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THOMISME. CONNAISSANCE ANALOGIQUE DE DIEU


exigences de toute nature créée ou créablc. Cf. Jean de Saint-Thomas sur la vitalité de la vision béatifique, In / » ->, q. xii, disp. XIV, a. 2, n. 17, 18, 23. Ici les thomistes diffèrent notablement de Suarez, De gratin, t. VI, c. v, et de Vasqucz. Voir aussi les Salmanlicenses, In 7 am, q.xii, disp. IV, dub. 4 et 5.

Saint Thomas et son école tiennent enfin, au sujet de la vision béatiflque, qu’elle exclut toute idée créée, omnern speciem creatam, même toute idée infuse si parfaite qu’on la suppose. I », q.xii, a. 2. En effet une idée créée n’est intelligible que par participation, et par suite elle ne peut manifester tel qu’il est en soi Celui qui est l’Être même et l’ipsum intelligere subsistens, un pur éclair intellectuel éternellement subsistant.

Sans l’intermédiaire d’aucune idée créée, la vision béatifique atteint Dieu tel qu’il est en soi ; elle ne peut cependant le comprendre comme il se comprend infiniment lui-même, ou le connaître autant qu’il est connaissable, c’est ainsi qu’elle ne peut découvrir en lui la multitude infinie des êtres possibles qu’il peut produire. Elle l’atteint immédiatement, mais finito modo, avec une pénétration limitée et proportionnée au degré de charité ou du mérite in via. Ainsi, dit saint Thomas, I*, q.xii, a. 7, un disciple peut saisir tout un principe (sujet, verbe, attribut) sans saisir aussi bien que son maître la portée de ce principe, et surtout sans l’atteindre totaliler, c’est-à-dire sans voir tout ce qu’il contient virtuellement.

2. La connaissance analogique de Dieu. I », q. xiii. — Si la Déité, telle qu’elle est en soi, ne peut être connue naturellement, ni même surnaturellement in via, tant que nous n’avons que la foi infuse fondée sur la révélation divine, comment peut-elle être connue imparfaitement, de telle façon que cette connaissance quoique imparfaite soit certaine et même immuable comme les vérités de foi ?

C’est la question de la valeur de la connaissance analogique (naturelle et surnaturelle) de Dieu, question sur laquelle les thomistes, les scotistes et Suarez ne sont pas parfaitement d’accord, car ils ne conçoivent pas de même l’analogie. Scot, on le sait, tend à admettre et même admet une certaine univocité entre Dieu et les créatures, Op. Oxon., i, dist. III, q. ii, n. 5 sq. ; dist. V, q. i ; dist. VIII, q. iii, et Suarez a certainement subi son influence sur ce point ; cf. Disp. Met., II, sect. 2, n. 34 ; XV, sect. 9 ; XXX et XXXI.

Quel est l’enseignement de saint Thomas et de son école ? Ii est exposé surtout I a, q. xiii ; tous les articles de cette question montrent l’émincnce de la Déité, et ils peuvent se résumer dans une formule qui est devenue courante : les perfections divines sont en Dieu, non pas seulement virlualiter, mais (ormaliler eminenler.

Quel est le sens exact de cette formule généralement reçue ? On le voit par les cinq premiers articles de la q. xiii que nous venons de citer. Ils expriment une doctrine qui s’élève au milieu et au dessus de deux positions opposées entre elles : celle des nominalistes qui aboutit à l’agnosticisme en renouvelant l’opinion attribuée à Maimonide (Rabbi Moyses) et un certain anthropomorphisme, qui cherche à substituer à l’analogie un minimum d’univocité.

Saint Thomas montre en effet dans les trois premiers articles de cette question : a) que les perfections absolues (perfectiones simpliciier simplices) dont le constitutif formel n’implique pas imperfection et qu’il vaut mieux avoir que ne pas avoir, comme l’être, la vérité, le bien, la sagesse, l’amour, sont en Dieu formellement, car elles sont en lui substantialiter et proplie ; d’abord substantiellement et non seulement d’une façon virtuelle et causale, car « Dieu est bon » ne signifie pas seulement qu’il est cause de la bonté des créatures ; à

ce compte en effet, on pourrait dire que Dieu est corps, car il est cause des corps, a. 2 ; de plus ces perfections absolues sont en Dieu proprement, c’est-à-dire selon leur sens propre et non seulement selon un sens métaphorique, comme lorsqu’on dit que Dieu est irrité. A. 3.

I.a raison de cette double assertion, c’est que les per feclions absolues, à la différence des perfection* mixtes, ne comportent aucune imperfection dans leur raison formelle, in suo significata formait, bien qu’elles existent toujours selon un mode fini dans les créatures. Il est manifeste en effet que la cause première doit avoir éminemment foutes les perfections des créatures, qui n’impliquent pas imperfection et qu’il vaut mieux avoir que ne pas avoir. S’il en était autrement la cause première n’aurait pu donner ces perfections aux créatures, car la perfection de l’effet doit se trouver dans la cause, et l’on ne peut la refuser à la cause première que si cela mettait en elle une imperfection. Ce point est communément admis par les théologiens. Les perfections absolues sont donc en Dieu substantiellement et au sens propre ou formellement.

b) Les noms qui expriment ces perfections absolues : être, vérité, bonté, etc., ne sont pas synonymes. A. 4. Cette assertion, qui est commune aux thomistes, aux scotistes et aux suaréziens, s’oppose aux nominalistes qui prétendaient qu’il n’y a qu’une distinction de raison raisonnante et quasi verbale entre les attributs divins, comme entre Tullius et Cicéron, parc ; que ces attributs s’identifient réellement en Dieu. S’il en était ainsi, comme on écrit indifféremment Cicéron à la place de Tullius et inversement, de même on pourrait indifféremment écrire justice divine pour miséricorde, et dire que Dieu punit par miséricorde et pardonne par justice, ’on aboutirait ainsi à l’agnosticisme complet, selon lequel Dieu est absolument inconnaissable.

c) Les perfections absolues sont attribuables à Dieu et aux créatures, non pas de façon univoque, ni de façon équivoque, mais analogiquement. Ceci précise l’expression reçue : formuliter eminenter, qui dès lors veut dire : formaliler non univoce, sed analogice. Saint Thomas en donne une raison profonde (a. 5) en ces ternies qu’il faut citer dans sa langue à lui :

Omnis effectus non adæmians virtutem causre recipit similitudinem agentis non secundum eamdem rationem (c’est-à-dire par le contexte : non univoce), sed defteienter ; ita quod id quod divisim et multipliciter est in eflectibus, in causa est simpliciter et eodem modo… Omnes rerum perfectiones, quæ sunt in rébus creatis divisim et multipliciter, præexistunt in Deo unité et simpliciter.

Ce texte est très important ; il montre ce qu’esi l’analogie pour saint Thomas, et l’on sait que Suarez ne lui est pas resté fidèle sur ce point. Les suaréziens définissent souvent ainsi l’analogie : analoga sunt quorum nomen est commune, ratio vero per nomen significata est simpliciter eadem, et secundum quid diversa. Les thomistes disent au contraire : analoga sunt quorum nomen est commune, ratio vero per nomen significata est simpliciter quidem diversa in analogatis, et secundum quid eadem, id est similis secundum quamdam proportionem, seu proportiona LITER EADEM.

Cette dernière formule coïncide parfaitement avec le texte de saint Thomas que nous venons de citer. 1°, q. xiii, a. 5. Dans le même article, il dit une seconde fois : Non secundum eamdem ralioncm hoc nomen supiens de Deo et de homine dicitur. La sagesse est seulement proportionnellement semblable en Dieu et en l’homme, car en Dieu c’est une connaissance supérieure qui est cause des choses, tandis qu’en nous c’est une connaissance supérieure causée ou mesurée par les choses. Et ainsi en est-il des autres perfections abso-