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THOMAS D’YORK


mais pris la peine d’exposer d’affilée un système philosophique complet. Dans le Sapieniiale au contraire nous avons affaire avec une présentation d’ensemble des vérités métaphysicpics, suivant un plan très personnel. Tout en rapportant et en discutant les opinions des divers philosophes sur les sujets qu’il traite, Thomas n’en vient jamais à cette méthode des quæstiones si caractéristique de la scolastique des xiie et xme siècles ; cf. ci-dessus, art. Théologie, col. 370 sq. Pas davantage il n’est un commentateur, encore qu’il soit bien au courant des œuvres métaphysiques de l’antiquité profane et sacrée. C’est ce genre d’exposé qui fait avant tout l’intérêt d’une œuvre si différente de toutes celles qui l’environnent. Si l’on ajoute que ce volumineux traité est une œuvre de jeunesse, on n’en est que plus étonné de la voir surgir dans la première moitié du xiiie siècle.

L’idée d’ensemble, résumée dans le titre est de rechercher ce que la « sapience chrétienne » et celle aussi des philosophes de la gentilité ont dit sur Dieu d’une part, sur la création de l’autre, sans recourir aux lumières de la Révélation : Elegi… de libris philosophicis congregare aliqua quæ dixerunt de Crealore et creaturis. L. I, c. m. Le 1. I er traite donc de Dieu, de son existence, dont les diverses preuves sont étudiées rapidement (l’argument dit de saint Anselme est admis au c. ix), de son unité. Après quoi l’auteur essaie de donner sinon une « définition », au moins des « descriptions » de cette réalité suprême, d’énumérer les principaux attributs divins : la science (ce qui est l’occasion de développer la théorie platonicienne des idées), la puissance, la bonté, la providence, sur laquelle l’auteur s’étend longuement, c. xxxv-xl ; les derniers chapitres traitent sommairement du culte dû à Dieu, fin suprême des êtres raisonnables, la seule qui puisse donner la félicité à l’âme. — Le 1. II passe aux êtres créés et s’occupe d’abord de l’acte créateur, qui les appelle à l’existence ; c’est l’occasion de disserter sur l’éternité du monde, enseignée par les philosophes anciens mais dont l’auteur soutient qu’elle est une impossibilité. Cette question réglée, vient celle des deux principes constitutifs de tout être créé, à savoir la matière et la forme (quæ. surit quasi duse radiées omnium et in quas resolvuntur omnia), sur quoi roule toute la fin du livre. — Le 1. III aborde l’étude de l’ontologie proprement dite : des propriétés transcendentales de l’être et des prédicables, ce qui soulève la question des « universaux » nettement posée au c. viii : ubi habeat esse universale ut universale, videlicet an in anima tantum an etiam in singularibus extra ? L’auteur se range à un réalisme modéré. Suit l’étude des prédicaments ou catégories : substance et accidents et, parmi ceux-ci, la quantité à qui sont consacrés de longs développements. — Le t. IV, plus bref, achève le traité des catégories. — Avec le 1. V commence, ainsi que l’indique le préambule, une seconde partie du Sapientiale, celle des divisions de l’être : considéré d’une manière tout à fait générale, l’être se divise in ens essentialiter (c’est-à-dire Dieu) et in ens participatione (les créatures). Mais il est aussi d’autres divisions qui sont à retenir : celle de l’ens per se et de l’ens per accidens, de l’ens dépendons et de i’ens non dependens, de l’être sufficiens et de l’être non sufficiens et ainsi de suite. À partir du c. vin commence l’étude des causes, efficientes et finales (les causes matérielle et formelle ont déjà été traitées antérieurement). Un chapitre spécial, xvii, expose les raisons générales qui montrent que l’on ne peut remonter à l’infini dans l’étude des causes : quod causse non abeanl in injinitum aut secundum circulum aut secundum rectum. La question du hasard est soulevée aussitôt après ; le livre se termine par le problème du mal. — Le 1. VI continue l’étude des divisions géné rales de l’être, mais, tandis que dans la partie précédente l’une des divisions pouvait se rapporter à Dieu, ici il n’est plus question que de ce qui se peut dire des créatures, divisiones quarum utrumque extremum cadit per se in creaturas : ainsi est-il traité de l’un et du multiple, des contraires et des oppositions, des divisions de la puissance, du fini et de l’infini et ainsi de suite. — Le 1. VII commence une troisième partie du Sapientiale et introduit à l’étude de l’ens creatum perfectissimum, qui est le monde, et de la créature raisonnable, c’est-à-dire de l’âme. Entre les deux, la question de « l’âme du monde » : De anima mundi, primo si mundus animetur, secundo qualiter, si personaliter aut naturaliter, tertio an anima mundi sil creata vel increata, etc., c. viii. Et le c. ix met en évidence la part de vérité qu’il y a dans les théories des philosophes sur l’âme du monde. Puis vient l’étude de l’âme raisonnable. Ces éléments de psychologie rationnelle sont d’un intérêt puissant. Thomas y aborde les grands problèmes que l’introduction en Occident des philosophes grecs et arabes avait fait poser depuis quelque temps : questions de la substanti alité et de la spiritualité de l’âme, de l’unité de l’intellect, etc. Les derniers chapitres se rapportent aux « intelligences séparées », aux créatures qui font la transition entre le Créateur et le monde sensible, et dont la philosophie antique avait déjà postulé l’existence. La petite introduction qui ouvre le 1. VII suppose un livre VIII, où vraisemblablement il aurait été parlé des créatures inférieures. Il n’a pas été écrit. L’ouvrage entier d’ailleurs présente çà et là des lacunes, l’auteur se réservant de revenir sur telle ou telle question qu’il ne fait qu’amorcer. Ces lacunes n’ont pu être comblées, comme les copistes le font remarquer à plusieurs endroits, « l’auteur ayant été prévenu par la mort ».

Au Sapientiale fait suite, dans deux mss, un opuscule intitulé Comparatio sensibilium, considéré, d’ailleurs par l’un d’eux, comme le 1. VIII du grand ouvrage. Un autre ms. l’insère même dans le 1. VI. Mais ces diverses indications paraissent fautives ; il semble bien qu’il s’agisse d’un ouvrage distinct du précédent. L’opuscule s’ouvre par une assez longue introduction, ce qui n’est pas le cas pour les divers livres du Sapientiale. Le but des deux éc-.rits est d’ailleurs différent : le Sapientiale se proposait de faire la synthèse de la sagesse grecque et de la sagesse chrétienne. « Ici (l’auteur ) veut enseigner à lire le livre de la création et ses symboles et à utiliser les notions philosophiques pour s’élever jusqu’à Dieu. » (Longpré.) Le plan général est. à quelques différences près, celui du grand ouvrage et il ne serait pas impossible, comme l’a conjecturé E. Longpré que la Comparatio soit l’ébauche primitive du Sapientiale.

Cet ensemble, quoi qu’il en soit, représente un effort remarquable de systématisation philosophique, et cette systématisation est le fait d’un représentant non du péripatétisme mais de l’augustinisme authentique. Elle se produit au moment où les doctrines aristotéliciennes, qu’elles soient celles du maître ou celles des commentateurs, font définitivement leur entrée en Occident. Voir art. Théologie, ci-dessus, col. 359. 374. La pensée médiévale abandonnait la théologie pure et s’efforçait d’utiiiser, pour la présentation du donné révélé, les cadres qu’avait formés la spéculation antique, de grouper l’apport de la sagesse chrétienne et de la sapience des philosophes. La première chose qu’il y eût à faire était de fournir un inventaire aussi complet que possible des données de la philosophie séculière et, à ce point de vue, le Sapientiale est une réussite, puisque, sur les points principaux de l’ontologie, il exprime d’une manière synthétique les grandes idées de l’hellénisme. C’est d’ailleurs surtout l’effort synthétique qui compte ici, car depuis de