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THOMASSIN. LES DOGMES : LA GRACE


les pouvoir tous réduire à l’unité, pour les embrasser tous et pour faire que, comme il n’y a point de division dans la foi qui leur est commune, il y eût aussi une parfaite convenance dans les questions qui ont tant de liaison avec la foi. » Un peu plus loin, il ajoute : i II se pourrait bien faire que ce que nous appelons diverses opinions, ne fussent qu’autant de divers aspects et autant de différents jours d’une même beauté. » En conséquence, il faut aimer sagement la vérité : « Il faut l’aimer avec modération pour ne pas la laisser échapper en l’embrassant avec trop d’empressement et de chaleur. » On aime son propre avis, dit saint Augustin, « non parce qu’il est vrai, mais parce qu’il est sien ». On arrive à la vérité plus par la pureté de vie que par la subtilité d’esprit : « Les vrais théologiens sont donc les anges de la terre comme les anges sont les théologiens du ciel. » Les références seront données d’après l’édition française, in-4°, 1682.

1. Premier mémoire contenant en abrégé la doctrine de la grâce. — Il est impossible de rendre ici toutes les nuances de la pensée de Thomassin sur une question si délicate, sujet alors de tant de controverses, où les confusions de mots sont si faciles. Commençons par distinguer avec lui la grâce habituelle et la grâce actuelle : il appelle grâce habituelle ou justifiante « la grâce la plus propre et la plus excellente de Jésus-Christ, la charité et la délectation de la justice répandue dans le cœur par le Saint-Esprit et avec le Saint-Esprit ». C. ix, arg. Elle est appelée grâce spéciale dans saint Thomas et l’École, grâce proprement dite dans saint Augustin, grâce par excellence dans l’usage commun des Pères et des fidèles. Jusqu’à Luther, elle portait seule le nom de grâce, la grâce actuelle s’appelait motion, secours spécial : le concile de Trente a autorisé la dénomination d’aujourd’hui.

C’est surtout sur la grâce actuelle que les discussions ont porté. Dans quelle mesure sollicite-t-elle la volonté ? Thomassin commence par rappeler la distinction de saint Augustin entre Vadjutorium sine quo non, sans lequel on ne peut faire le bien, mais qui ne le fait pas vouloir ou faire infailliblement ; au lieu que celui qu’il appelle adjutorium quo est tel qu’il fait infailliblement agir. « La nourriture pour vivre, la lumière pour voir sont les exemples qu’il donne des secours de la première sorte. La félicité pour être heureux est un exemple de la seconde ; car celui qui a la félicité est infailliblement heureux ; mais celui qui a des aliments et de la lumière, peut ne pas s’en servir ». C. i.

Il réduit à quatre les opinions des théologiens catholiques sur tla grâce infailliblement efficace » : 1. Celle des défenseurs de la science moyenne qui distinguent en Dieu, outre la science de vision par laquelle il voit tout ce qui a eu ou aura jamais existence, et la science de simple intelligence par laquelle il connaît tout ce qui n’a pas été et ne sera pas, mais qui peut être, admettent une troisième appelée moyenne parce qu’elle tient le milieu entre les deux « par laquelle Dieu connaît à quoi se porterait la liberté de toutes les créatures raisonnables dans toute sorte de conditions et de circonstances, étant secondée de ces secours divins qui l’aident, mais qui ne l’appliquent pas infailliblement à consentir ou à faire ». C. xviii, p. 43. — 2. Celle des défenseurs do. la prédétennination physique, « qui est une action de la cause première sur toutes les secondes et sur les volontés libres mêmes, par laquelle il les excite et les détermine ou les applique infailliblement à vouloir et à faire tout ce qu’elles veulent et tout ce qu’elles font… L’opinion de M. Pévêque d’Ypres peut être réduite à celle-ci ». Ibid. — 3. L’npinion do (-eux qui font consister la force insurmontable de la grâce victorieuse, dans la multitude, dODI la variété, la convenance et la conspiration do plu sieurs secours intérieurs et extérieurs qui séparément pourraient être et qui sont quelquefois en effet repoussés par la liberté opiniâtre de l’homme ; mais par leur multitude… ils lassent les plus obstinés et les font ensuite consentir ». Ibid. — 4. Celle des théologiens « qui réduisent cette multitude de secours à un seul qui sera tout puissant et infailliblement efficace parce que Dieu lui donnera une congruité, une convenance et comme une proportion infinie à toutes les inclinations de celui qu’il veut faire consentir ». P. 44. Toutes ces opinions sont orthodoxes. « La l re met plus à couvert la liberté de l’homme que la 2e et la 3e, mais celles-ci font mieux connaître la toute puissance de la grâce de Dieu que la l re. La 2e et la 3e conviennent en ce qu’elles donnent à la grâce une même efficacité et une même vertu préderminante ; mais la seconde semble mieux affermir cette efficacité en la tirant de la force insurmontable du premier moteur et de la cause suprême de toutes les causes. » C. xix, p. 46.

Ceci dit, il expose sa propre construction : il divise en deux le système de la prédermination physique dont il sépare celui qui met en jeu la délectation victorieuse « qui n’est autre chose que la charité habituelle ou l’affection permanente dans le cœur », qui fait qu’on aime Dieu lors même qu’on est occupé ailleurs. C. xxi, p. 50. À quoi il ajoute : « La règle générale est que nous faisons ce qui nous délecte le plus ; mais il y a cent exceptions à faire, qui ruinent l’efficacité prétendue de la délectation victorieuse. » P. 52. Pour conserver le même nombre de quatre, il réduit les 3e et 4e système à un seul. Et cette opinion lui « paraît avoir part à tous les avantages des autres… Elle ne saurait faire aucun tort à la liberté non plus que la 1°>, confessant, comme elle fait, que nous pouvons toujours résister, et qu’il n’y a point de grâce en particulier à laquelle nous ne résistions quelquefois, et que la grâce à laquelle nous ne résistons jamais, n’est que la prédestination, la providence, la conduite de Dieu sur nous, le ménagement total de notre vie, la totalité de ces secours intérieurs et extérieurs ». G. xx, p. 47. Cette opinion explique mieux, selon lui, l’efficacité de la grâce, sauvegarde la providence merveilleuse de Dieu sur les volontés des justes et des impies et respecte notre liberté. Il s’efforce ensuite de concilier les quatre : « On peut donner les mains à la science moyenne et dire que Dieu donne à la volonté qu’il veut changer des secours si propres et si proportionnés, qu’il prévoit bien qu’elle consentira… Nous pouvons aussi admettre la prédermination physique en plusieurs rencontres, si ceux qui la défendent veulent nous permettre de dire que Dieu tire premièrement le consentement de la volonté par quelque autre grâce qui ne détermine pas. » C. xxv, p. 61-62.

2. Dans les autres Mémoires, il montre que la théorie qu’il a faite sienne est conforme à l’enseignement habituel des auteurs depuis l’an 1100 jusqu’à son époque. Il ne remonte pas plus haut « parce que les théologiens des cinq ou six derniers siècles ont parlé plus méthodiquement de ces matières que les anciens Pères et ont plus précisément et plus distinctement fait connaître leurs sentiments, ayant suivi l’art, l’ordre et les règles de la dialectique ». Préface, p. 75. La première partie comprend les xii 8 et xiiie siècles avec saint Anselme et saint Bernard etc., qui ont encore conservé un peu du style des Pères, avec saint Thomas et saint Bonaventure qui l’ont abandonné ; la deuxième va de l’an 1300 à 1500, avec Durand de Saint-Pourçain, Guillaume Ocham, Pierre d’Ailly, etc. La troisième, de l’an 1500 à l’an 1564, fin du concile de Trente, avec les théologiens qui ont réfuté Luther, Thomas de Vio dit Cajétan, le catéchisme du concile de Trente, Melebfor Cano, Pierre Solo. La quatrième depuis la fin du concile jusqu’à lui : Tolet, Médina. Salmoron, l’stius. Syl-