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THOMAS D’AQUIN : DOCUMENTATION PATKISTIQUK

nous, la doctrine plus clairement encore que ne le faisait le terme de celui-ci ; le terme technique équivalent du mot grec, n’existait pas en latin. Remarquons enfin que la documentation de saint Thomas s’est enrichie continuellement. Ainsi pour la christologie le nombre des citations que nous appellerons plus loin « citations-preuves », s’élève de 20 dans les Sentences, à 120 dans la Somme théologique. Cf. I. Backes, op. cit., p. 122.

Les Pères latins.

La connaissance de la patristique

latine chez Thomas d’Aquin n’accuse pas un progrès comparable à celui qu’on doit constater pour la patristique grecque. Pour ne pas égaler saint Thomas, ses contemporains Albert le Grand et Bonaventure ne lui sont pas trop inférieurs dans leur connaissance de la littérature latine chrétienne. Les quelques rares études sur les sources d’Albert le Grand, parues jusqu’ici, semblent indiquer que c’est par lui que Thomas a pris connaissance de plus d’un texte. Il convient de souligner le fait qu’Albert a été, avant Thomas, celui qui a le plus contribué à faire une utilisation plus grande de la patristique latine. Il ne faut pas oublier non plus la Somme inscrite sous le nom d’Alexandre de Halès, qui a été une grande pourvoyeuse de textes. Voir les indications très suggestives de l’édition léonine : t. viii, p. xxxi-xxxii ; t. ix, p. xv-xvi ; t. x, p. xxv-xxvii ; t. xi, p. xxixxlii ; t.xii, p. xi-xv. Évidemment, il peut y avoir dépendance d’une source commune, mais les cas cités, surtout pour la doctrine sacramentaire, semblent indiquer une dépendance assez directe.

Nous avons parlé plus haut des écrivains anténicéens. Quant aux écrivains postnicéens, toutes les générations et toutes les écoles sont représentées au moins par leurs noms les plus illustres. Citons deux exemples : pour la christologie : Cyprien, 1 fois ; Hilaire, Il fois ; Ambroise, 12 fois ; Jérôme, 8 fois ; Augustin, 127 fois (auxquels il convient d’ajouter plus de 20 textes qui figurent sous le nom de l’évêque d’Hipponc, mais qui en réalité proviennent de Gcnnade de Marseille, Fulgence de Ruspe, etc.) ; Léon le Grand, 2 fois ; Boèce, 3 fois ; le symbole Quicumque, 4 fois ; Grégoire le Grand, 9 fois ; Isidore de Séville, 3 fois ; Bède, 1 fois ; la Glose, 39 fois ; Hugues de Saint-Victor, 2 fois ; Pierre Lombard, 4 fois ; Alexandre IV, 1 fois ; Innocent III, 1 fois ; Rémi d’Auxerre, 1 fois ; Dans la théologie trinitaire, sont cités : Hilaire, 36 fois ; Ambroise, 5 fois ; Jérôme, 5 fois (3 textes inauthentiques ) ; Augustin, 112 fois (Il textes inauthentiques) ; Boèce, 24 fois ; Anselme de Cantorbérꝟ. 3 fois ; Grégoire le Grand, 3 fois ; Raban Maur, 1 fois ; Pierre Lombard, 5 fois ; Prévostin, 3 fois ; Richard de Saint-Victor, 2 fois ; la Glose, 5 fois. Ces quelques statistiques suffisent pour donner une idée générale. Parmi les œuvres de saint Thomas, il en est certes où les textes grecs sont en majorité, par exemple la Calena aurea (22 Pères latins, 57 Pères grecs), et autres ; néanmoins cela s’explique par le but bien arrêté que l’Aquinate se proposait en écrivant ces traités. Mais en général, la patristique latine est beaucoup mieux connue par lui que la patristique grecque. Ce qu’il ne faut pas oublier non plus, c’est l’intention bien arrêtée avec laquelle notre auteur a parfois démontré que tel ou tel point de sa doctrine était l’écho fidèle d’un Père déterminé, par exemple d’Augustin, et à cette intention il a parfois multiplié ou réuni plusieurs textes de différentes œuvres exclusivement d’un même auteur. Voir III a, q. lxix, a. 6, où se retrouvent 8 textes d’Augustin, empruntés à 6 œuvres différentes, dans le seul but de prouver que c’est la doctrine de saint Augustin qui est reprise par l’auteur de la Somme.

Insistons encore ici sur le choix que saint Thomas a fait entre ses sources. Ainsi pour la doctrine baptis male, où pour lui Vauctoritas de l’Église est la première entre toutes, il cite à la vérité Cyprien, les Canons apostoliques, Hilaire, Ambroise, Jérôme, Augustin, Gennade de Marseille, Isidore de Séville, Bède, Raban Maur, Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard, Prévostin, Gratien ; mais bien plus remarquable est la liste des papes : Célestin I er, Léon le Grand, Gélase I er, Pelage I er (et non Pelage II comme la Léonine le dit à deux reprises), Grégoire le Grand, Léon IV, Nicolas I er, Urbain II, Alexandre III, Innocent III ; ajoutons-y le IVe concile de Carthage (en réalité les Staluta Ecclesise antiqua), celui d’Agde, le IVe de Tolède, celui de Mayence. Choix judicieux disons-nous, ce qui permet de dire que la christologie de saint Thomas est principalement une christologie grecque, comme sa doctrine sacramentaire est avant tout la justification théorique des pratiques sacramentaires de l’Occident latin ; on devrait y ajouter que la théologie trinitaire, par contre, est une doctrine latino-grecque, où l’élément latin dominé par la doctrine d’Augustin, dépasse de loin l’influence grecque. Celle-ci d’ailleurs ne s’est guère exercée que par les textes lus chez le Damascène, dont les œuvres sont le résumé de la théologie grecque, et aussi grâce aux éléments grecs trouvés chez Hilaire et Augustin. Il est remarquable que, pour la théologie trinitaire, saint Thomas n’ait pas fait un appel plus répété à saint Basile. Dans la doctrine trinitaire de la Somme, il ne semble pas même connaître l’Advcrsus Eunomium, pas plus que Bonaventure (nonobstant la seule référence, inexacte d’ailleurs, de l’édition de Quaracchi). Dans le Contra errores Grœcorum, qui se place chronologiquement avant la Somme, saint Basile était cité environ 27 fois pour les questions trinitaires. Le recul, dans la Somme, est donc assez significatif. Au contraire, dans la Somme, saint Hilaire est cité 36 fois, et de saint Augustin, qui est cité 112 fois environ (avec Il citations non-authentiques) sont alléguées 13 œuvres, parmi lesquelles le De Trinitate revient 74 fois. Comme on le voit, les œuvres théologiques du grand scolastique sont à plus d’un titre des répertoires systématiques de patrologie. Cf. A. Gardeil, La documentation de saint Thomas, dans Revue thomiste, 1903, t. xi, p. 197-215.

4° Mentions anonymes des écrivains contemporains.

— Il faut dire un mot des nombreux contemporains qui sont cités sans la moindre indication personnelle. Ils s’appellent le plus souvent les quidam ; parfois aussi ils sont mentionnés par le mot magistri ; quelquefois ils sont indiqués comme étant les doctores moderni par opposition aux antiqui. Que signifie toute cette nomenclature ? On a pu croire un instant que l’expression : quidam était pour saint Thomas et ses contemporains une formule vague employée pour cacher leur identité ; et en fait c’est probablement le cas pour Etienne Langton († 1228). Mais rien ne permet de maintenir cette interprétation pour saint Thomas. Bien au contraire. S’il n’a pas la coutume d’opposer son propre nom à celui des quidam comme le faisait Simon de Tournai, il n’a pas peur non plus de dire parfois : ego vero dico… le plus souvent cependant il préfère le fameux dicendum quod… Par la formule quidam, Thomas indique en règle générale ses contemporains et ses prédécesseurs immédiats. Il y a cependant des exceptions et parfois les opinions des quidam remontent bien haut dans l’antiquité. Mais il faut chercher d’ordinaire dans son entourage immédiat. On peut dire, sous bénéfice de vérification individuelle pour chaque auteur, que l’activité littéraire de ces quidam se manifeste dans les dernières décades qui précèdent l’auteur qui les cite. Mais il reste toujours que l’identification de ces auteurs anonymes est extrêmement difficile.