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TAULE H. DOCTIUXE


ici-bas, de la vocation et de la profession où nous nous trouvons. Vetter, serin, xlii, p. 177 sq. ; Hugueny, t. ii, p. 292. Acceptation joyeuse, le plus possible, des événements pénibles de la vie. Que nous ayons mérité ou non les épreuves qui nous surviennent, pensons qu’elles viennent de Dieu, soumettons-nous à lui. Vetter, serm. iii, p. 18 ; Hugueny, t. i, p. 188. Supportons aussi avec résignation la perte de notre honneur, de notre réputation et aussi de toute consolation spirituelle. On se soumettra, sans y consentir, aux tentations de désespoir qui peuvent survenir dans les purifications passives. Tauler approuve que, dans ces états de grande désolation, l’âme fasse le sacrifice conditionnel de son salut. Vetter, serm. xxvi, p. 108 sq. ; serm. ix, p. 45 ; Hugueny, t. ii, p. 44 sq. ; t. i, p. 244245. L’âme se rappellera, alors, pour se consoler, l’abandon dont souffrit le Christ sur la croix. Vetter, serm. lxvii, p. 371 ; Hugueny, t. iii, p. 96-97. Tauler ne surveille pas assez ses expressions, lorsqu’il parle du sacrifice du salut ou de l’amour pur. Dans un passage ou deux de ses sermons, il semble exclure l’espérance de la récompense céleste quand il s’agit de l’âme pleinement abandonnée aux épreuves des purifications passives ou se livrant à la pratique de l’amour pur. « L’homme, dit-il, est alors dépouillé de lui-même, dans un absolu et véritable abandon, il plonge dans le fond de la volonté divine pour rester dans cette pauvreté et ce dénuement, non seulement pendant une semaine ou un mois, mais, si Dieu le veut, mille ans, voire toute l’éternité, et pour devenir capable de s’abandonner à fond dans une souffrance éternelle, au cas où Dieu voudrait qu’il fût un éternel brandon d’enfer. » Vetter, serm. xxvi, p. 108 ; Hugueny, t. ii, p. 44 : « Cette ignorance ne les [ceux qui ont en vue leur intérêt bien plus que Dieu] excuse pas, car ils auraient dû avoir examiné leurs intentions, afin que, les ayant reconnues et s’étant connus eux-mêmes, ils leur donnent pour objet Dieu et non pas leur intérêt propre : récompense ou royaume du ciel, jouissance ou utilité. » Vetter, serm. lvi, p. 260 sq. ; Hugueny, t. iii, p. 155. Remarquons que nous n’avons que des résumés des sermons de Tauler. On ne saurait y chercher les nuances que le prédicateur mettait, sans doute, dans l’exposé de la doctrine.

3. Nudité de l’esprit.

Une préparation intellectuelle est requise autant que celle de la volonté pour rendre possible la contemplation mystique. Elle consiste à se dépouiller de toutes les images, espèces ou idées qui sont dans l’entendement et dans la mémoire. Rappelons-nous que, selon le néoplatonisme dionysien, il faut se dégager de tout intelligible, si l’on veut contempler Dieu. Car aucune image et aucune idée ne sont capables de nous faire connaître Dieu.

Conformément à cette doctrine, Tauler recommande souvent à ses auditeurs de dépouiller leur esprit de toutes les images qui y sont. Voici un passage du sermon vi, Vetter, p. 26 ; Hugueny, t. i, p. 210 sq. « Hélas ! si nobles et si pures que soient les images, elles sont toujours un écran pour l’image sans contours arrêtés qu’est Dieu. L’àme dans laquelle doit se refléter le soleil ne doit pas être troublée par d’autres images, mais elle doit être pure, car la présence d’une seule image dans le miroir tait écran. Tous ceux qui n’obtiennent pas cette netteté intérieure et en qui par conséquent le fond mystérieux de l’àme ne peut pas se découvrir et se manifester, ne sont que des marmitons (au service de Dieu)… Mais pour ceux qui débarrassent ce fond, le nettoyent et en écartent les images, afin que le soleil puisse y répandre sa lumière, le joug de Dieu est plus doux que le miel… »

Le dépouillement des images est non seulement nécessaire pour que Dieu se reflète dans l’âme comme dans un miroir, mais aussi pour délivrer l’homme de « l’esprit de propriété ». « Si tu étais libre d’images et de tout (esprit d’) attache-’ment, tu pourrais alors possédei un royaume, sans que cela

te nuise en rien. Sois donc sans esprit de propriété et sans images et tu pourras posséder tout ce dont tu as besoin. On raconte d’un saint Père qu’il était tellement dépouillé d’images, qu’il n’en pouvait conserver aucune en lui. Un jour un visiteur vint frapper à sa porte et lui demander quelque chose. Le Père répondit qu’il allait le lui chercher, mais, une fois rentré dans sa cellule, il avait tout oublié. On frappa de nouveau et il demanda : » Que veux-tu ? » L’autre fit pour la seconde fois la même demande ; le Père lui affirma encore qu’il allait chercher l’objet demandé, puis il l’oublia comme la première fois. Comme on frappait pour la troisième fois, il dit enfin : « Viens et prends toi-même ce qu’il te faut ; je ne peux en conserver l’image si longtemps en moi, tellement mon esprit est vide de toute image… Dans ces gens ainsi détachés d’images, le soleil de Dieu pénètre… »

Cette nudité complète de l’esprit rend celui-ci entièrement passif. Elle est une condition de la contemplation mystique, état purement passif selon la théologie dionysienne : « Pour que Dieu opère vraiment en toi, dit Tauler, tu dois être dans un état de pure passivité ; toutes tes puissances doivent être complètement dépouillées de toute leur activité et de leurs habitudes, se tenir dans un pur renoncement à elles-mêmes, privées de leur propre force, se tenir dans leur néant pur et simple. Plus cet anéantissement est profond, plus essentielle et plus vraie est l’union. » Vetter, serm. LX f, p. 314 ; Hugueny, t. ii, p. 96 ; cf. Vetter, serm. lxxiv, p. 400-402 ; Hugueny, t. iii, p. 206 sq.

Cette partie de la doctrine mystique de Tauler suggère quelques remarques qui concernent, d’ailleurs, toute utilisation du néoplatonisme dans la théologie mystique spéculative. Tout d’abord, cette nudité de l’esprit, ce dépouillement total de toute image, de toute idée ne semblent pas nécessaires à la contemplation. Les auteurs mystiques étrangers à la philosophie néoplatonicienne ne les exigent pas. Sainte Thérèse n’en parle pas. Tous les mystiques disent que l’on ne se sert pas, d’ordinaire, des images et des idées qui sont dans l’esprit, au moment de la contemplation. On se sert de celles qui sont proposées par Dieu. Mais il n’est aucunement nécessaire de détruire préalablement les images et idées qui sont dans l’esprit. Elles ne servent pas à l’acte contemplatif. Et le mystique les retrouve lorsque la contemplation est terminée. De plus, il est très contestable et contesté que l’esprit soit totalement passif dans la contemplation mystique. Il est passif en ce sens qu’il est mû par Dieu. Mais il est actif pour percevoir ce que Dieu lui montre. Psychologiquement on comprend qu’il en soit ainsi. Enfin, Tauler recommande avec quelque imprudence au mystique de se mettre dans la passivité : « Hâte-toi de rentrer dans le repos intérieur et la passivité et, situ ne retrouves pas aussitôt l’état de passivité, tu dois, ou au moins tu peux t’occuper à quelque œuvre intérieure. » Vetter, serm. lxxiv, p. 400 ; Hugueny, t. iii, p. 206. C’est à Dieu à mettre le mystique dans la passivité. Vouloir s’y mettre soi-même ce serait s’exposer au quiétisme. On voit les inconvénients du néoplatonisme si on l’introduit dans la mystique spéculative, sans lui avoir fait subir les corrections nécessaires.

4. Union et contemplation mystiques.

Il y a lieu de se demander, tout d’abord, dans quelle partie de l’àme s’opère l’union mystique. C’est dans le fond de l’àme : « Et ce fond est si noble, dit Tauler, qu’on ne peut lui donner aucun nom propre : parfois on le nomme le fond et parfois la cime de l’âme. Mais il n’est pas plus possible de lui donner un nom qu’il n’est possible de donner un nom à Dieu. » Vetter, serm. lvi, p. 267 ; Hugueny, t. iii, p. 160. Tauler l’appelle souvent Gemùl, mot difficile à traduire, ou encore mens.

En voici la description d’après Tauler. Tout d’abord le fond de l’àme, le Gemiït n’est pas une faculté de l’âme. Il se dislingue des facultés comme le principe se distingue de ce qui émane de lui : « C’est quelque