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THOMISME. SYNTHÈSE MÉTAPHYSIQUE


dans le même sens, il faut compter celles de l’Institut de philosophie de Louvain, ainsi que la Revue néoscolastique de Louvain, les Ephemerides Lovanienses, la Revue de philosophie de l’Institut catholique de Paris ; la Rivista neo-scolastica de Milan, le Gregorianum, et de nombreuses monographies, notamment celles parues dans la Bibliothèque thomiste, publiée sous la direction des dominicains de la province de Paris.

II. Synthèse métaphysique du thomisme. — Cette synthèse métaphysique est avant tout une philosophie de l’être, ou une ontologie, fort différente d’une philosophie du phénomène ou phénoménisme, d’une philosophie du devenir ou évolutionnisme et d’une philosophie du moi ou psychologisme. Nous dirons d’abord ce qu’elle enseigne au sujet de l’être intelligible, qui est, selon elle, le premier objet connu par notre intelligence, et au sujet des premiers principes. Nous verrons ensuite comment elle se précise par la doctrine de l’acte et de la puissance et par les principales applications de celle-ci.

L’être intelligible et les premiers principes.


Saint Thomas enseigne, après Aristote, que le premier objet connu par notre intelligence est l’être intelligible des choses sensibles ; c’est l’objet de la première appréhension intellectuelle, qui précède le jugement. Cf. I », q. v, a. 2 : Primo in conceptione intellectus cadit ens ; quia secundum hoc unumquodque cognoscibile est in quantum est actu ; unde ens est proprium objectum intellectus, et sic est primum intelligible, sicut sonus est primum audibile. Voir aussi I », q. lxxxv, a. 3 ; Ia-IIæ, q. xciv, a. 2 ; Cont. Gent., t. II, c. lxxxiii ; De veritate, q. i, a. 1. Or, l’être, c’est ce qui existe (être actuel) ou peut être (être possible), id cujus actus est esse. De plus l’être que notre intelligence appréhende tout d’abord ce n’est pas l’être de Dieu, ni l’être du sujet pensant, mais l’être des choses sensibles : Quod statim ad occursum rei sensatæ apprehenditur intcllectu. S. Thomas, De anima, t. II, c. vi, lect. 13 (de sensibili per accidens). Notre intelligence est en effet la dernière des intelligences, qui a pour objet propre ou proportionné le dernier des intelligibles, l’être intelligible des choses sensibles. I », q. lxxvi, a. 5. Tandis que l’enfant connaît par les sens la blancheur et la saveur du lait par exemple, il saisit par l’intelligence l’être intelligible de cet objet sensible, per intellectum apprehendit ens dulce ut ens et per gustum ut dulce.

Dans l’être intelligible ainsi connu, notre intelligence saisit d’abord son opposition au non-être, qui est exprimée dans le principe de contradiction, l’être n’est pas le non-être. Cf. Cont. Gent., t. II, c. lxxxiii : Naturaliler intellectus noster cognoscit ens et ea quee sunt per se entis, in quantum hujusmodi, in qua cognitione fundatur primorum principiorum noiitia, ut non esse simul affirmare et negare (vel oppositio inler ens et non ens) et alia hujusmodi. De même : Ia-IIæ, q. xciv, a. 2. Tel est le point de départ du réalisme thomiste.

Ainsi notre intelligence connaît l’être intelligible et son opposition au néant, avant de connaître explicitement la distinction du moi et du non-moi. Ensuite, par réflexion sur son acte de connaissance, elle juge de l’existence actuelle de celui-ci et du sujet pensant, puis de l’existence actuelle de telle chose sensible singulière, saisie par les sens ; cf. I a, q. lxxxvi, a. 1 ; De veritate, q. x, a. 5. L’intelligence connaît d’abord l’universel, pendant que les sens atteignent le sensible et le singulier.

Dès son point de départ, le réalisme thomiste apparaît ainsi comme un « réalisme modéré », qui tient que l’universel, sans être formellement comme universel, dans les choses singulières, a son fondement en elles. Cette doctrine s’élève ainsi entre deux extrêmes,

qu’elle considère comme deux déviations : le réalisme absolu de Platon, qui tient que l’universel existe formellement en dehors de l’esprit (idées séparées), et le nominalisme, qui nie que l’universel ait un fondement dans les choses singulières et qui le réduit à une représentation subjective accompagnée d’un nom commun. Tandis que le réalisme platonicien pense avoir une intuition intellectuelle confuse de l’être divin ou de l’Idée du Bien, le nominalisme ouvre les voies à l’empirisme et au positivisme, qui réduisent les premiers principes rationnels à des lois expérimentales des phénomènes sensibles, par exemple le principe de causalité à cet énoncé : tout phénomène suppose un phénomène antécédent. S’il en est ainsi, les premiers principes de la raison, n’étant plus des lois de l’être, mais seulement des phénomènes, ne permettront plus de s’élever à la connaissance de Dieu, cause première, qui dépasse l’ordre des phénomènes.

Le réalisme modéré d’Aristote et de saint Thomas reste conforme à l’intelligence naturelle spontanée, qu’on appelle le sens commun. Cela apparaît surtout par ce qu’il enseigne sur la valeur réelle et la portée des premiers principes rationnels. Il tient que l’intelligence naturelle saisit les premiers principes dans l’être intelligible, objet de la première appréhension intellectuelle. Ces principes lui apparaissent dès lors, non seulement comme des lois de l’esprit ou de la logique, non seulement comme des lois expérimentales des phénomènes, mais comme des lois nécessaires et universelles de l’être intelligible ou du réel, de ce qui est et peut être. Ces principes sont subordonnés, en ce sens qu’ils dépendent d’un premier qui affirme ce qui convient premièrement à l’être.

Le tout premier principe énonce l’opposition de l’être et du néant ; sa formule négative est le principe de contradiction : « l’être n’est pas le non-être » ou « une même chose ne peut sous le même rapport et en même temps être et ne pas être. » — Sa formule positive est le principe d’identité : « ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas », ce qui revient à dire : l’être n’est pas le non-être ; comme on dit : le bien est le bien, le mal est le mal, pour dire que l’un n’est pas l’autre. Sur la valeur réelle et l’universalité du principe de contradiction, cf. S. Thomas, In Melaph., t. IV, lect. 5-15.

Au principe de contradiction ou d’identité se subordonne le principe de raison d’être pris dans toute sa généralité : « tout ce qui est a sa raison d’être, en soi, s’il existe par soi, dans un autre, s’il n’existe pas par soi. » Mais cette raison d’être doit s’entendre analogiquement en divers sens : 1. Les propriétés d’une chose ont leur raison d’être dans l’essence ou la nature de cette chose, par exemple les propriétés du cercle dans la nature de celui-ci. 2. L’existence d’un effet a sa raison d’être dans la cause efficiente qui le produit et le conserve, c’est-à-dire dans la cause qui rend raison non seulement du devenir mais de l’être de l’effet ; ainsi l’être par participation a sa raison d’exister dans l’être par essence. 3. Les moyens ont leur raison d’être dans la Tin à laquelle ils sont ordonnés. 4. La matière est aussi la raison d’être de la corruptibilité des corps. Le principe de raison d’être doit donc s’entendre analogiquement, soit de la raison d’être intrinsèque (ainsi la nature du cercle a en soi sa raison, et celle de ses propriétés) soit de la raison d’être extrinsèque, (efficiente ou finale). Cf. S. Thomas, In Physicam, t. II, lect. 10 : Hoc quod dico propter quid, quæril de causa ; sed ad propter quid non rcspondetur nisi aliqua dictarum (quatuor) causarum. Pourquoi le cercle a-t-il ces propriétés ? À raison de sa nature même, de sa définition. Pourquoi ce fer se dilate-t-il ? Parce qu’il a été chauffé. Pourquoi venez-vous ici ? Dans tel but. Pourquoi l’homme est-il