser ceux-ci plutôt que les autres. A. 8. La science divine d>js possibles, ne supposant aucun décret de la volonté divine, s’appelle science de simple intelligence. La science divine, qui porte sur les réalités existantes, passées ou futures, du fait qu’elle suppose un décret de la volonté divine s’appelle science d’approbation à l’égard de tout ce qu’il y a de réel et de bon dans l’univers.

Dieu connaît le mal par opposition au bien et en tant qu’il ne l’empêche pas, ou le permet. A. 10. Nul mal physique ou moral ne peut arriver sans que Dieu le permette pour un bien supérieur. Et donc par cela seul que Dieu connaît tout ce qu’il permet, il connaît tout le mal qui est, a été et sera dans le monde.

2. Que jaul-il entendre par la science des julurs conditionnels ? — Cela dérive de ce qui précède. Le bien opposé au mal permis, Dieu ne l’a pas efficacement voulu, mais il a pu le vouloir conditionnellement. En ce sens il voudrait conserver la vie de la gazelle, s’il ne permettait pas sa mort pour la vie du lion ; il empêcherait la persécution, s’il ne jugeait bon de la permettre pour la sanctification des justes et la gloire des martyrs ; il voudrait le salut de tel pécheur, de Judas par exemple, s’il ne permettait pas sa perte pour manifester la justice divine.

Dieu connaissant tout ce qu’il voudrait réaliser et tout ce qu’il réaliserait, s’il n’y renonçait pas pour une tin plus haute, connaît ainsi les futurs conditionnels ou juturibles, qui supposent un décret conditionnel de la volonté divine. Les fciluribles sont en effet un milieu entre les possibles et les futurs ; ce serait une grave erreur de les confondre avec les possibles. Tel est l’enseignement de tous les thomistes, en quoi ils s’opposent à la théorie moliniste de « la science, moyenne, ou de la connaissance divine des futurs libres conditionnels antérieurement à tout décret divin. Cette t lie arie, aux yeux des thomistes, conduit à admettre en Dieu une dépendance, une passivité de sa science, à l’égard d’une détermination d’ordre créé qui ne viendrait pas de lui. Si Dieu, disent les thomistes, n’est pas déterminant, il est déterminé, il n’y a pas de milieu. Ce dilemme leur paraît insoluble.

La science que Di< u a des futurs contingents ne porte pas sur eux comme futurs, mais comme pré-