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THOMAS D’AQUIN : CARACTÈRES DE SON EXÉGÈSE


tolus in pluribus locis récitât dicta gentilium, sicut in I Cor..V v : « Corrumpunt bonos mores colloquia mala. » Item Act. x vu : « In ipso vivimus, movemur et sumus. » Nec propler hoc approbatur tota eorum doctrina, sed eligitur bonum, quia verum a quocumque dicatur est a Spiritu sancto et respuitur malum. Unde dicitur Deut. x.xi in figura liujus, quod si quis viderit puellam in numéro captivarum, débet præcidere ungues et capillos, id est super fluitates. In fit., c. I, lect. 3, p. 265.

Exégèse verbale.

Saint Thomas, comme tous les

médiévaux a été féru d’étymologies puisées dans les glossaires, dans saint Isidore de Séville et un peu partout chez les Pères. Chaque nom de personne ou de lieu, hébreu, grec ou latin, est transcrit selon sa signification commune et expliqué au mieux par l’étymologie. Les exemples rapportés plus haut montrent que presque toujours ces interprétations erronées sont fondées sur des analogies morphologiques accidentelles et extérieures, confondant même souvent — on serait même tenté d’ajouter : parfois intentionnellement — la sémantique grecque et latine, voire même hébraïque. C’est que les exégètes ne recherchent pas ces équivalences par pure tradition d’école ou pour faire étalage d’érudition ; il s’agit d’un procédé exégétique conscient que nous proposons d’appeler : quod interpretatur, et basé sur ce principe que l’attribution des noms loin d’être arbitraire est déterminée par la nature même des réalités désignées. Ainsi les mots représentent l’essence des choses, et donc comprendre les noms c’est comprendre les choses. Telle était la croyance commune de l’Ancien Testament où les noms sont comme équivalents aux personnes ; d’où l’impossibilité de nommer Dieu, les changements de noms qui précèdent ou accompagnent une vocation prophétique, la fréquence des étymologies des noms propres, etc. Les Grecs ne concevaient pas les choses autrement : Quelle vertu nous font voir les noms et quel bon effet devons-nous leur attribuer ? » demandait Socrate ; et Cratyle de répondre : « C’est à mon avis d’enseigner, et on peut dire absolument que, quand on sait les noms, on sait aussi les choses. — Sans doute, veux-tu dire, Cratyle, que quand on saura de quelle nature est le nom, et il est de même nature que l’objet, du même coup l’on connaîtra aussi l’objet, puisqu’il se trouve être semblable au nom, et qu’à ce compte il n’existe qu’une seule et même science pour toutes les choses semblables entre elles… — Rien de plus vrai. » Platon, Cratyle, 435, d, e, traduct. L. Méridien Chez les Latins, saint Isidore partage la même conception : Etymologia est origo vocabulorum, cum vis verbi vel nominis per interprelationem colligilur… Cujus cognilio sœpe usum necessanum liabel in interpretatione sua. Nam cum videris unde ortum est nomen, citius vim ejus intelligis. Omnis enim rei inspectio, etymologia cognita, planior est. P. L., t. lxxxii, col. 105.

Ce raisonnement par interprétation des mots latins ou par traduction des mots hébreux et grecs « consiste à remplacer un mot étranger ]>ar sa traduction et à argumenter comme si ce mot n’avait été inséré dans la phrase dont on l’extrait qu’ailn de suggérer le sens qu’on lui attribue. Et. Gilson, Les idées et les lettres, Paris, 1032, p. 159. Il est constamment employé par saint Thomas. Tout le commentaire de la prophétie de l’Emmanuel, par exemple, repose sur la traduction de edmah qui veut dire gardée. In Is., éd. Vives, t. xvii, p. 720 ; cf. Albert le Grand, In Matth., éd. Borgnet, t. xx, p. 53. Le nom de Jean prouve que le Baptiste était un excellent témoin : Joannes quod interpretatur : « in quo est gratia », quod quidem nomen non /uit frustra sibi impositum. In.Ion., c. i, lect. 4, v. i, p. 20 ; cf. c. xii, lect. 1, t. 4, p. 321. Ce n’est pas sans raison quc BéthanU est proche de Jérusalem :

Mystice autem per Bethaniam quæ interpretatur’domus obedientiæ », et Jérusalem « Visio pacis » datur intelligi, quod qui sunt in statu obedientiæ, sunt propinqui ad pacem vitæ œternæ. Ibid., c. xi, lect. 4, ꝟ. 17, p. 305 ; cf. c. xii, lect. 1, ꝟ. 1, p. 322. Pour les besoins de l’argumentation, saint Thomas n’hésite pas à donner plusieurs traductions du même mot : Caiphas, quod quidem nomen convenit suæ malitiæ. Interpretatur enim primo « investigans », quod attestatur suæ præsumptionis. .. secundo interpretatur « sagax » quod attestatur suæ astutiœ… tertio interpretatur « ore vomens », quod attestatur ejus stultiliæ. In Joa., c. xi, lect. 7, ꝟ. 49, p. 317. Un des cas les plus parfaits de raisonnement à partir de l’étymologie est donné par l’exégèse de Joa., xii, 21, où l’apôtre Philippe reçoit les délégués grecs : Hoc convenit ei secundum nominis interpretalionem : Philippus enim interpretatur os lampadis (1). Prœdicatores autem sunt os Christi (Jer., xv, 19). Christus autem lampas est (Is., xlii, 6). Convenit etiam ei quantum ad locum : qui erat a Bethsaida, quæ interpretatur venatio ; quia prædicatores venantur eos quos ad Christum convertunt (Jer., xvi, 16). Item Galileæ, quæ interpretatur transmigratio ; et Gentiles ad prædicationem apostolorum transmigrati sunt de statu gentilitatis ad statum fidei. P. 330.

On le voit, dans cette période d’enfance de la philologie toutes les fantaisies sont permises, depuis les simples jeux de mots et les à peu-près plus ou moins gauches et subtils, jusqu’aux déformations d’orthographe et les découpages arbitraires. On décomposera par exemple cadaver en caro data vermibus, et lapis en lœdens pedem. Saint Thomas écrira candidement : Cedron autem in græco est genitivus pluralis ; quasi dicat trans torrenlem cedrorum. Forte eranl ibi multæ cedri plantæ. In Joa., c. xviii, lect. 1, t- 1, p. 457. Cette règle d’interprétation des mots, qui est un raisonnement par analogie verbale était sans doute visée par Bacon dans son troisième grief contre les exégètes : Consonanliæ rythmicæ sicut grammatici.

Exégèse scientifique.

Depuis Scot Érigène, qui

exploitait une idée d’Augustin, De doctrina christiana, t. II, c. xlii, P. L., t. xxxiv, col. 65, laquelle sera mise très en valeur par Roger Bacon, Opus majus, p. 36, le Moyen Age voyait dans l’Écriture la source de toutes les sciences et la voie d’accès à toute vérité. D’où la nécessité pour l’exégète de posséder une culture encyclopédique pour interpréter les Livres saints. En fait, Albert le Grand fut le seul à mettre utilement en œuvre les données des sciences profanes dans l’élucidation du sens littéral ; cf. J.-M. Vosté, Sanctus Albertus Magnus Evangcliorum interpres, dans Angelicum, 1932, p. 280-284. Thomas d’Aquin est beaucoup plus réservé. Commentant le mot de l’Apôtre : « L’exercice corporel sert de peu », il écrira bien : Sicut enim reubarbarum est bonum inquantum relevât a cotera, sic et ista (corporalis exercitatio etc.) inquantum comprimunt concupiscenlius. In I Tim., c. iv, lect. 2, p. 209. Mais ces notations sont exceptionnelles. Il n’y a guère que dans le livre de Job qu’elles sont absolument exigées par le texte, et notre docteur d’expliquer, d’après Aristote et les astrologues, la position et le mouvement des astres, la dimension de notre planète, éd. Vives, t. xviii, p. 135, 199-200, ou encore, d’après Augustin, les mystères de la génération, Ibid, , p. 214, et, avec le Philosophe, la structure des monstres marins, p. 221, les conditions thermiques nécessaires à la formation de l’or, p. 194, la façon de pécher les poissons sur les rochers, p. 217, les mœurs des oiseaux, ef. IMI », q. en, a. 0, ad 1°"’, etc. Comme Pierre Coinestor, il croit à la génération spontané*. Les vers naissent de la putréfaction « les blessures », ibid., p. 161 ; mais il sait que la lèpre est contagieuse. I’-II", q. en, a. : >, ad » "", etc.