chose, dit Tauler, de bien plus élevé et de bien plus intérieur que les facultés, car c’est du Gemùt que les facultés reçoivent leur puissance d’action ; elles sont en lui, elles sont sorties de lui et il leur est cependant immensément supérieur à toutes. Il est tout à fait simple, essentiel et formel. » Vetter, serm. lxiv, p. 350 ; Hugueny, t. ii, p. 360. Le Gemùt est plus puissant que les facultés. Il « peut garder, sans interruption, son attache à Dieu et maintenir son intention, tandis que les facultés n’ont pas le pouvoir d’être constantes dans leur attachement… Le Gemùt est une chose délicieuse. En lui sont rassemblées toutes les facultés : raison, volonté, mais il leur est lui-même supérieur ; il a quelque chose de plus. Au-dessus de l’activité des facultés, il a un objet intérieur et essentiel… » Vetter, serm. lvi, p. 262, 261 ; Hugueny, t. iii, p. 161, 160.
Le fond de l’âme qu’est-il en lui-même ? Il est un dynamisme, une activité de l’âme qui l’incline foncièrement à revenir à son origine : « Les maîtres disent, déclare Tauler, que le Gemùt de l’âme est si noble qu’il est continuellement actif, pendant le sommeil comme pendant la veille — que nous en ayons conscience ou non — et qu’il a vers Dieu une perpétuelle inclination de retour, inclination déiforme, divine, ineffable, éternelle. D’autres disent qu’il contemple toujours Dieu, qu’il l’aime et en jouit sans cesse. Qu’en est-il de ce dernier point ? Nous ne nous en occupons pas pour le moment ; mais retenons que le Gemùt se reconnaît Dieu en Dieu, tout en étant cependant créé. » Vetter, serm. lxiv, p. 350 ; Hugueny, t. ii, p. 360-361. Le fond de l’âme est appelée par quelques docteurs « une étincelle de l’âme ». « Cette étincelle, dit Tauler, s’élance si haut, lorsqu’elle est bien disposée, que l’intelligence ne peut pas la suivre car elle ne s’arrête pas avant d’être rentrée dans le Fond [divin] d’où elle s’est échappée et où elle était à son état d’incréée. » Vetter, p. 347 ; Hugueny, t. ii, p. 354 ; cf. Vetter, serm. lvi, p. 261 ; Hugueny, t. iii, p. 1 (il.
Nous verrons plus loin ce qu’est cet état incréé où retourne le fond de l’âme. Remarquons, avec Tauler du reste, que ce retour du fond de l’âme en Dieu fait penser au retour néoplatonicien de l’âme dans l’Un : « Proclus, dit-il, un maître païen, nomme cela un sommeil, un silence, un divin repos et dit : « Nous avons « une secrète recherche de l’Un qui dépasse de beaucoup la raison et l’intelligence. » Vetter, serm. lxiv, p. 350 ; Hugueny, t. ii, p. 361.
Le P. Hugueny traduit le mot Gemùt par l’expression vouloir-foncier », Sermons de Tauler, Introduction, t. i, p. 80. Cette expression désigne bien le dynamisme du fond de l’âme, mais ne suggère pas l’idée de réceptivité qui convient au Gemùt et que le I’. Hugueny n’a garde, d’ailleurs, de méconnaître. Le fond de l’âme est. in effet, une réceptivité, « une capacité passive, prédisposition < à entrer en communication directe et immédiate avec l’Être infini ». P. Noël, Œuvres complètes de Tauler, Paris, 1911, t. i, p. 45 Bq. (.Yst dans ce fond que l’âme a reçu l’image de la sainte Trinité. Car Tauler s’écarte résolument de la pensée du Docteur angélique au sujet de la partie de l’âme on réside ici te Image : i Les maîtres parlent beau
coup de cette image [de la sainte Trinité |… C’est ain, i que Ions les docteurs disent qu’elle réside, à proprement parler, dans les facultés supérieures, dans la
mémoire, l’intelligence et la volonté ; c’est par ces (acuités que nous sommes vraiment capables de reci voir la sainte Trinité et d’en jouir… > Mais d’autres
maîtres disent, et cette opinion est de beaucoup el
Indiciblement supérieure, que l’image de la Trinité
résiderait dans le plus intime, au plus seeiel, dans le tréfond de l’âme, la ou, dans ce fond, elle a Dieu essentiellement . réellement et substantiellement. » Vetter, wrm. ut », p. 300 ; Hugueny, t. ii, p. ti « 69 ; cl. Vetter,
serm. xxiii, p. 92 ; serm. lvi, p. 262 ; Hugueny, t. ii, p. 6 ; t. iii, p. 160.
C’est dans le fond de l’âme que s’opère l’union de l’âme avec Dieu. C’est là que se réalisent les merveilles de l’union mystique et de la divinisation de l’âme. Voici, en effet, quelles sont les relations du fond de l’âme avec Dieu, d’après Tauler. « La proximité et la parenté qu’il y a dans ce fond entre l’âme et Dieu sont si ineffablement grandes qu’on n’ose et qu’on ne peut i en parler beaucoup. » Vetter, serm. lvi, p. 262 ; Hugueny, t. iii, p. 160-161 ; cf. Vetter, serm. lxiv, p. 347 ; Hugueny, t. ii, p. 353. Dieu habite dans le fond de l’âme : « Les facultés ne peuvent pas atteindre ce fond, pas même en approcher à la distance d’un millier de milles. L’étendue qui se présente dans le fond n’a pas d’image qui la représente, pas de forme, pas de modalité déterminée ; on n’y distingue pas ici et là, car c’est un abîme insondable, reposant en lui-même sans fond… On s’engouffre dans un abîme, et dans cet abîme est l’habitation propre de Dieu, beaucoup plus que dans le ciel et en toute créature. Celui qui pourrait y parvenir y trouverait vraiment Dieu et se trouverait en Dieu simplement, car Dieu ne quitte jamais ce fond… Celui à qui il arrive d’entrer ici a l’impression d’y avoir été éternellement et de n’être qu’un avec lui (Dieu], bien que cette impression ne dure que de courts instants [pendant l’union mystique] ; mais ces rapides coups d’oeil se sentent et apparaissent comme une éternité ; et cela projette une clarté au dehors et nous est un témoignage que l’homme, avant d’être créé, était de toute éternité en Dieu. Lorsqu’il était en Dieu, l’homme était Dieu en Dieu. » Vetter, serm. lxi, p. 331 sq. ; Hugueny, t. ii, p. 253 sq.
Pour comprendre cette doctrine, il faut remarquer, avec les traducteurs de Tauler, que « nous existons de toute éternité en Dieu à l’état d’idée, d’idée dont la réalité se confond avec la réalité de l’essence divine, puisqu’en Dieu la pensée et l’être ne sont pas réellement distincts… En cet état d’incréé, notre union avec Dieu va donc jusqu’à l’identification réelle, il n’y a entre Dieu et les idées qu’il a des créatures, qu’une distinction de raison ». Hugueny, t. ii, p. 255, note 1.
L’effort de l’âme qui veut se sanctifier consiste à se dégager des sens, à se dépouiller des images, à se recueillir dans le fond d’elle-même pour retourner à Dieu d’où elle vient : « C’est dans ce Gemùt, dit TaulefT"/ qu’on doit se renouveler, en se recueillant continuellement dans le fond, en se tournant bien en face de Dieu, sans aucun intermédiaire, avec une charité agissante et en fixant en lui son attention… » « Voici comment doit se faire ce renouvellement dans l’esprit du Gemùt. Puisque Dieu est esprit, l’esprit créé doit se concentrer en lui, s’élever, puis se plonger dans l’esprit incréé de Dieu avec un Gemùt bien dégagé. (De même que) l’homme, avant sa création, et ail éternellement Dieu en Dieu, (de même) il doit maintenant (s’efforcer de) rentrer aussi complètement en Lui avec toute sa nature créée. » Vetter, serm. lvi, p. 202 sq. : Hugueny, t. iii, p. 161.
Dans le fond de l’âme, les personnes divines habitent. Le l’ère céleste y dit son Verbe éternel et le même
acte qui engendre le Verbe engendre aussi l’âme, tille adoptive du Père : « Si quelqu’un veut sentir cela, dit
Tauler, qu’il se tourne vers l’intérieur, bien au dessus de toute l’activité de ses facultés extérieures et intérieures, au-dessus des images et de tout ce qui lui a jamais été apporté du dehors, et qu’il se plonge et s’écoule dans le fond. La puissance du l’ère vient alors et le l’ère appelle l’homme en lui-même par son Fils unique et. tout comme le I ils naît du l’ère et reflue dans le l’ère, ainsi l’homme lui aussi, dans le I ils. n.iil du l’ère et reflue dans le l’ère avec le lils. devenant un avec lui. (.’est de cela que Nol re Seigneur dit : lu