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THOMAS BRADWARDINE


super meam debilem voluniatem, qui non posset omnipotentissime lacère me velle et facere quidquid vellet, …immo cujus voluntas non sit mihi nécessitas secundum sensatam sententiam. L. II, c. xxix. Pourquoi l’homme ne se contenterait-il pas de cette liberté qui fut celle du Christ, qui est celle des anges et des élus ? L. III, c. ix.

Bradwardine pose très nettement comme thèse ce qu’on peut appeler, et qui est en vérité, le déterminisme théologique, par opposition au déterminisme scientifique athée sous ses diverses formes, déterminisme psychologique ou fatalisme : Sufficiat homini ut sit liber respectu omnium citra Deum, et tantummodo servus Dei, servus inquam spontaneus non coactus. L. III, c. ix. Dieu en effet, parce qu’il est la cause première universellement efficace, toute-puissante, ne peut voir son action contrariée. Par ailleurs, non seulement il peut intervenir mais il le doit, parce que la créature est dans son entière dépendance pour le mouvement comme pour l’être. Or, l’action divine, ou son influence, est à base de volition, d’une volonté précise, atteignant l’individu, sujet et acte. Il y a donc priorité du vouloir et de l’influence divine : Quandocnmque Deus et creatura rationalis coefficiunt liberum aclum suum, Deus prius naturaliter agit illum quam ipsa ; et quod voluntas divina præcedit naturaliter in agendo ut domina, et creata ipsam subsequitur naturali ordine ut ancilla. L. III, c. lui. Il y a même une vraie nécessitas naturalis præcedens, aniecedens, aussi bien pour nos volitions que pour toute activité contingente ; car la différence de temps n’importe pas et, à l’égard des actes futurs, Dieu est aussi complètement cause première et maître qu’à l’égard du passé et du présent. Il peut donc, et il faut le reconnaître, nécessiter en quelque sorte la volonté à l’acte libre : Imprimis igitur ostendendum Deum posse necessilare quodammodo omnem voluntatem ad liberum. immo liberrimum actum. !.. III, c. i ; cf. I. III, c. viii. Il en fut ainsi même pour le Christ qui a joui cependant de la plus haute liberté qui fût : Et illam (voluntatem) poluit necessilare voluntas ejus divina, immo et necessitavit de facto ad singulos liberos actus suos, et ad omnes et singulas cessationes et vacationes libéras ab actu. L. III, c. i.

Est-ce donc que l’homme cesse d’être libre ? Non pas : car Bradwardine fait résider le libre arbitre non pas dans l’insoumission ou la pleine indépendance à l’égard de toute cause (il élimine toutefois la dépendance à l’égard des causes créées), mais dans la puissance raisonnable de juger raisonnablement et d’exécuter volontairement : Liberum arbitrium seu potius arbitrium liberum… est potestas rationalis rationaliter judicandi et voluntarie exequendi. L. II, c. i. Dès lors qu’il peut se mouvoir volontairement, qu’il peut se porter spontanément vers tel objet qu’il a jugé bon, ou se refuser à tel autre mauvais, sa liberté subsiste : Sicque dicitur dominus sui actus quia cum vult agit, et cum non vult non agit ; et hoc voluntarie, non invite nec coacte. I.. III, c. ix. Or, malgré l’influence toutepuissante et infaillible qu’il exerce au fond de la volonté, et dont on n’a pas nécessairement conscience d’ailli urs, Dieu n’oblige pas, ne force pas iolemment : PtVCUl dubio Deus nullum violenter impellit, srd omnes volunlarios s/iontance impellit et trahit ad quoslibet liberos suos aclus. L. III, c. xxix.

Objectera-t-on qui’, dans ces conditions, l’homme n’est plus maître de ses actes, qu’il ne peut donc mériter ni démériter, Bradwardine répond en concédant l’abord que mil ne possède, jamais plein empire sur

  • on activité, pleine indépendance, mais que ceci n’est

pas requis, c t même ne peut être : Nihil est ergo in potestnte nostrn nisi secundum quid tantummodo, scilicet subactiva, subexecutiva et subserviente necessario, neressilate scilicel naturaliter précédente, respectu volun-Intis iivinm ; quod ideo dicitur in noslra potestate quia

niCT. DB THÉOL. CATII’il.

cum volumus illud facimus voluntarii, non inviti. L. III, c. ix. Mais, dans la réserve qu’il établit au sujet de nos actes, à savoir qu’ils demeurent néanmoins volontaires, spontanés, il trouve une raison suffisante pour que le mérite subsiste ; il suffit que, serviteurs de Dieu, nous le soyons spontanément, ratifiant somme toute cette dépendance, non à contrecœur : Ex his autem evidenter apparet quod licel quis necessitatus fueril ad faciendum quidquam boni vel mali, si tamen necessitationem illam ignoret et faciat hoc voluntarie et libère quantum in se est, meretur. L. III, c. i. Il ne craint donc pas d’associer les termes de nécessitas spontanea, libéra et compatiens libcrtaiem et meritum. L. III, c. x.

Dira-t-on, en sens inverse, que semblable nécessité antécédente rend impossible le péché, il répondra de même façon ; car, quoi qu’on fasse de bien ou de mal, que l’on soit ou non dans l’ignorance de cette influence toute-puissante de Dieu qui s’exerce, pour peu qu’on agisse volontairement et spontanément, on est responsable. Or, précisément, Dieu ne force personne : Nullum invitum violenter impellit. L. III, c. xxix.

N’est-on pas du moins logiquement amené à faire de Dieu l’auteur du péché ou du mal ? Bradwardine ne l’admet point. Tout d’abord parce que le mal, n’étant pas une réalité positive, n’a pas à proprement parler de cause. Parce que, en outre, il n’y a point, à strictement parler, de désordre, déformation ou péché absolu dans le monde entier, mais seulement par rapport aux causes inférieures qui voudraient, sans y parvenir, troubler l’ordre prévu et voulu par la cause supérieure. L. I, c. xxxiv. Par ailleurs, même s’il est vrai que Dieu nécessite de quelque façon à l’acte du péché, pour ce qui est de la substance de l’acte, il ne s’ensuit pas qu’il nécessite à ce qu’il y a de désordre et de difformité dans le péché. Tout au plus peut-il le vouloir secundum quid, comme le médecin veut faire emploi de poisons dans les remèdes qu’il prescrit : Sic eliam peccatum est a Deo volitum privative ; quilibel tamen actus secundum id quod est, quia ut sic bonus est, est volilus a Deo proprie positive. L. I, c. xxxiv.

Cette doctrine enfin, parce qu’elle protège du rempart inexpugnable de la puissance divine et de la nécessité susdite les mœurs et les vertus, est leur meilleure défense et leur plus sûre sauvegarde. L. III, c. xxix.

III. Originalité et influence.

Bradwardine expose lui-même dans son ouvrage que sa conversion aux thèses qu’il y défend date de ses années de jeunesse, avant même qu’il eût suivi les cours de théologie, adhuc nondum theologiæ factus auditor. L. I, c. xxxv. Il se dresse, il le sait bien, contre l’immense majorité de ses contemporains ; lui-même avait auparavant partagé l’erreur commune. Mais il attribue à une sorte d’illumination d’en-haut la compréhension vraie du passage de saint Paul, Bom., ix, 16 : Non volentis, ncque currentis, sed miscrentis est Dei. Tout dépend de la grâce de Dieu. C’est à partir de là qu’il a construit sa thèse. Malgré le caractère métaphysique de celle-ci, il faut donc lui attribuer fort probablement comme origine une préoccupation d’ordre religieux. Bradwardine ne se pose pas en réformateur pourtant et jamais il ne fut un hérétique. Il insiste cependant sur les doctrines que reprendront plus tard Luther et Calvin : celle de la justification par la foi seule, avec rejet de tout mérite, même de congruo. I„ I, c. xxxix. Scquuntur enim opéra juslifieatum. non pnrccdnnt juslificandum, sed sola fide sine operibus pnrrrdentibus fil homo justus. L. I, c. xliii. Il développe également la thèse de la qrmina prsedestinalio. Et l’on trouve aussi chez lui telles positions sur les péchés, qui sont véniels ou mortels, selon qu’ils sont commis par un prédestiné ou un non prédestiné, que >clef lui

XV.

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