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    1. THOMASSIN##


THOMASSIN. LES DOGMES : L’INCARNATION

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péché, le démon avait acquis un droit sur l’humanité : « L’orgueil de cet ennemi, dit saint Léon, revendiquait non sans raison son pouvoir tyrannique sur tous les hommes. » Serm., xxii, 3, cité, t. I, c. iii, 3. Abélard le premier s’éleva contre cette doctrine et fut réfuté par saint Bernard qui ne fit que reproduire ce qu’avaient dit Hugues de Saint-Victor et saint Anselme. Thomassin réduit ce pouvoir à une volonté injuste : « Bien que, dit-il, cette volonté du démon soit toujours injuste, cependant son pouvoir peut être juste. » L. I, c. iii, 8. Il cite à l’appui de cette conception Augustin, le pape Léon, JeanChrysostome, Théodoret. Cm, 9-19. Il y revient, t. IX, c. viii, pour dire que la satisfaction a été essentiellement offerte à Dieu et que, si quelque ombre de satisfaction a été offerte au démon, ce n’a été que par surabondance. L. IX, c. viii, 8. En tout cas, la rédemption a payé en toute justice. Dieu était l’offensé, un Dieu-Homme est le réconciliateur : « La miséricorde de la Trinité a opéré l’œuvre de notre réparation : Dieu le Père reçoit la satisfaction ; Dieu le Fils l’opère ; Dieu le Saint-Esprit y apporte le feu de l’amour. » S. Léon, Serm., lxxvii, 2, cité, t. I, c. iv, 9.

L’incarnation a bien d’autres convenances : l’homme par le péché s’était abaissé aux choses corporelles ; il convenait que le Verbe y fût mêlé et prît un corps. C. v-vi. La religion chrétienne et immuable est accommodée ainsi à des esprits attachés aux choses temporelles. C. vu-xi. L’homme ne pouvait être élevé au-dessus des biens sensibles que par le magistère d’un Homme-Dieu. C. xii-xxi. L’homme n’a pas seulement reçu une loi, mais un secours, une personne à imiter : l’image de Dieu détruite par le péché y est restaurée par le Christ, elle sera pleinement rétablie au ciel, « où ce torrent de grâce débordera sur les élus avec l’abondance de la béatitude, ils seront élevés eux aussi jusqu’à une semblable impeccabilité pour être métamorphosés d’une certaine façon en sa divine personne et soumis à sa divine autorité, comme des membres indissolublement unis à leur tête. » C. xxi, 8.

Le 1. II répond à trois questions : 1. Pourquoi c’est la seconde personne qui devait s’incarner ? Parce que le Père ne pouvait naître, mais seulement le Fils ; parce que les hommes avaient détruit en eux la raison que Dieu leur avait donnée et qu’elle devait être redressée par le Verbe de Dieu. G. i-ii. — 2. Pourquoi devait-elle s’incarner dans le sein d’une vierge et naître d’elle ? Pour qu’aucun sexe ne fût rabaissé ; que l’un et l’autre fût sauvé ; que le démon qui avait vaincu par la femme fût vaincu par elle ; pour faire valoir la virginité ; pour que celui qui est admirable naisse admirablement, etc. C. m-iv. Voir Bérulle, Élévation à la très sainte Vierge, éd. Migne, p. 526. — 3. Si l’homme n’avait point péché, le Verbe se serait-il incarné ? La question est plus controversée : Thomassin répond négativement. C. v. Il suppose d’abord la question résolue par les solutions précédemment données ; il cite ensuite un grand nombre des Pères et, en tout premier lieu, Augustin, qui dit que Notre-Seigneur n’a pas pris la forme de pécheur « pour une autre cause » sinon pour sauver les pécheurs. De pecc. mer. et rem., 1. 1, xxvi ; ensuite Grégoire le Grand, Léon, Prosper, Ambroise ; parmi les Grecs, Irénée, Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile, Jean Chrysostome, Origène, Cyrille d’Alexandrie. C. v. Selon lui, la doctrine contraire aurait été soutenue au xvie siècle par Jacob Natlande et avant lui par Rupert de Tui ; il les réfute par des textes de Tertullien qui peuvent aussi bien être apportés en faveur de l’autre opinion : Quodcumque limus exprimebatur, Christus cogitabatur homo julurus, De resur. carnis, 6 ; d’Athanase, qui écrit au contraire : « Le Créateur de toutes choses a jeté le Christ avant la création du monde comme fondement de noire salut. »

P. G., t. xxvi, col. 310 ; de Cyrille d’Alexandrie qui s’exprime à peu près de même, P. G., t. lxxv, col. 295. Saint Jérôme dit excellemment : « Toute l’économie du monde visible et invisible, soit avant, soit depuis la création se rapportait à l’avènement de Jésus-Christ sur la terre. » Comm. in epist. ad Ephes., t. I, c. i, P. L., t. xxvi, col. 454. L’auteur conclut que « l’incarnation ne doit pas être tant considérée comme une élévation à la gloire que comme un anéantissement jusqu’à la chair, à la croix, à la mort. » C. vi, 8. Il y trouve de très bonnes raisons de la puissance et de la sagesse de Dieu : « Un Dieu s’humanise, un esprit devient corps, l’incréé est créé, l’éternel naît, l’invisible peut être vu… La sagesse de Dieu s’était déployée dans la beauté de l’univers, l’harmonie, l’ordre, la constance… Par l’incarnation, l’éternel subit le temps, l’immense est renfermé dans i’espace, celui qui est engendré de toute éternité renaît, la sagesse se fait enfant, l’impassible souffre, etc., » 1-8. Sa bonté aussi y éclate : le Verbe s’abaisse parce que l’homme est tombé, il est un exemple d’humilité ; sa grâce sert à l’homme tombé, elle n’aurait pas été aussi utile à l’homme intègre. Il ajoute que le Verbe devait s’unir non à l’ange, mais à l’homme, parce que c’est l’homme qu’il devait racheter et non l’ange ; il n’admet même pas que les bons anges aient dû leur persévérance au Christ : « Si la divinité du Verbe avait opéré par sa chair le salut des anges, les fondements de la théologie des Pères seraient ébranlés ». C.xii, 25.

En admettant que la réparation du péché est la cause finale de l’incarnation, Thomassin se range à l’opinion de ses maîtres de l’École française. Voir l’art. Oratoire, t. xi, col. 1110 ; il aurait pu aussi bien, et nous regrettons qu’il ne l’ait point fait, s’arrêter à l’exposé de saint François de Sales qui, en posant la question un peu différemment, en rendait la solution plus facile. Voir Traité de l’amour de Dieu, t. II, c. iv-v. Il a le tort aussi de ne pas voir que certains textes qu’il cite de saint Paul sont très favorables à l’opinion qu’il condamne. Col. i, 13-19. Il nomme un grand nombre de Pères de l’Église qui admettent l’incarnation résolue seulement après le péché ; quelques-uns peuvent être interprétés dans l’un et l’autre sens.

2. L’unité de la personne du Christ (1. III). — Thomassin commence par cette déclaration importante : « C’est à peine si nous pouvons traduire notre pensée par des paroles, à plus forte raison, ne pouvons-nous le faire pour Dieu. C’est la raison pour laquelle les Pères de l’Église catholique se sont efforcés de vénérer les divins mystères plutôt que de les approfondir et de les atteindre par une tacite contemplation de l’esprit plus que par le bruit des paroles ». C. i, 1. En effet, les termes, ouata, Û7t6aTaaiç, 7Tp6aw7rov en grec, subslantia, hypostasis, persona en latin, substance ou nature, hypostase ou suppôt, personne en français ont été l’objet de beaucoup de discussions et n’ont guère reçu leur signification définitive que vers la fin du rye siècle.

Thomassin rappelle d’abord que, pour exprimer l’union du Verbe avec la nature humaine, Nestorius (ce qui d’ailleurs est inexact) ne voulait pas employer le terme ëvcocrtç, union, mais seulement auvâipeta, juxtaposition ; c’était nier l’union hypostatique et ne reconnaître entre le Verbe et Jésus qu’un rapport extérieur. C. ii, 1-2. Saint Cyrille au contraire affirmait Vunion naturelle qui, du Veibe et de la nature humaine constitue la personne du Christ. C. vii, 1. De même que, de l’union de l’âme et du corps est formé l’homme, de même de l’union de la divinité avec l’humanité est formée la personne du Christ. C. viii. Mais la nature humaine jointe au Verbe, n’est pas celle d’une personne, elle n’est qu’une sorte d’appartenance, ce que Thomassin appelle accessio. C. ix-xv.

Malgré cela, la nature humaine du Christ possède