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THOMISME. NATURE DE LA THÉOLOGIE


la même philosophie, mais arrivée à l’âge adulte. Ce progrès, bien qu’il soit intrinsèquement d’ordre philosophique, ne s’est pas produit sans le concours extrinsèqi e de la Révélation divine, qui a été ici pour saint Thomas, non pas principe de démonstration, mais stella rectrix. En particulier la doctrine révélée de la création libre ex nihilo a été un guide précieux ! La métaphysique ou philosophie première garde ainsi son objet formel qui la spécifie : l’être en tant qu’être, connu dans le miroir des choses sensibles. Par là elle reste spécifiquement distincte de la théologie, qui a pour objet formel : Deus sub ralione Deitalis, Dieu en sa vie intime, que seule la Révélation divine peut nous faire connaître. Et l’on prévoit déjà quelle sera chez saint Thomas l’harmonie de ces deux disciplines, celle de la synthèse métaphysique et de la synthèse théologique, qui se subordonnent l’une à l’autre. Voir à ce sujet, Acta secundi congressus thomistici internationalis, Rome, 1936, p. 379-408 : R. Garrigou-Lagrange, De relationibus inter philosophiam et religionem, ac de natura philosophiæ christianæ.

III. La nature de la théologie et le travail théologique. — On a beaucoup écrit sur ce sujet ces dernières années, et en des sens très différents. Parmi les disciples de saint Thomas, le P. Marin-Sola et le P. Schultes étaient fort loin d’être d’accord sur la déflnibilité des conclusions théologiques proprement dites, obtenues par un discursus vraiment illatif en partant d’une prémisse de foi et d’une prémisse de raison. Cf. Marin-Sola, O. P., L’évolution homogène du dogme catholique, Paris, 2e éd., trad. franc., 1924, t. ii, p. 333 ; Rcginaldus M. Schultes, O. P., Introductio in historiam dogmalum, Pari*, 1922, p. 128, 115-149, 170-173, 185, 192-210. Nous avons personnellement écrit sur ce sujet, dans le même sens que le P. Schultes. en refusant d’admettre la déflnibilité comme dogmes de foi des susdites conclusions théologiques, fruits d’un raisonnement proprement illatif et d’une prémisse rationnelle non révélée. De revelatione, Rome, 1918, t. i, p. 18, 20, 189 sa. ; De Deo uno, Paris, 1938, p. 43-49.

Plus récemment le P. Charlier, Essai sur le problème théologique, Bibliothèque « Orientations », Belgique, 1938, p. 66, 121, 123, 135 ; p. 137 : « La démonstration au sens rigoureux du mot ne peut s’appliquer en théologie » ; voir aussi p. 139-141, a écrit dans un sens diamétralement opposé à celui du P. Marin-Sola, et selon lui, la théologie elle-même ne pourrait pas parvenir avec certitude à de telles conclusions, qui appartiendraient plutôt à la métaphysique dont se sert le théologien, qu’à la théologie proprement dite. Celle-ci se bornerait à expliquer les vérités de foi, à rechercher leur subordination, mais elle ne pourrait, par elle-même, déduire avec certitude des conclusions qui ne seraient que virtuellement révélées.

Tandis que le P. Marin-Sola pense que le raisonnement théologique proprement illatif fait découvrir des vérités suceptibles d’être définies comme dogme de foi, le P. Charlier estime que la théologie elle-même n’est pas capable de parvenir avec certitude à de telles conclusions.

Nous pensons que ces deux théories opposées entre elles, sont loin d’être conformes à la doctrine, de saint Thomas et de ses principaux commentateurs. Nous estimons que la véritable doctrine thomiste s’élève au milieu et au-dessus de ces positions extrêmes.

Nous pourrions le montrer par de nombreux textes de saint Thomas et de ses interprètes les plus éminents ; nous avons indiqué ailleurs plusieurs de ces textes. Op. cit., p. 18, 20, 189 sq. ; cf. Gagnebet, dans Rev. thom., 1939, p. 108-147. Nous nous contenterons ici, pour décrire le travail théologique, selon saint Thomas et son école, de distinguer les procédés ou démar ches de l’esprit, qui concourent d’une façon subordonnée à ce travail.

L’objet propre de la théologie.

Nous supposons

ici — ce qu’expose saint Thomas dans la q. i de la Somme théologique — que la théologie est à proprement parler une science qui procède sous la lumière de la Révélation divine, qui suppose donc la foi infuse aux vérités révélées et qui a pour objel propre Dieu considéré en sa vie intime, comme auteur de la grâce, Dieu tel que la révélation et la foi nous le tont connaître, et non pas seulement Dieu auteur de la nature, accessible aux forces naturelles de notre raison. Il ne s’agit pas seulement de Dieu sub ralione enlis et primi entis, auquel parvient la métaphysique, science de l’être en tant qu’être, mais de Dieu sub ralione Deitalis, comme il est dit I », q. i, a. 6 :

Sacra doctrinapropriissimedeterminatdeDeo, secundum quod est altissima causa : quia non solum quantum ad illud quod est per creaturas cognoscibile (quod philosophi cognoverunt, ut diciturRom., i, 19 : « Quod notum est Dei, manifestumestillis » ), sedetiain quantum ad id, quod notum est sibi soli de seipso et aliis per revelationem communicatum.

La théologie, chez le théologien encore vialor, ne porte pas sur la Déité clare visa, comme la vision béatifique, mais sur la Déité obscure per fidem cognita ; et elle se distingue pourtant de la foi, qui est comme sa racine, parce qu’elle est une science des vérités de la foi qu’elle doit expliquer et défendre par la méthode d’analogie. Elle cherche à découvrir leur subordination en un corps de doctrine et à déduire les vérités qu’elles contiennent virtuellement. En ce travail la théologie ne peut se servir de la méthode d’analogie dans l’explication des vérités relatives à la vie intime de Dieu, ad ipsam Deitatem ut sic, sans recourir à ce que la métaphysique nous dit de Dieu comme premier être, sub ralione enlis. Du reste cela même est révélé, en particulier lorsque Dieu dit à Moïse : Ego sum qui sum, vérité qui est l’équivalent de cette formule : Solus Deus est ipsum Esse subsistons.

Bien qu’ici-bas la théologie procède de principes non évidents, des principes de foi, elle est pourtant une science au sens propre de ce mot, car elle détermine « la cause pour laquelle telle chose a telles propriétés et non pas telles autres » ; c’est ainsi qu’elle détermine la nature et les propriétés de la grâce sanctifiante, des vertus infuses en général, de la foi, de l’espérance, de la charité, etc. Saint Thomas en somme applique à la théologie la définition aristotélicienne de la science, qu’il a expliquée dans son commentaire des Posleriora Analglica, t. I, lect. 4 : Scire est cognoscere causam propter quam res est et non potest aliter se habere. La science se dit au sens large de toute connaissance certaine ; elle se dit au sens propre de la connaissance des conclusions par les principes. Cf. R. Gagnebet, O. P., La nature de la théologie spéculative, dans Rev. thom., 1938, n. 1 et 2 (extrait, p. 78), et 1939, p. 108-147.

Lorsque le théologien ne sera plus vialor, lorsqu’il aura reçu la vision béatifique, il verra immédiatement in Verbo, la vie intime de Dieu, la Déité ou essence divine ; il atteindra en pleine lumière les vérités qu’il connaissait d’abord par la foi, et il pourra encore voir extra Verbum les conclusions qui peuvent s’en déduire. Au ciel la théologie existera à l’état parfait avec l’évidence des principes, in via elle existe à l’état imparfait, elle n’a pas encore l’âge adulte pour ainsi parler.

Il suit de là, pour saint Thomas et son école, que la théologie est une science subalternce à celle de Dieu et des bienheureux, qu’elle est aussi une sagesse, spécifiquement supérieure à la métaphysique, mais inférieure à la foi infuse ; elle est un habitus acquis par le travail, mais dont la racine est essentiellement surna-