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THOMAS D’YORK


longues années déjà les « artistes » commentaient les grands auteurs du passé, que les traductions mettaient successivement à leur portée. Dépouillant toutes ces données de leur appareil livresque, Thomas d’York a réussi à les encadrer en un remarquable exposé d’ensemble. On peut critiquer nombre de détails de son plan ; il n’empêche que les diverses questions qui s’agitaient alors dans les écoles finissent par être toutes traitées.

Dans quel esprit le sont-elles ? » Une double voie, dit E. Longpré, s’ouvrait. L’une consistait à subordonner les éléments les meilleurs de l’aristotélisme hellénique ou arabe et du néo-platonisme à la tradition de saint Augustin et de saint Anselme, qui avait jusqu’alors imposé à la pensée son interprétation du monde et de l’âme et sa philosophie de Dieu et de l’ordre moral. L’autre, au contraire, tendait à soumettre le donné traditionnel à la philosophie péripatéticienne, jusqu’aux limites extrêmes permises par le dogme révélé. Thomas d’York, conscient du paganisme foncier de la métaphysique aristotélicienne, s’engagea dans la première voie, alors qu’Albert le Grand devait prendre plus tard la seconde. Là est précisément la principale signification du Sapientiale. Embrassant la plupart des problèmes de la spéculation pure que la scolastique allait soulever, il donne à ia métaphysique du xiiie siècle la première sinon l’unique Somme exclusivement métaphysique et cela en utilisant très amplement les éléments de valeur contenus dans l’aristotélisme et le néo-platonisme, mais sans rien sacrifier de la tradition philosophique augustinienne. » Op. cit., p. 894.

Voici quelques-unes des thèses où Thomas montre sa fidélité à la pensée qu’à la même date Alexandre de Halès élaborait dans sa Somme théologique et que saint Bonaventure devait mettre en un puissant relief. La plus importante est celle de l’unité de la sapience philosophique : tout le savoir est un don de Dieu, un reflet du Verbe dont la lumière éclaire philosophes et fidèles : Deus est lux mentium ad addiscenda omnia et lumen rationalis animæ non est nisi Deus ipse…, igitur ipse est fons sapientise. Sap., i, I, Le Christ est au centre de la spéculation chrétienne et le malheur des philosophes anciens, c’est de ne l’avoir point connu ; ne le connaissant pas, ils ont souffert de deux maladies capitales, l’ignorance de la fin et le manque de l’exemple à suivre. Cette question de méthode établie, Thomas est à l’aise pour résoudre les problèmes que posent les divergences des philosophes. Ainsi il est nettement partisan, comme l’avait été Augustin, du système des idées platoniciennes mais qui trouvent leur centre, leur lieu dans le Verbe, I, xxvi et xxvii. Le monde est dès lors comme un livre où le nom de Dieu est écrit partout, encore qu’il soit scellé pour trop de gens. Comp. sensib., i. À cette doctrine de « l’exemplarisme » si-rattache comme un corollaire celle de l’origine des idées dans l’intelligence humaine : il n’est pas vrai, pense notre auteur, que tous nos concept*. Dont viennent par la voie des sens ; il faut faire une plac. large à l’action de la cause première, per viain in/luenliiE et receptionis a Primo. Cette connaissance, continue-t-il, est plus certaine que L’autre, i lie ne provii nt pas d’un enseignement externe mais feulement d’une illumination intérieure. Sap., 1, xxx. On ne (’étonnera donc pas que Thomas accepte la valeur, pour la démonstration de l’existence de Dieu, de l’arg &ment de saint Anselme. I, ix.

Dana ! < domaine de la philosophie Bâton Hc il admit la composition hylémorphiquc de tous lis créés, les substance* atrttuel les comprises <i prend vivement à partie Guillaume d’Auvergne, qui, délais saut l’idée vraie de s ; ijnt Augustin, s’était prononcé (outre ce sentiment, lie même enscigne-1 il les (mi nions traditionnelles de l’augustinisme sur l’entité et l’unité de la matière, la pluralité des formes, la nature et l’activité de la lumière, le concours de l’image à la formation de l’idée, etc. ». E. Longpré, p. 903-904.

Mais ce n’est pas à dire qu’il reste fermé aux nouveaux courants de pensées qui commencent à se répandre. Il connaît bien Aristote, par exemple, et analyse pertinemment les raisons que celui-ci oppose à la théorie platonicienne des idées ; il rappelle les explications données par Averroès et les autres philosophes arabes ou juifs : Algazel, Avicenne, Avicebronne, Maimonide. S’il décide en général contre eux, ce n’est donc pas par ignorance, mais pour des raisons fortement motivées et parce qu’il est très au fait des doctrines de Platon qu’il connaît, sinon directement, du moins par l’intermédiaire de Chalcidius, Macrobe, Claudien Mamert, Sénèque et aussi par Augustin. En bref son érudition est considérable, tournée également vers les sages du paganisme, vers les Pères de l’Église et même vers les docteurs du Moyen Age qui l’ont précédé. De toutes ces fréquentations il a beaucoup retenu ; il est loin, par exemple, de rejeter systématiquement l’aristotélisme. Pour ce qui est de l’objet de la métaphysique, de l’ontologie, des théories de la substance et des accidents, des causes, des catégories, du mouvement, du nombre, et encore de la thèse fondamentale de l’acte et de la puissance, il marche d’accord avec le Stagirite. Les « philosophes maures » l’ont partiellement inspiré : Algazel lui fournit sa métaphysique des êtres particuliers et de leurs divisions, Avicebronne, ses théories sur la nature. Mais il n’est point esclave de ces auteurs et sait au besoin rompre en visière avec eux. Il rejette l’erreur averroïste qui refuse à Dieu la connaissance des êtres créés et la science du singulier. Plusieurs chapitres sont consacrés à établir contre eux la providence, I, xxxv-xl, la liberté de l’acte créateur, II, ii, la non-éternité du monde, II, iv-vn. En définitive, quoique très renseigné et, pourrait-on dire, parce que très renseigné, Thomas est loin de se mettre aveuglément à la remorque des nouveautés philosophiques qui commençaient à provoquer dans la chrétienté pensante du xiiie siècle un véritable engoûment.

C’est par cet ensemble de qualités que le Sapientiale est un livre précieux. Rejeté dans l’ombre par les œuvres des grands scolastiques de la génération suivante, il mériterait d’être étudié de très près. Dans aucun ouvrage de l’époque on ne peut mieux se rendre compte de ce qu’était l’école franciscaine au milieu du xme siècle. On a dit ci-dessus, art. Thomas d’Aquin, col. 651 sq., les oppositions qu’ont dû vaincre le Docteur angélique et ses disciples pour faire régner dans l’École l’aristotélisme intégral auquel, après son maître Albert le. Grand, il s’était rallié. Ces oppositions on les comprendrait beaucoup mieux, s’il était possible d’étudier dans son texte complet la Somme philosophique de Thomas d’York.

Textes.

Le traité Manus quæ contra Omnipotentem a

été publié par le P. M. Bicrbaum dans Bcttelorden und Weltgeistlichkeit an der Uniuersitât Paris, 1920, p. 36-168 ; le Sapientiale et la Comparatio, contenus dans trois mss, Vatic. lat. 4301 et 677 1, et Florence, Bibl. Bat., Conv. soppressi. yt. 6.437, n’ont pus encore, trouvé d’éditeur ; E. Longpré, art. de VArch. franc, /lisL, donne le texte de la Capitulalto, qui permet de suivre aisément l’ensemble, et quelques fragments ; voir nussi l’autre article du même auteur cité plus loin.

Notices littéraires et travaux.

- Les anciens auteurs,

Wadding, Script. O. M., 1650, p. 324 ; Sliuralrn, Sitpplrmrntum, p. 675 ;.Jean de Saint Antoine* Blbltoth. uiiiv. francise, t. III, 1733, p. 110 ; AnUr de Saint-I-rancois, Crtamut seraphleum provinciæ Anqliæ, éd. Quaracchi, 18.S5, p. 238, sont tous Insuffisants. Le premier qui ail attiré l’attention sur

Thomas est m. Grebmann, Dte Metaphyttk du Thomaa von Fort it ttt0), Qua Ptttgabe mm f>o. GtburWaç Clément

IMtimkrr, dan » les llritra^r.1.- Hiiimiker, tuppl. i, 1918,