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755 THOMAS D’AQUIN : VALEUR D’ARGUMENT PATRISTIQUE 756

Génies, t. I, c. n. On a parlé plus haut de son attitude envers la littérature pseudépigraphique. Mais même quand il a devant lui des textes authentiques avec leurs commentaires, il se demande si le glossateur ou ïv. commentateur a bien saisi et correctement expliqué l’idée de Vauctoritas, Sum. theol., IV-ll"', q. xlv, a. 2, ad 2um ; et cependant il va jusqu'à excuser les inexactitudes doctrinales réelles qu’il avait trouvées par l'étude approfondie de l’ensemble et par le contrôle des expressions employées dans la théologie trinitaire de Pierre de Tarentaise. Declaratio CVIII dubiorum, q. x. L'étude comparative du texte et de la doctrine lui interdit également de se ranger à l’avis des antiqui et de certains de ses contemporains, qui attribuaient la définition du caractère sacramentel au pseudoDenys ; car, selon lui, cette définition ne se lit pas en réalité chez cet auteur. In IV m Sent., dist. IV, q. i, a. 2, sol. 1. À l’exemple d’Athanase, au concile d’Alexandrie, saint Thomas déteste les discussions sur les mots quand on est d’accord sur la chose, Sum. theol., I a, q. liv, a. 4, ad 2° m ; q. lxviii, a. 4 ; q. lxx, a. 3 ; q. cviii, a. 7, ad 4um ; et il insiste sur le rôle de la langue et sur la signification des mots dans les diverses langues, ce qui vaut surtout en théologie trinitaire et christologique, à propos d’ousia, hypostasis, etc. Cont. errores Grœcorum, prol., et in fine ; In 7um Sent., dist. XXIII, q. i, a. 1 ; De potentia, q. x, a. 1, ad 8um et 9um ; Sum. theol., H a -II ffi, q. xlv, a. 2, ad 2um, etc. Il n’attache pas trop de valeur à certaines expressions qui ne sont que des trouvailles heureuses d’un Père comme par exemple le cselum empyreum dont Bède et Strabo sont les premiers à parler, De potentia, q. iv, a. 1, ad 15um ; Sum. theol., I a, q. lxi, a. 3 ; q. lxvi, a. 3 ; ou comme la cognitio vespertina et matutina dont Augustin a été l’inventeur, I a, q. lviii, a. 6, et cependant il préfère assez souvent les expressions des Pères à des formules nouvelles, quand il s’agit de la doctrine elle-même. Il étudie de très près la valeur absolue ou relative des arguments que les Pères ont employés contre les hérétiques ; saint Augustin n’avait-il pas, pour défendre la liberté contre les manichéens, proféré des arguments dont plus tard les pélagiens ont abusé pour défendre leurs doctrines hérétiques sur la grâce ? Cont. errores Grœcorum, prol. ; et il fait observer au pape Urbain IV que les moderni fidei doctores post varios errores exorlos, cautius et quasi elimatius loquuntur circa doctrinam fidei ad omnem hæresim eviiandam. Ibid. Il n’admet pas facilement une soi-disant contradiction dans les œuvras d’un même Père, car l’auteur en question a parfois expliqué à plusieurs reprises une seule et même chose, selon le besoin des circonstances ; ainsi, saint Augustin a plusieurs fois commenté le livre de la Genèse, il suffit donc ut sic accipiatur una expositio, quod alteri exposilioni non præjudicetur, quæ forte melius est. Quodl. ïv, a. 3. L’Aquinate était donc fermement résolu à rechercher toutes ces origines de la pensée humaine et il ne se lassait pas de répéter que la recherche de la vérité était en fait une œuvre commune, pour laquelle chaque génération avait fait de son mieux, parfois au prix de grands efforts. Cont. Cent., t. I, c. ïv. Cependant un fait est un fait et aucune auctoritas ne peut être maintenue en face d’un fait contraire bien établi. Ainsi, pour savoir quelle était l'étendue des ténèbres au moment de la mort du Christ, il préférait le témoignage du pseudo-Denys (qu’il croyait être un disciple des apôtres) à celui d’Origènc ou de Chrysostome et aux dicta sanctorum, dont les auctoritates en la matière ne sont pas concordantes. In Evang. Matlheei, c. xxvii. Et ce jugement sur la valeur différente des autorités obligeait parfois à abandonner l’opinion de tel ou tel Père ; ainsi dans la doctrine sur la procession du Saint-Esprit le Damascène avait

suivi, selon saint Thomas, l’opinion de Théodoret, condamné au Ve concile œcuménique ; la théorie de saint Cyprien sur l’invalidité du baptême administré par certains hérétiques, était fausse ; l’opinion de Hugues de Saint-Victor sur l’essence du baptême était inexacte. Voir pour le Damascène, De potentia, q. x, a. 4, ad 24um ; cf. Sum. theol., I », q. xxxvi, a. 2, ad 3um ; pour Cyprien, III a, q. lxiv, a. 9, ad 2um ; pour Hugues, ibid., q. lxvi, a. 1, ad 2um. Évidemment des jugements comme celui sur le pseudo-Denys et sur le Damascène doivent être contrôlés par l’histoire ; il suffit ici de signaler l’esprit du travail de saint Thomas. Il suivait les autorités pas à pas ; il en contrôlait l’origine, il en pesait la valeur, il en tirait des conséquences. Il les citait explicitement ou implicitement, mais c'était toujours à elles qu’il en revenait, et Vauctoritas reste le point de départ et la charpente de son œuvre théologique. Il n’a pas hésité à copier parfois littéralement les textes de ses devanciers ou contemporains, sans mentionner leur nom ; mais il n’a pas non plus revendiqué la propriété littéraire de quelques interprétations qui lui étaient tout à fait personnelles. Voir P. Glorieux, De quelques « emprunts » de saint Thomas, dans Rech. théol. anc. et méd., t. viii. 1936, p. 154167 (copie assez littérale de textes de Bonaventure, conservés dans le manuscrit d’Arras, 87 j) ; cf. ibid., t. vii, 1935, p. 81-85. Cet esprit de travail est vraiment caractéristique pour saint Thomas et lui donne une place exceptionnelle dans son milieu.

y. LA NATURE ET LA VALEUR DE L’ARGUMENT

patristique. — 1° Quels sont d’après saint Thomas la nature et la valeur de l’argument patristique ? — Selon lui, le propre de la doctrine sacrée est d’argumenter ex auctoritate. Sum. theol., I a, q. i, a. 8, ad 2um. Le statut de la théologie est donc un statut déductif. Cette auctoritas est contenue dans les textes des Écritures canoniques et des Pères.

Cependant ces deux catégories n’ont pas la même valeur, et elles ne se trouvent pas sur le même pied. L’autorité tirée des Écritures se trouve en dehors de toute critique. Néanmoins il peut être utile et il est parfois nécessaire, surtout pour défendre la foi contre les hérésies, d’employer un nouveau vocabulaire dans le but d’exprimer par des nouveaux moyens l’antiqua fides. Les textes patristiques, bien qu’ils soient une source indispensable pour la théologie, ne possèdent pas les propriétés de l'Écriture, aussi saint Thomas note-t-il que les Pères se sont parfois contredits ; leur méthode peut être corrigée ; leurs expressions sont parfois incomplètes ou insuffisantes, bien que très souvent ils ne fassent qu’utiliser le vocabulaire de l'Écriture pour expliquer le contenu de celle-ci. Ils sont à la fois les interprètes de l'Écriture et les organes qui continuent la Tradition.

Cette dernière se distingue des Écritures, saint Thomas l’appelle la doctrina apostolorum. Sum. theol., II*-II æ, q. i, a. 10, ad l um. L’enseignement de la Tradition se retrouve dans l’enseignement de l'Église : conciles, liturgie, papes considérés en leur qualité de chef. Cet enseignement de l'Église est aussi à l’abri de toute critique parce que l'Église est guidée par le Saint-Esprit. L. Baur, art. cit., p. 703-704. L’activité des Pères consiste donc à interpréter les Écritures et à conserver la Tradition, laquelle se confond pratiquement avec l’enseignement de l'Église dirigée par le Saint-Esprit. L’enseignement de tel ou tel Père n’engage donc pas l’autorité des Écritures ou de la Tradition ; mais la conformité générale des enseignements patristiques avec celui des Écritures et de la Tradition (c’est-à-dire avec l'Église) leur donne une valeur unique. Il fallait noter ces principes nuancés pour saisir exactement la nature et la valeur de l’argument patristique.