Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/413

Cette page n’a pas encore été corrigée
811
812
THOMASSIN. LA DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE


vius, etc., théologiens de profession auxquels il ajoute « des personnes extraordinairement éminentes en piété et en contemplation, à qui la lumière du ciel et l’expérience ont fait connaître les mêmes vérités que les saints Pères et les théologiens ont apprises par une longue étude de l’Écriture et de la tradition ». Préface, p. 78. Il cite le cardinal de Bérulle qui écrit : « La grâce accomplit la nature ; suivons ce mouvement de la grâce qui se joint à ce mouvement de la nature », p. 277 ; sainte Thérèse, sainte Catherine de Gênes, sainte Catherine de Sienne, sainte Gertrude, Louis de Grenade, Jean Davila, saint François de Sales.

Le troisième mémoire est consacré à prouver que, pour saint Augustin, la grâce habituelle « est la grâce propre de Jésus-Christ, la charité, la bonne volonté, la dilection ou délectation de la justice, la délectation victorieuse ». P. 313. Dans le quatrième mémoire, ajouté en 1682, il montre que ce qui a été dit sur ce sujet par les Pères et les théologiens se trouve déjà dans l’Écriture, en particulier dans les prophètes Osée, Jonas et Jérémie ; surtout dans l’enseignement de Notre-Seigneur : « Dans la parabole de l’enfant prodigue, le Fils de Dieu nous fait voir l’image de tous les pécheurs qui sont comme forcés de revenir à Dieu par la confusion, la servitude, les afflictions et par un nombre infini d’amertumes, que Dieu mêle dans tous leurs desseins criminels. » C. viii, arg., p. 28. Saint Paul a été comme forcé de se convertir « par la voix du ciel, par la vue de la majesté foudroyante de Jésus-Christ, par la main invisible qui le terrassa ». C. ix, arg., p. 30. Dieu s’attacha les Israélites par l’attrait des biens temporels : « Cet amour intéressé leur donna le temps et l’occasion de goûter la bonté et la douceur infinie de Dieu… Les chrétiens vont aussi à Dieu, d’abord par un amour intéressé, mais ils y trouvent enfin tant de douceurs, qu’ils s’y perdent et, s’oubliant eux-mêmes, ils aiment Dieu pour Dieu ». C. x, arg., p. 34. Évidemment, « la délectation de la justice n’est pas toujours victorieuse, et lorsqu’elle est victorieuse ce n’est pas toujours par ses seules forces ». C. xxvii, p. 99. Exemples d’Adam, des anges. Dieu même peut faire persévérer, progresser les justes « sans leur donner aucun goût, ni aucun plaisir spirituel ». Exemples de sainte Thérèse, du P. de Condren, de Thomas à Kempis. C. xxxiv. Mais si, selon saint Augustin, la grâce victorieuse dompte les hommes comme les hommes domptent les bêtes sauvages, c’est plutôt « par sagesse que par puissance, en leur proposant les objets qui peuvent émouvoir leur crainte ou attirer leur amour, en étudiant leurs inclinations et par une sage conduite les maniant adroitement ». C. li, p. 181 ; c. lxxii, p. 265. Nous coopérons donc à la grâce par notre bonne volonté, par nos efforts, termes qui ne peuvent « qu’avec beaucoup de peine être accommodés à la motion qui détermine physiquement la volonté ». C. lviii, p. 209. Saint Augustin compare la grâce à la lumière : nous devons avoir l’œil pour la voir, et de plus l’ouvrir pour regarder. Du c. lxxv à xcvii, il répond à vingt objections.

Dans le cinquième mémoire, il montre que « la grâce générale ou suffisante » a toujours été accordée à tous les infidèles, par la connaissance du vrai Dieu, par la loi naturelle, « la bonne volonté commencée ou restée dans tous les hommes, qui les porte au bien même avant la justification ». C. xiv, p. 422. Lorsque saint Augustin dit que les actions des infidèles sont des péchés, il entend » qu’en général la plupart des actions des infidèles procédaient de leur orgueil ou de leur superstition ». C. xxxiii, p. 484. Les Juifs ont eu la grâce par la Loi. Les chrétiens l’ont constamment : « La miséricorde de Dieu ayant justifié les fidèles, sa justice ne peut plus leur refuser les secours nécessaires pour se conserver dans l’éminente dignité d’amis et

d’enfants de Dieu. » C. xlix, p. 541. C’est la maxime de saint Augustin, des Pères et des conciles que « Dieu ne quitte que ceux qui l’ont quitté ». Selon son habitude, Thomassin ne désigne personne nommément, mais il est visible qu’il réfute à grand renfort de textes les protestants et les jansénistes.

3. Dans la question de la prédestination, il reste dans un juste milieu entre le pélagianisme qui ramène toute l’affaire du salut aux seuls efforts de l’homme dont Dieu ne ferait qu’enregistrer les résultats, et le calvinisme où la créature est sacrifiée à l’initiative de Dieu qui vouerait à l’avance certains hommes au mal et à l’enfer comme d’autres au ciel. Il répète souvent que Dieu ne prévoit pas, puisqu’il est hors du temps, il voit tout se faisant sans déterminer la volonté de l’homme : « Il régit, dit-il, la volonté des impies avec un empire suprême sans néanmoins la déterminer au mal… Dieu ne produit pas la malice dans leur âme, ni ne les pousse à vouloir ce qu’ils ne peuvent vouloir sans violer les lois de la justice qui est Dieu même. » Quatrième mémoire, c. liv, p. 193. Sans doute, prise dans son ensemble comme rapport entre notre vie morale et nos destinées éternelles, la prédestination ne dépend que de Dieu, mais Thomassin dit très bien « que l’efficacité de cette grâce invincible, surtout de celle qui nous donne la persévérance finale consiste dans la multitude des secours tant intérieurs qu’extérieurs et dans la conduite favorable, sage et toutepuissante de Dieu qui régit, qui gouverne, qui conserve, qui protège ses élus, et dispose de toutes choses en leur faveur et pour leur salut ». C. lxii, p. 226. Et plus loin : « La prescience et la prédestination divine ne blessent point notre liberté, non pas parce qu’en nous appliquant infailliblement à une chose, elles ne nous ôtent pas le pouvoir du contraire ; mais parce que ce ne sont que des expressions proportionnées à l’esprit des faibles et qu’au reste tout est présent à Dieu dans son éternité, sa vue et ses desseins ne précèdent pas nos actions par aucun temps et ne leur imposent aucune nécessité antécédente. » C. lxx, p. 254. Il fait sienne la définition de saint Augustin qu’il explique longuement : « La prédestination des saints n’est pas autre chose que la prescience et la préparation des bienfaits par lesquels Dieu délivre avec pleine certitude tous ceux qui sont délivrés. » De Deo, t. VIII, c. i, 9. Et presque aussitôt après : « La prédestination, c’est la préparation à la grâce et la grâce, c’est l’effet de la prédestination. » Ibid., 10.

Nous ne pouvons le suivre dans les longs développements qu’il donne sur la prédestination ou la réprobation des anges, des hommes après la chute d’Adam ; il cite un grand nombre de textes pour prouver que les Pères grecs et les Pères latins antérieurs à saint Augustin sont d’accord avec lui sur ce point ; de même les Pères et la plupart des théologiens qui l’ont suivi.

III. Travaux sur la discipline ecclésiastique.

— 1° Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, louchant les bénéfices et les bénéfleiers, Paris, 1678-1679, 3 vol. in-fol. ; 2e éd., 1779-1781. — Présenté au pape Innocent XI à mesure que paraissaient les volumes, cet ouvrage fit à Rome une telle réputation au P. Thomassin qu’il fut sur le point d’être nommé cardinal et qu’on voulut l’avoir à Rome ; le roi répondit qu’un tel sujet ne devait pas sortir du royaume. Le pape lui fit demander de le traduire en latin « pour les pays étrangers ». L’auteur mit dix-huit mois à le faire lui-même : Velus et nova Ecclesiie disciplina circa bénéficia et beneficiarios dislributa in très partes sive lomos, Paris, 1688, 3 vol. in-fol. ; 2e éd., Lyon, 1706 ; 3e, Lucques, 1728 ; il y en eut sept. La disposition est à peu près la même que dans les premières éditions françaises, sauf que, dans celles-ci, il était traité de chaque question à quatre reprises différentes, pour faire voir les change-