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    1. THOMISME##


THOMISME. NATURE DE LA THÉOLOGIE

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Une telle conclusion, jam aliunde reoelata, peut évidemment être définie par l’Église comme dogme de foi : il suffit pour cela qu’elle soit révélée au sens propre de ce mot. Le raisonnement théologique dans ce cas n’est pas inutile, comme on l’a dit parfois, car il donne l’intelligence de la vérité déduite, qui n’était auparavant connue que par la foi. Le propre de la démonstration n’est pas de découvrir une vérité mais de la faire connaître par sa cause. Ainsi se réalise la parole classique : ftdes quærens intelleclum. Ceci est capital. Cf. Gagnebet, O. P., La nature de la théologie spéculative, dans Rev. thomiste, 1938, n. 1 et 2.

7. La théologie déduit, par discursus proprement illr.lif, de deux vérités révélées une troisième vérité non aliunde revelata, qui n’est pas révélée en elle-même, mais seulement dans les deux autres dont elle est le fruit. Les thomistes admettent généralement qu’une telle conclusion, dérivant de deux vérités de foi, est en substance révélée et donc peut être définie comme un dogme par l’Église. La raison en est que le raisonnement humain n’intervient ici que pour rapprocher les deux vérités de foi, qui suffisent par elles-mêmes à faire connaître la troisième vérité. Le raisonnement ici n’est pas cause, mais condition de la connaissance de cette troisième vérité. Il rapproche simplement les deux prémisses de foi. Cf. Salmanticenses, Cursus theol., De fide, disp. I, dub. iv, n. 127.

8. Enfin la théologie déduit par discursus proprement illatif d’une vérité de foi et d’une vérité de raison non révélée, une troisième vérité qui n’était pas simpliciter ou proprement révélée, mais seulement virtualiter, dans sa cause. Cette troisième vérité, si elle est rigoureusement déduite, est du domaine, non pas de la foi, mais de la science théologique.

Ce dernier cas se subdivise, suivant que la majeure du raisonnement (qui est toujours plus universelle et par là plus importante que la mineure) est soit de foi, soit de raison. Si la majeure est de foi et la mineure de raison, la conclusion est plus proche de la révélation ; si la majeure est de raison et la mineure de foi, alors la conclusion est plus éloignée de la révélation divine.

Beaucoup de théologiens, et particulièrement beaucoup de thomistes, cf. Salmanticenses, loc. cit., n. 124, qui citent à bon droit comme défenseurs de cette thèse Capréolus, Cajétan, Banez, Jean de Saint-Thomas, etc. contre Vega, Vasquez, Suarez, Lugo, cf. ici t. v, art. Explicite et Implicite, et art. Dogme, soutiennent que cette dernière conclusion théologique ne peut être définie par l’Église comme dogme de foi, parce qu’elle n’est pas à proprement parler ou simpliciter révélée, mais seulement secundum quid ou virtualiter, dans sa cause. Elle est à proprement parler déduite du révélé. Cependant l’Église peut infailliblement condamner comme erronée, non comme hérétique, la contradiction d’une telle conclusion. Il y a manifestement une différence entre ces deux notes : hérétique et erronée ; une proposition hérétique est contraire à la foi ; une proposition que l’Église infailliblement déclare erronée est contraire à une conclusion théologique qui fait partie de la science théologique reçue.

Si l’on examine de près la première question de la Somme théologique de saint Thomas et la structure de ses divers traités dogmatiques, on voit qu’il a fait usage de ces huit procédés, communément admis et distingués par ses plus grands commentateurs.

C’est pourquoi nous ne saurions admettre les deux opinions extrêmes opposées entre elles, dont nous parlions au début de cette section. Nous ne saurions admettre que l’Église puisse définir comme un dogme simpliciter révélé par Dieu, ce qui n’est pas révélé simpliciter, mais seulement virtualiter ou secundum quid, in causa.

D’autre part la théologie peut très bien parvenir

à la certitude sur une telle conclusion, qui est bien de son domaine et non pas seulement de celui de la métaphysique mise à son service. Ce qu’il y a de plus important en théologie, ce n’est pas évidemment la déduction de ces conclusions théologiques, mais c’est l’explication des vérités mêmes de foi, leur pénétration, leur approfondissement, la connaissance de leur subordination. En cela la théologie est aidée par les dons d’intelligence et de sagesse, qui rendent la foi pénétrante et savoureuse. Et les conclusions théologiques ne sont pas précisément recherchées pour elles-mêmes, mais pour arriver à une intelligence plus par faite des principes de foi dont elles manifestent la virtualité. Tout le travail est ordonné au but si nettement exprimé par le Concile du Vatican : ad aliquam Deo danle mysteriorum intelligentiam, eamque frucluosissimam. Denz.-Bannw., n. 1795.

Le travail théologique et l’évolution du dogme.


Une telle conception de la théologie, bien qu’elle n’admette pas la déflnibilité des conclusions théologiques proprement dites, fait une grande place à l’évolution du dogme.

Saint Thomas n’a certes pas ignoré le progrès dogmatique, lui qui a si profondément étudié dans son Commentaire des Seconds analytiques d’Aristote, t. II, lect. 3-17, comment se fait la venatio, la recherche de la définition réelle et distincte, en partant de la définition nominale (quid nominis) qui exprime le concept con fus de la chose à définir. Le travail le plus important de la philosophie et de la théologie est dans ce passage méthodique du concept confus du sens commun (ou du sens chrétien) au concept distinct. Ce dernier n’est pas déduit du précédent comme une conclusion, c’est le même concept qui se précise de plus en plus, par la division du genre ou d’une, notion plus générale et par la comparaison inductive de la chose à définir avec ce qui lui ressemble plus ou moins. Ainsi s’obtiennent en philosophie les définitions précises de la substance, de la vie, de l’homme, de l’âme, de l’intelligence, de la volonté, du libre arbitre, des différentes vertus acquises, etc.

La même analyse conceptuelle en théologie a contribué grandement à la précision des notions indispensables à la formule des dogmes : notions d’être créé et d’être incréé, d’unité, de vérité, de bonté (ontologique et morale) ; notions de l’analogie relative à Dieu, de sagesse divine, de volonté divine, d’amour incréé, de providence, de prédestination ; notions de nature, de personne, de relation, pour l’intelligence des vérités révélées sur la Trinité et l’incarnation ; notions de grâce (habituelle et actuelle ; efficace et suffisante) ; notions de libre arbitre, de mérite, de péché, de vertu infuse, de foi, d’espérance, de charité, de justification ; notion de sacrement, de caractère, de grâce sacramentelle, de transsubstantiation, de contrition ; notions de béatitude et de peine, de purgatoire et d’enfer, etc.

Avant même qu’il s’agisse de déduire des conclusion h théologiques, c’est-à-dire de parvenir à des vérités nouvelles distinctes des vérités révélées, il y a un labeur immense dans l’analyse conceptuelle de ces dernières, pour passer de la notion confuse (exprimer par la définition nominale courante ou par les termes de l’Écriture et de la Tradition) à la même notion distincte et précise, en vue d’écarter l’hérésie qui déforme la révélation même. Ce n’est qu’à la longue que l’intelligence saisit le sens profond des principes, leur élévation et leur rayonnement.

Telle est la partie la plus importante de la science théologique, celle qui contribue le plus au progrès dogmatique. Et au dessous de cette science, parmi les différents systèmes Ihéologiques, comme l’a noté le P. A. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, 1910,