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THOMISME. MÉTAPHYSIQUE : PUISSANCE ET ACTE


parle mouvement. Cf. I a, q. ii, a. 3. Ce principe au contraire reste incertain pour Suarez, car, dit-il, multa sunt quæ per actum virtualem videntur sese movere et reducere ad actum formalem, ut in appetitu seu ooluntate videre licel. Disp. Met., XXIV, sect. 1. Si cependant notre volonté n’est pas son opération, son vouloir, si solus Deus est suum velle, sicut suum esse, et suum intelligere, il s’ensuit que notre volonté est seulement une puissance, capable de vouloir et par suite elle ne peut être réduite à l’acte que par la motion divine ; autrement le plus sortirait du moins, le plus parfait du moins parfait, contre le principe de causalité. Cf. I », q. cv, a. 4 et 5. Saint Thomas dit même, I*-II", q. cix, a. 1 : quantumcumque natura aliqua corporalis vel spiritualis ponatur perfecla, non potest in suum actum procedere, nisi moveatur a Deo.

Il suit encore de la distinction réelle entre puissance et acte, que dans la série des causes nécessairement subordonnées (per se et non per accidens subordinatæ), on ne peut procéder à l’infini, il faut s’arrêter à une cause suprême, sans laquelle il n’y aurait aucune activité des causes secondes ni aucun effet. Comme le dit saint Thomas : si procedatur in infinitum in causis efficientibus, non eril prima causa efficiens, et sic non erit nec efjectus ultimus, nec causée efficientes mediæ, quod palet esse falsum. I », q. ii, a. 3, 2° via. Il ne répugne pas qu’on remonte à l’infini dans la série des causes accidentellement subordonnées dans le passé, par exemple dans la série des générations passées, car le grand-père qui n’existe plus, n’influe pas dans la génération de son petit-fils ; mais il répugne que l’on procède à l’infini dans cette série de causes actuellement et nécessairement subordonnées : la lune est attirée par la terre, la terre par le soleil, le soleil par un autre centre, et ainsi actuellement à l’infini ; s’il n’y avait pas de centre premier d’attraction, il n’y aurait pas d’attraction actuelle, comme le mouvement de la montre serait inexplicable sans un ressort ; une multitude infinie de rouages ne suffirait pas. Cf. la 22° des xxiv thèses. Suarez dit au contraire : In causis per se subordinatis non répugnât infinitas causas, si sint, simul operari. Disp. Met., XXIX, sect. 1 et 2 ; XXI, sect. 2 ; aussi Suarez n’admet-il pas la valeur démonstrative des preuves de l’existence de Dieu telles que saint Thomas les a proposées, cf. ibid. La raison pour laquelle il s’éloigne ici du Docteur angélique est la suivante : Suarez substitue à la motion divine le concours simultané ; alors, selon lui, la cause première n’est pas cause de l’application à l’acte ou de l’activité de la cause seconde ; dans la série des causes subordonnées, les causes supérieures n’influent pas sur les causes inférieures, mais seulement sur leur effet commun, ce sont des causes partielles, partialitate causée, si non effectus, et donc elles sont plutôt coordonnées que subordonnées, c’est ce qu’expriment les paroles concursus simullaneus, comme lorsque deux hommes tirent un bateau. Cf. Disp. Met., XX, Sect. 2 et 3 ; XXII, sect. 2, n. 51. La même doctrine se trouve chez Molina, Concordia, disp. XXVI, in fine, où il est dit : quando causse subordinatæ sunt inter se, necesse non est, ut superior in eo ordine semper mourat infertotem, etiamsi essentialitrr subordinatæ sint inter se et a se mutito pendeunt in producendo aliquo effectu : sed satis est si immédiate influant in effectum. Cela suppose que la puissance » active peut se réduire elle-même à l’acte sans être prémue par une cause supérieure ; la puissance active est confondue avec l’acte virtuel, qui de soi se réduirait à l’acte complet ; mais comme par ailleur, celui ci est plus parfait que la puissance, on est Conduit a dire que le plus parfait sort du moins parfait, contrairement au principe de causalité.

Saint Thomas et son école maintiennent le principe : nulla causa rreala est suum esse, nrc suum ar/rrr, idroqiie

nulla operari potest sine præmotione divina. C’est le nerf des preuves de l’existence de Dieu per viam causalilatis ; cf. I », q. ii, a. 3, et q. cv, a. 5 : Deus in omni opérante operatur.

On voit que toutes ces conséquences dérivent dans la synthèse métaphysique thomiste de la distinction réelle entre puissance et acte ; d’elle procède la distinction réelle entre matière et forme, entre essence finie et existence, entre la puissance active et son acte ou son opération.

Dans l’ordre surnaturel, il y aura une autre conséquence de la notion de puissance : la puissance obédientielle, ou aptitude d’une nature créée à recevoir de Dieu un don surnaturel ou à produire par élévation un effet surnaturel, est conçue par saint Thomas comme une puissance passive, c’est la nature même par exemple de l’âme, de notre intelligence, de notre volonté, en tant qu’elle est apte à être élevée à un ordre supérieur, et cette aptitude ne requiert qu’une nonrépugnance, car Dieu peut faire en nous tout ce qui ne répugne pas. Cf. S. Thomas, Compend. theol., c. civ ; III », q. xi, a. 1 ; De veritate, q. xiv, a. 2 ; De potentia, q. xvi, a. 1, ad 18um.

Pour Suarez, De gratia, t. VI, c. 5, au contraire, qui conçoit plutôt la puissance comme un acte imparfait, la puissance obédientielle est active, comme si la vitalité de nos actes surnaturels était naturelle, et non pas une vita nova, surnaturelle. Sur quoi les thomistes répondent à Suarez : une puissance obédientielle active serait en même lemps essentiellement naturelle, comme propriété de notre nature, et essentiellement surnaturelle, comme spécifiée par un objet formel surnaturel. Cf. Jean de Saint-Thomas, In / am, q.xii, a. 1 et 4 (disp. XIV, a. 2, n. 17 sq.).

Une dernière conséquence importante de la distinction réelle de puissance et d’acte, d’essence et d’existence, dans l’ordre surnaturel, est que, selon saint Thomas et son école, il n’y a dans le Christ pour les deux natures qu’une seule existence, celle même du Verbe qui a assumé la nature humaine. Cf. III 8, q. xvii, a. 2. Suarez au contraire qui nie la distinction réelle entre l’essence créée et l’existence doit admettre deux existences dans le Christ, ce qui diminue notablement l’intimité de l’union hypostatique.

Telles sont les principales irradiations de la distinction aristotélicienne de puissance et acte telle que saint Thomas et son école l’ont comprise. La puissance réelle n’est pas l’acte, si imparfait qu’on suppose celui-ci ; mais la puissance est essentiellement relative à l’acte, potentia dicitur ad actum ; de là dérive la division des quatre causes et tous ses corollaires, en particulier celui-ci : le processus ad infinitum est impos sible dans les causes essentiellement subordonnées qu’il s’agisse des causes efficientes ou des causes finales, aussi faut-il admettre au sommet de tout l’existence de Dieu Acte pur, car le plus ne sort pas du moins et il y a plus dans ce qui est que dans ce qui devient. La cause première de toutes choses ne peut donc pas être le devenir universel, l’évolution créatrice d’elle-même, mais l’Acte pur existant de tonte éternité, l’Être même subsistant, en qui seul l’essence et l’existence sont identiques. On voit déjà que rien, absolument rien de réel et de bon ne peut exister en dehors de lui, sans dépendre de lui, sans avoir une relation de causalité ou de dépendance à son égard, même notre libre détermination, qui, nous le verrons. n’est pas détruite, mais au contraire arlualisir par la causalité divine ; cf. I ». q. cv, a. 4 ; 1* II", q. x, a. 4.

Cette synthèse métaphysique élaborée par niai Thomas est beaucoup plus parfaite que la doctrine explicitement professée par Aristole ; niais au point de vue philosophique c’est le développement des principes formulés par le St apirile. <)n peut diic que c’est