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peut-être celui dont un extrait du IIe livre se lit dans le Vatic. lat. Il 002, fol. 2-79. Il aurait écrit encore des Meditationes et une Somme théologique, appelée encore Summa scientiarum. Mais le premier de ces ouvrages se ramène, semble-t-il, à un chapitre du 1. II De causa Dci ; et la Somme est un autre chapitre donné par certains manuscrits à son œuvre capitale : De causa Dei adversus Pelagium et de virtute causarum, ad suos Mertonenses. Dédié à ses « fellows » de Merton Collège et rédigé sur leurs instances (Préface), cet ouvrage demeure sans contredit son principal titre à la notoriété dans l’histoire des doctrines théologiques. Terminé à Londres en 1344, il avait été entrepris après 1338, mais dans la ligne de l’enseignement oral donné précédemment à Oxford. Il ne fut imprimé qu’en 1618 à Londres par les soins de Henry Savile.

II. Positions doctrinales.

Gomme le titre l’indique, Bradwardine entend réagir vigoureusement contre tout, ce qui peut être complaisance pour les doctrines de Pelage, ou infiltrations de celle-ci dans la théologie scolastique ; tout ce qui concède à la volonté humaine et à son initiative une part plus grande qu’il ne convient. Ses démonstrations entendent s’appuyer sur l’Écriture, saint Paul surtout, et sur la Tradition dont saint Augustin est pour lui le principal représentant ; mais ses positions métaphysiques plus encore fournissent au Doctor profundus le plus clair de son argumentation. Le plan adopté le laisse entendre déjà. Le 1. I er, en ses 47 chapitres, prend le sujet par ses sommets : Dieu, son essence, ses attributs et tout particulièrement (c. vi-xxvii) sa science, celle des futurs contingents surtout, et sa volonté. En conclusion vient le problème du gouvernement du monde (c. xxvii-xliii) et de la prédestination (c. xliiixlvii). Le 1. II aborde l’autre terme du problème : ses 34 chapitres étudient l’homme et sa liberté ; la nécessité et la nature de la grâce ; la grave question de la causalité respective des causes premières et secondes. Au 1. III enfin (53 chapitres) le vrai problème est attaqué de front, celui des rapports entre la volonté toute-puissante de Dieu et la liberté humaine. Bradwardine y prend nettement position pour Dieu et son action infaillible (c. i-ix), puis défend cette position contre les objections ou reproches qu’elle pourrait susciter de la part des pélagiens (c. x-liii).

Sa conclusion est contenue déjà dans ses prémisses, dans l’idée qu’il présente de la science et de la volonté divines. Deux principes mis par lui en relief dès le premier chapitre, de son livre (et dans les 40 corollaires qui le complètent et n’occupent pas moins de 142 pages ) dirigent d’ailleurs tout son raisonnement. Le premier, d’inspiration anselmienne, rappelle la perfection souveraine et nécessaire de Dieu et esquisse, dans le sens de saint Anselme, la démonstration de son existence. Deus est summe perfectus et bonus, in tantum quod nihil perfectius vel melius esse posset. L. I, c. i ; cꝟ. t. I, c. xiv. Aussi ne peut-on rien lui refuser en fait de perfection, ni atténuer en quoi que ce soit son influence et sa puissance. Le second principe, d’origine aristotélicienne, rappelle comment, dans l’ordre des causes, il est impossible de procéder indéfiniment, et comment par conséquent on doit aboutir à une cause première. L. I, c. i. Il en est fait application aux divers domaines : de l’être ; du vrai : in ordine verorum non est infinitus processus, sed est aliquod primum verum quod est causa omnium aliorum, t. I, c. n ; sicut Deus est primum eus omnium entium et prima causa essendi quodeumque, sic est primum verum et necessarium incomplexum, t. I, c. n ; du juste et du bon : in regulis enim justitiee sive legis non est ascendere infinité, sed est aliqna summa omnium et principium aliarum, t. I, c. xxi ; de la causalité également.

Dieu infiniment parfait est nécessairement science et vouloir infinis. C’est en lui-même, en son essence comme en un miroir parfait, qu’il connaît toutts choses ; et les idées des êtres sont réellement identiques à cette essence divine, absolument une et simple. S’il faut écarter de lui tout discours et raisonnement. on peut lui reconnaître du moins une double science : incomplexa (de simple appréhension, d’intuition) et complexa (celle qui correspond en nous à la composition et à la division, à l’affirmation et à la négation). Mieux vaudrait dire peut-être une scientia incomplexorum et complexorum. De cette dernière relève toute connaissance où se trouve impliquée, affirmée ou niée, l’existence de l’objet, nécessaire ou contingente. Certaines sont antérieures à la volonté divine, par exemple : Deum esse ; Deum esse seternum, et celles-là Dieu les connaît par sa seule essence ; d’autres suivent au contraire cette volonté divine, par exemple : mundum esse ; quamlibel creaturam esse, et celles-là Dieu ne les connaît que par la connaissance qu’il a de son propre vouloir. Si son essence en effet lui donne l’idée d’Antéchrist, elle ne lui fournit ni l’existence ni la non-existence de celui-ci. Il faut pour cela qu’intervienne unedétermination en vertu de laquelle tel être sortira ou non de ses causes. L. I, c. xviii. C’est l’œuvre de la volonté divine que de fournir à la science cet élément de jugement existentiel : Sic et volunias divina respectu alicujus futuri velut propria ejus species représentât intcllectui divino illud fore ; et Me per illam hoc, sine omni discursu, immediatissime comprehendit sicut oculus corporalis per speciem solis solem. L. I, c. xix.

Si la science divine est vraie et source même de ia vérité, c’est que la volonté divine est toute-puissante et que rien ne peut se dérober à ses décisions : divina voluntas est universaliter efficax, insuperabilis et necessaria in causando, non impedibilis nec frustrabilis ullo modo. L. I, c. x. Rien ne se meut que par elle et n’arrive que selon ses interventions : Divina voluntas est causa efficiens cujuslibet rei jactæ, movens seu molrix cujuslibet molionis. L. I, c. ix. Il s’ensuivra d’ailleurs que, souveraine maîtresse des essences et des existences, elle est également la seule règle de ce qui est bon ou convenable ou juste : quod Deus vult sic fieri, rationabile est quod sic fiât, none contra. L. I, c. xxi. Si quæras quid juslum, quid injuslum, respice ubi semel locutus est Deus et ibi invenies fontem justifiée. L. I, c. xxi.

Cette volonté diviiu rencontre à un moment donné la volonté et la liberté humaines. Il est bien évident qu’elle ne perdra pour autant aucun de ses privilèges : ni l’initiative qui toujours doit lui appartenir, ni l’efficacité absolue de ses décisions, ni sa causalité qui s’exerce au plus profond de l’être. Mais alors il importe d s’entendre sur ce qu’implique la liberté humaine. Bradwardine s’en fait le défenseur contre toute atteinte venant des causes créées : Dico quod natura voluntatis creatæ est talis ut in suis actibus liberis nulli causæ secundæ de necessitate subdatur, teJ tantum Deo. L. III, c. xi. Point, de déterminisme psychologique, à la façon des averroïstes ; point de fatalité découlant de l’action des astres et des constellations. t. II, c. ni ; point de violence ou de coaction, évidemment ; la liberté humaine est donc libertas a necessitate naturali, a necessitate jatali. a necessitate violenta Mais pourquoi vouloir l’émanciper par rapport ù Dieu ? N’est-ce pas contradictoire à tout l’ordre de la nature ? Nec vult nec velle potest creaturam esse sir liberam qued non Deo de necessitate subjecta, uui quod agere possit sine eo ; hoc enim conlradiclionem incluait. L. III, c. xxix. N’est-ce pas prétendre ruiner le souverain domaine de Dieu et sa toute-puissance ? Illum nolo pro Deo nostro habere qui non sit omnipolens in agendo, qui non habet omnipotentissimum dominatum