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THOMAS GALLUS


que la lutte continuait encore entre Verceil et Ivrée, qu’il mourut en décembre 1246. Il avait pu durant ses trois années d’exil publier un dernier Commentaire, le troisième, sur le Cantique (conservé dans le ms. Oxford, Balliol Coll. 21 ; Bodl. laud. mise. 313 et Vienne, Nat. 695) ; son Explanatio in ecclesiasticam hierarchiam, le 28 février 1244 (conservée dans Oxford, Merton Coll. 69 ; Vienne, Nat. 695), un petit traité sur la Conformité de la vie des prélats à la vie angélique (Vienne, Nat. 695) et un Tractatus de conlemplalione (Klosterneuburg, 1128 ; Oxford, Merton Coll. 69 ; Vienne, Nat. 695).

Le Commentaire sur le Cantique qui commence par les mots : Osculetur me… Tria sunt epithalamia, publié dans P. L., t. cevi, col. 18-286, n’est point de lui mais du cistercien Thomas de Vaucelles (entre 1173 et 1189).

II. Œuvre. — L’œuvre de Thomas Gallus est avant tout, comme il est facile de s’en convaincre, une œuvre de théologie mystique, mais d’un théologien qui s’est nourri de la doctrine de Denys. Tout y est marqué de cette influence ; il n’est pas jusqu’aux travaux du début, ses concordances sur l’Écriture, ses divisions du texte de la Bible aussi bien que de Denys, qui ne s’expliquent par la préoccupation de rendre plus facile, aux fins de ses études, le maniement de ces ouvrages. On en trouve l’application fréquente, dans son Commentaire par exemple, où il renvoie tilulo concordantiarum 4°, parte 5*, r ou : De singulis autem istis gradibus copiosa sunt testimonia scripturarum in concordantiis nostris, tytulo primo et 4.

Les préoccupations du mystique se font jour dès ses premiers commentaires sur la Bible et ont sans aucun doute dirigé le choix qu’il a fait du livre d’Isaïe et du Cantique des Cantiques. Pour ce dernier, il l’a commenté jusqu’à trois reprises, le second texte ne nous étant plus connu que par les quelques mentions qu’il en a faites plus tard. Tous les thèmes chers aux mystiques et tous les problèmes de l’union à Dieu et de la contemplation s’y présentaient d’eux-mêmes. Mais déjà dans le Commentaire sur Isaïe, qui est antérieur à son départ pour Verceil, Thomas avait abordé ces mêmes sujets, à propos du c. vi. On y trouve « l’analyse de l’itinéraire de l’âme vers Dieu ; une analyse du rendement de chacune de nos puissances, sensibles, intellectuelles, livrées à elles-mêmes ou aidées de la grâce, dans l’édification du temple qu’est l’âme sainte ; c’est en même temps une synthèse du rayonnement de l’activité angélique sur le monde de l’âme ». Quant à ses deux traités consacrés ex professo à la contemplation elle-même, et qui se placent aux deux extrémités de son séjour italien, le De seplem gradibus conlemplationis vers 1224, le Spectacula contemplationis après 1244, ils exposent cette même ascension de l’âme vers Dieu dans la contemplation par le détachement de tout ce qui est données rationnelles et conceptions intellectuelles. C’est dans le premier d’entre eux qu’il rapporte les paroles de fr. Égide d’Assise relatives aux sept degrés de la contemplation : ignis, unctio, exlasis, contemplatio, gustus, requies, gloria.

Toutefois le plus net de son œuvre se concentre sur les écrits de Denys, dont il a approfondi et assimilé la doctrine par une fréquentation assidue et un travail incessant, et dans lesquels il coule sa propre pensée. Il a exposé certains d’entre eux jusqu’à trois fois : d’abord dans des gloses (sur la Hiérarchie céleste et la Théologie mystique) ; puis dans son Exlractio qui porte sur tout le Corpus dionysiacum ; enfin dans un commentaire plus abondant, une Explanatio, qui reprend presque tout ce même Corpus à l’exception des Lettres. Quoi qu’on en ait dit parfois, VExtractio n’est pas une traduction de Denys venant s’ajouter à celles d’Hilduin, de Scot Érigène et de Jean Sarrazin. Tho mas ne connaît pas le grec, pour se livrer à semblables travaux. Il utilise par contre la dernière traduction de Jean Sarrazin. Son intention est de mettre à la portée du lecteur le texte même de Denys, mais adapté, en style courant, clair et vivant. Il cherche avant tout à dégager les lignes essentielles de la pensée de l’Aréopagite et à la présenter de façon à la rendre immédiatement assimilable. Lorsque c’est nécessaire, il abrège certains textes afin d’en mieux souligner l’idée centrale, écartant délibérément toutes les idées secondaires qui l’obscurciraient. Parfois au contraire, il y ajoute rapidement quelques développements pour éclairer la doctrine. Dans tout ce travail il se préoccupe, de façon très pratique, de mettre en garde contre les conséquences funestes que pourraient avoir pour des esprits faibles et inconsidérés les doctrines dionysiennes. Il s’efforce également d’établir ou de marquer la continuité entre la pensée de Denys et l’Écriture Sainte ; mais surtout il aime à apporter des compléments théologiques à cette pensée, comme par exemple sur la doctrine trinitaire ou celle de l’exemplarisme. Son goût personnel pour les questions les plus abstraites de la théologie s’y manifeste. Mais ce n’est jamais que par quelques développements rapides, par le choix heureux de certains termes qu’il substitue parfois à la version de Sarrazin ou de Scot, ou par un bref commentaire qu’il fournit en passant. Il lui faut rester dans les limites précises que lui impose le genre même de VExtractio auquel il s’est résolu.

Par contre une Explanatio, un commentaire personnel des ouvrages de Denys lui permettraient, sinon de faire une synthèse ou un traité de théologie mystique, auxquels il ne semble pas songer, du moins de développer ex professo les thèses qui lui sont chères. Et c’est l’idée qui le décida à reprendre à nouveau, une fois terminée VExtractio du Corpus dionysien, l’explication plus ample de ces mêmes ouvrages. Une fois de plus il retrouve le cadre général auquel il est habitué depuis 1218 ou même bien avant ; mais à l’intérieur de ce cadre il peut se mouvoir plus librement sans être tenu par les proportions d’un texte à respecter ; et il expose plus longuement son interprétation personnelle et ses thèses de théologie mystique. C’est donc là surtout qu’il faudrait s’adresser pour connaître sa doctrine et sa conception de la vie spirituelle. On y verrait s’épanouir les tendances manifestées déjà nettement dans VExtractio ; et en tout premier lieu cet anti-intellectualisme qui marquera de son empreinte de nombreux écrivains mystiques du Moyen Age. L’union à Dieu dans laquelle se termine le retour de l’homme, sorti de l’Un, tombé dans le multiple et devant, par la connaissance et l’amour, revenir à l’Un, cette union n’est possible que par l’abandon de nos images et de nos idées, sous la compression de l’esprit ; mais elle réclame même que l’homme s’élève au-dessus des lumières divines elles-mêmes, du moins dans ce qu’elles ont de fini dans leur expression ; il faut entrer dans la ténèbre divine pour s’unir à Dieu d’une union d’amour, source de la véritable connaissance, cognitioni mullo meliori quam sil cognilio intelleclualis.

D’autre part, dans l’interprétation qu’il donne de Denys, il faut souligner la tendance de Thomas à le christianiser, si l’on peut dire, à transposer en théologie ce que Denys disait en philosophie ; comme c’est le cas particulièrement pour l’exemplarisme où Thomas entend unifier dans le Verbe les exemplaires de toutes les réalités créées. Il insistera également dans le même sens sur la doctrine du rayonnement des anges sur l’âme, comme élément de la hiérarchie plus large qui règne dans le monde.

III. Influence.

L’influence de Thomas s’exerça de son vivant déjà, sans doute par l’intermédiaire de saint Antoine de Padoue, sur l’école franciscaine. Sa