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dre aux nécessités des controverses avec les juifs. C’étaient les théologiens apologètes plus que les exégètes qui apprenaient les langues anciennes.

Or, au XIIIe siècle, la connaissance de l’hébreu est en nette régression chez les théologiens eux-mêmes. D’une part, ce sont des philologues, déjà spécialistes en leur matière, qui rappellent l’urgence d’une culture linguistique, l’initiateur de cette campagne étant Robert Grossetête, son champion le plus véhément le franciscain Roger Bacon, le réalisateur le plus parfait Raymond Martin ; mais, à part Grossetête, aucun de ces linguistes ne publiera de travaux d’exégèse et leur érudition demeure une spécialité réservée. D’autre part, la connaissance des langues orientales se répandit avec le mouvement missionnaire des franciscains et des dominicains ; cf. K.-A. Neumann, L’eber orientalische Sprachstudien soit dem 13. Jahrhundert mit besonderer Rücksicht auf Wien, Vienne, 1899 ; B. Altaner, Die fremdsprachliche Ausbildung der Dominikanermissionare während des 13. und 14. Jahrhunderts, dans Zeitschr. für Missionswissensch., 1933, p. 233-234. Jusqu’à cette époque, quiconque voulait s’instruire des langues hébraïques ou arabes allait prendre des leçons près d’un maître juif ou d’un esclave sarrasin. Désormais ces langues devinrent l’objet d’un enseignement officiel dans l’Église, et les généralats de Raymond de Peñafort (1238-1240) et d’Humbert de Romans (1254-1263) furent déterminants à cet égard, puisqu’ils décrétèrent l’érection d’écoles de missionnaires prêcheurs, où l’on enseignerait l’hébreu et l’arabe selon une méthode pédagogique rationnelle et graduée.

Il faut donc reconnaître à la décharge de saint Thomas que n’étant ni missionnaire, ni philologue ou grammairien de profession, et théologien plus qu’exégète, il n’est ni l’occasion ni le goût de s’initier aux langues originales des écrits inspirés. Ce n’est pas dire pour autant qu’il en méconnut l’utilité pour l’interprétation de l’Écriture et, s’il puisa dans les glossaires les quelques rudiments de philologie indispensables à la lecture des écrits bibliques, on ne peut lui faire grief d’avoir ajouté foi aux étymologies plus ou moins fantaisistes qu’il y recueillit, et qui étaient admises par tous depuis un millénaire.

Au point de vue de l’hébreu, saint Thomas savait certainement lire l’alphabet, avec le nom et dans l’ordre des lettres, selon la prononétation séphardique alors en vogue en Italie, et qui était celle de saint Jérôme. Il observe, en effet, sur le ps. II : In hebræo, psalmi secundum ordinem littérarum ordinantur, ut quoi us sit psalmus statim occurrat ; nam in primo est Aleph, ad designandum quod sit primus, in secundo est Beth, ut designatur quod sit secundus, in testio est Gimel, et sic est in assis ; qui a ergo Beth, quæ littera est secunda in ordine alphabeti, pouitur in principio hujus Psalmi, parce quod est secundus psalīnus. In Ps., éd. Vivės, t. xvIII, p. 231-235.

Notre auteur peut donc discerner la composition alphabétique des Lamentations : Notandum est quod in hebræo in singulis litteris per ordinem incipiunt distinctiones singule, sicut vocantur, sicut nos in illo hymno : À solis ossu cardine. Et secundum hujustemodi interpretationem littérarum, singulæ litteræ consonant sententiæ clausularum, quibus præponuntur. Vivès, t. xix, p. 200.

Ce principe herméneutique d’après lequel la traduction des lettres hébraïques selon leur sens commun, fournit la règle d’interprétation de chaque strophe était traditionnel, et Nicolas de Lyre sera le premier à le nier. Postillæ, Douai, 1617, t. IV, p. 925. Saint Thomas sait encore que les métathèses sont fréquentes dans les langues semitiques ; il commente ainsi ser., xxV : Et sex Sesach, id est Babyloniæ, quæ hebraice dicitur Babel. Unde ad occultandum nomen, transposuit vocales, et immutavit consonantes in eis conjunctas, secundum consuetudinem hebræoruni qui docent pueros primam litteram cum ultimo retrogradiendo dicere, et secundam cum penultima, et sic deinceps. Unde pro duplici belli, qua est secunda littera apud hebræos posuit sin, bis, quæ est penultima, et pro lamed posuit caph, quæ ei secundum primam computationem conjungitur. In Jer., éd. Vivès, t. xix, p. 155.

L’exemple était classique, et devait se trouver dans tous les bons dictionnaires. Bacon le répète en ayant l’air de l’avoir inventé, Opus minus, éd. Brewer, p. 350, mais saint Thomas fait allusion aux écoles juives. Or, les rabbins employaient couramment cette gematria, grâce à laquelle « un mot peut en signifier un autre si l’on suppose que l’aleph correspond au taph, le beth au sin (système athbasch) ; ainsi le léb qâmâi (cœur de ceux qui se soulèvent contre moi) de Jer., lv, 1, signifie kašdim, les Chaldéens ». J. Bonsirven, Exégèse rabbinique et exégèse paulinienne, Paris, 1938, p. 139. Saint Thomas savait encore qu’en hébreu les voyelles sont accidentelles par rapport aux consonnes : Dicitur hic Salim, qui a apud Judæos lector pro voluntate uti potest vocalibus litteris in medio dictionum ; unde sive dicatur Salim sive Salem, non refert apud Judæos. In Joa., c. iii, sert. 4, ꝟ. 23, Marietti, p. 107.

Ses nombreuses étymologies, plus souvent erronées qu’exactes, sont toutes d’emprunt, ainsi celles d’Hosanna : id est, salva obsecro, quasi dicant Hosy, quod est salva, et ANNA, quod est obsecro. Quod secundum Augustinum, non est verbuni, sed interjectio deprecantis, ibid., c. XII, sert. 3, ꝟ. 13, p. 327 ; Isræl, interpretatur rectissinus. Asie modo, Isræl interpretatur vir videns Deum, ibid., c. 1, sert. 16, ꝟ. 47, p. 73 ; cette seconde traduction venait d’Isidore de Séville (Etym., t. VII, 7, P. L., t. cxiii, col. 1286). Ces étymologies, qui sont presque toujours des à-peu-près, sont d’ailleurs variables, comme celle de Bethsaïde, interprétée tantôt par domus venatorum, In Joa., c. 1, sert. 16,.. 44, p. 72, tantôt domus événm. Ibid., c. v, sert. 1, 7. 1, p. 145. Ce qui est plus grave, c’est de traduire le nom grec de Philippe selon une racine hébraïque Os lampadis, ibid., c. XII, sert. 4, v. 21, p. 330, et semblablement Python de Is., VIII, 19 hebraice os abyssi. Vivès, t. xvIII, p. 729. Il est vrai que saint Thomas cite ici saint Jérôme dont le Liber interpretationis hebraicorum nominum fait autorité ; mais Bède qui avait d’abord accepté cette dérivation la corrige dans son Liber retractationis in Act. Apost., XVI, 16. Bacon, Opus majus, édit. Brewer, p. 86 sq., s’insurgea violemment contre cet usage universellement répandu de faire dériver le grec du latin ou l’hébreu du grec, et il faut reconnaître que saint Thomas est en général plus réservé que ses contemporains qui n’hésitaient pas à décomposer l’hébreu amen, en a privatif et le radical grec messe (défectus), ou comme Papias expliquaient parasceve par le latin paro et cana, d’où præparatio cœnæ, comme Huguecio et Guillaume le Breton décomposaient gehenna en ge, terre, et ennos « quod est profundum ». Il est vrai que saint Jérôme déduisait dogma de doceo, et que les rabbins eux-mêmes aimaient parfois à ramener un mot hébreu à un mot grec. Cf. J. Bonsirven, op. cit., p. 140.

Saint Thomas soupçonne d’après les traductions les nuances temporelles du parfait et de l’imparfait hébreu, et que le futur se change parfois en passé lorsque l’événement à venir est considéré comme absolument certain : Utitur præterito pro futuro, tum propter certitudinem rei futuræ, tum propter infallibilitatem divinæ prædestinationis. In Joa., c. XVII, sert. 2,. 8, p. 444. De même, il ne peut pas ne pas discerner les nuances des propositions causales : Ly ut in sacra Scriptura quand oque accipitur causeriter, sicut illud