Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée
63
64
TATIEN


pas sous la mouvance de Tatien, saint Irénée et Clément d’Alexandrie entre autres (L. Vaganay).

Le problème reste obscur. Il mérite de retenir l’attention des critiques qui doivent avant tout s’efforcer de restaurer le texte même de Tatien en dehors de tout esprit de système et d’idée préconçue.

III. La doctrine.

Tatien se présente à nous comme l’ennemi né de la philosophie : il n’y a pas de sarcasmes qu’il lui épargne, d’insultes dont il ne la couvre. À l’en croire, rien de bon ne serait sorti de la philosophie grecque. Aussi faut-il résolument abandonner la sagesse de ce monde, tourner le dos aux fables et aux turpitudes du paganisme pour s’attacher à la vérité chrétienne.

Celle-ci affirme avant tout l’unité de Dieu. Orat., v. Mais, pour être unique, Dieu n’est pas seul ; tout au moins ne le reste-t-il pas : « Dieu, écrit Tatien, était dans le principe, et nous avons appris que le principe c’est la puissance du Verbe. Car le Maître de toutes choses, qui est lui-même le support substantiel de l’univers, était seul, en ce sens que la création n’avait pas encore eu lieu ; mais en ce sens que toute la puissance des choses visibles et invisibles était en lui, il renfermait en lui-même toutes choses par le moyen de son Verbe. Par la volonté de sa simplicité, sort de lui le Verbe, et le Verbe qui ne s’en alla pas dans le vide est la première œuvre du Père. C’est lui, nous le savons, qui est le principe du monde. » Orat., v.

Il semble, à lire ce texte, que Tatien distingue deux états du Verbe. Avant la création, le Père est seul, bien que le Verbe soit en lui, comme la puissance de tous les êtres à créer. Lors de la création, le Verbe est proféré ; il sort alors du Père, dont il est la première œuvre, Ipyov TtpcoTÔTOXov. Tatien n’emploie pas, comme le feront plus tard les ariens, le mot xxî(T[i.a. Le terme d’œuvre est pourtant suspect.

Il ne faut pas le presser, car l’apologiste continue en mettant en relief l’unité de nature du Père et du Verbe : « (Le Verbe) provient d’une distribution, non d’une division. Ce qui est divisé est retranché de ce dont il est divisé, mais ce qui est distribué suppose une dispensation volontaire et ne produit aucun défaut dans ce dont il est tiré. Car, de même qu’une seule torche sert à allumer plusieurs feux et que la lumière de la première torche n’est pas diminuée parce que d’autres torches y ont été allumées, ainsi le Verbe, en sortant de la puissance du Père ne priva pas de Verbe (Xôyoç) celui qui l’avait engendré. » Orat., v. La comparaison des torches, empruntée à Justin, corrige en partie les insuffisances des premières expressions. Le concile de Nicée, en la reprenant pour combattre les ariens, achèvera de lui donner sa valeur.

Le Verbe, une fois proféré par le Père, est l’instrument de la création : « Le Logos céleste, esprit né du Père, raison issue de la puissance raisonnable, a fait à l’imitation du Père qui l’a engendré, l’homme image de l’immortalité, afin que, comme l’incorruptibilité est en Dieu, de même l’homme participe à ce qui est le lot de Dieu et possède l’immortalité. Mais, avant de former l’homme, le Logos crée les anges. » Orat., vu. Avant même d’avoir fait les anges, Dieu avait peut-être créé la matière elle-même. Tatien n’est pas très assuré en ce qui regarde l’ordre d’apparition des créatures. L’important est qu’il n’admette pas l’éternité de la matière et sur ce point il est très explicite. Il déclare nettement que la matière n’est pas sans principe ainsi que Dieu et qu’elle n’a pas, n’étant pas sans principe, la même puissance que Dieu : elle a été créée ; elle est l’œuvre d’un autre et elle n’a pu être produite que par le Créateur de l’univers. Orat., v.

Le Verbe ne joue pas seulement un rôle dans la création. Il agit dans le gouvernement du monde, dans la prédiction de l’avenir, dans la promulgation de la

Loi : « Quant au Logos, comme il avait en lui-même la puissance de prévoir l’avenir…, il prédisait l’issue des événements futurs et, par les défenses qu’il formulait, il se montrait comme celui qui s’oppose au mal et qui loue ceux qui savent rester bons. » Orat., vu. Ces formules ne sont pas très claires, elles pourraient signifier que le Verbe a inspiré les prophètes d’Israël et que ceux-ci ont parlé sous sa conduite : l’idée était familière à saint Justin et il ne serait pas surprenant que Tatien l’ait empruntée à son maître ; mais celui-ci l’exprimait d’une manière incomparablement plus précise. Il ajoutait d’ailleurs que le Verbe avait également parlé, quoique d’une manière différente par la bouche des sages de la Grèce, et ceci Tatien est bien loin de le penser, puisque, pour lui, les plus grands de ces sages eux-mêmes ne sont que des sots.

Le Saint-Esprit n’est pas mentionné dans l’exposé théologique des chapitres v et vu. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car Tatien se conforme à la réserve observée à son sujet par tous les apologistes. Il connaît pourtant l’Esprit-Saint et il mentionne son rôle à plusieurs reprises, tout en laissant dans l’ombre le problème de sa personnalité. Le texte le plus explicite se trouve au c. xin : « Dans le principe, l’Esprit fut uni à l’âme, mais l’Esprit l’abandonna quand elle ne voulut plus le suivre. Elle avait encore comme une étincelle de sa puissance ; mais, séparée de lui, elle ne pouvait pas voir les choses parfaites ; elle cherchait Dieu et se formait dans son erreur des dieux multiples, suivant les contrefaçons des démons. L’Esprit de Dieu n’est point en tous ; mais en quelques-uns qui vivent justement il est descendu, s’est uni à leurs âmes et, par ses prophéties, a annoncé aux saintes âmes l’avenir caché ; et celles qui ont obéi à la Sagesse ont attiré en elles l’Esprit qui leur est apparenté ; celles qui lui ont désobéi et qui ont écarté le ministre du Dieu qui a souffert se sont révélées les ennemies de Dieu plutôt que ses adoratrices. »

Nous voudrions quelque chose de moins embrouillé. Pour Tatien, l’Esprit est le ministre du Dieu qui a souffert : prise à la lettre, cette formule contient l’affirmation de la personnalité du Saint-Esprit, mais aussi celles de sa subordination et de sa dépendance à l’égard du Christ. Elle est d’ailleurs isolée. On voit, au reste, que l’Esprit illumine les âmes : sans lui, l’homme peut chercher Dieu, mais il ne le trouve pas et tombe dans l’idolâtrie. Il faut la lumière de l’Esprit pour connaître le vrai Dieu ; c’est ce qu’avait déjà dit saint Justin, Dial., 4. De même l’Esprit prophétise ; il annonce l’avenir caché : ailleurs cette fonction est réservée au Verbe ; et dans saint Justin c’est le Verbe qui est apparenté à l’âme, tandis qu’ici c’est l’Esprit. On a relevé enfin un rapprochement entre la Sagesse et l’Esprit : peut-être ce rapprochement n’est-il pas fortuit, car on le retrouve plus étroit chez saint Théophile.

Somme toute, la doctrine de Tatien sur la Trinité manque de précision. Il doit à la tradition les noms des trois personnes divines et souvent il s’inspire de Justin pour décrire leur rôle. Mais il enseigne le double état du Verbe et met sa prolation en rapport avec la création du monde et il laisse dans l’ombre la personne du Saint-Esprit.

Au sujet de l’incarnation, l’apologiste est encore plus réservé. C’est à peine si l’on peut relever dans le Discours des allusions à ce mystère : c. xiii, l’Esprit-Saint est appelé ministre du Dieu qui a souffert ; au c. xxi, Tatien, argumentant contre les Grecs, déclare que ceux-ci n’ont pas le droit d’accuser les chrétiens de folie, car ils racontent très souvent des apparitions de dieux sous forme humaine ; ils n’ont donc pas à s’étonner que les chrétiens prétendent que Dieu est venu sous une forme humaine. Quelques historiens, comme