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THOMAS D’AQUIN : TEXTE BIBLIQUE ADOPTÉ

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De ce régime scolaire, deux observations se dégagent. Saint Thomas est l’un des témoins les plus notables de cette distinction des ouvrages d’exégèse et de théologie biblique d’une part et de théologie proprement dite ou rationnelle, d’autre part, dissociation qui s’esquissait au xiie siècle. Si le xiiie siècle est le grand siècle scripturaire du Moyen Age, il le doit à l’élan donné aux études bibliques un siècle plus tôt et à la multitude des grands esprits de la première moitié du xme siècle ; mais ceux-ci furent de plus en plus des théologiens et, après saint Thomas, on ne relèvera guère d’œuvre exégétique marquante jusqu’aux Postules de Nicolas de Lyre, lesquelles, par leur esprit et leur méthode, appartiennent davantage à la Renaissance qu’au Moyen Age ; on est dès lors autorisé à voir dans les commentaires de saint Thomas sur saint Jean et surtout sur saint Paul le fruit le plus mûr, la réalisation la plus parfaite de l’exégèse médiévale scol astique.

Par ailleurs, les commentaires bibliques de ce siècle sont des leçons de maîtres en théologie qui visent non seulement à élucider le sens des textes, mais encore à y trouver la solution de problèmes dogmatiques ou moraux, et à y discerner les éléments de la systématisation théologique qu’ils élaborent. C’est la théologie, science désormais autonome, qui devient la clef de voûte, le point de convergence de toutes les disciplines annexes : grammaire, philologie, patristique, exégèse. Le commentaire de saint Thomas sur Job est le type le plus expressif de cette formule d’interprétation.

I. Le texte biblique de saint Thomas. IL Son canon biblique (col. 697). III. Sa documentation (col. 701).

IV. Saint Thomas et la philologie biblique (col. 704).

V. Saint Thomas et la critique textuelle (col. 708).

VI. Caractères généraux de son exégèse (col. 711). VIL Règles herméneutiques (col. 727). VIII. Conclusion (col. 735).

I. LE TEXTE BIBLIQUE DE SAINT TBOMAS.

Comme

ses contemporains, saint Thomas ne possédait que le texte de la Vulgate latine, document traditionnel jouissant d’une autorité absolue. Sans doute ce texte était-il notablement corrompu, mais, quoi qu’on en ait dit et comme une lecture des commentaires en fait foi, il ne différait pas considérablement du nôtre ; cf. les variantes relevées par H. Wiesmann, Der Kommentar des hl. Thomas von Aquin zu den Klageliedern des Jeremias, dans Scholastik, 1929, p. 78 sq. ; A. Vaccari, S. Alberto Magnoe l’esegesi médiévale, dans Biblica, 1932, p. 372-374. Au xiie siècle, le cardinal Nicolas Maniacoria et Etienne Harding, abbé de Cîteaux, avaient entrepris de reviser la version hiéronymienne d’après le grec et l’hébreu, mais leurs travaux n’eurent guère de diffusion. C’est l’un des manuscrits à la fois amendé et interpolé par la masse des commentateurs que les libraires et les « stationnaires t de Paris choisirent dès le début du xiiie siècle et dont ils multiplièrent les copies. Ce fut désormais le texte reçu et en quelque sorte ecclésiastique ; les professeurs le commentèrent comme une version quasi-officielle et, comme Paris était le centre intellectuel du monde, cette Bible de l’université, plus exactement appelée Exemplaire parisien de la Bible ou Bible de Paris, devint YExemplar vulgatum, le texte biblique moderne dont l’autorité devait être incontestée pendant trois siècles ; cf. H. Denifle, Die Handschriften der Bibel-Korrectorien des 13. Jahrhunderts, dans Archiv fur Literaturund Kirchengeschichte des M. A., t. iv, 1888, p. 263311, 467-601 ; P. Martin, Le texte parisien de la Vulgate latine, dans Muséon, 1889, p. 444-466.

Cette édition n’ayant aucune valeur critique, les frères prêcheurs résolurent de l’amender. Un premier essai, réalisé par les religieux du couvent de Sens, devait être désapprouvé par le Chapitre général de

l’ordre en 1256. Hugues de Saint-Cher, après 1244, composa à Rome un correctoire dont aucun manuscrit ne nous est parvenu. Finalement les pères du couvent de Saint-Jacques éditèrent le célèbre correctoire connu sous le nom de « Bible des Jacobins de Paris » et qui est contenu dans les mss latins 16 719-16 72à (xme s.) de la Bibliothèque nationale. Les marges sont remplies de nombreuses variantes copiées de première main avec le texte. Celui-ci se relie au texte d’Alcuin (801) et, lorsqu’il s’en sépare, il concorde avec les manuscrits théodulphiens et italiens ; cf. H.Quentin, Mémoire sur l’établissement du texte de la Vulgate, Paris, 1922, p. 385-388.

Saint Thomas utilisa certainement pour ses commentaires le texte alcuinien de l’université de Paris. A défaut d’une étude critique qui n’a jamais été faite, on peut présumer qu’il utilisa les corrections que Hugues de Saint-Cher y avait apportées et plus vraisemblablement qu’il eut en main une copie du correctoire de Saint-Jacques, puisque c’était le couvent où il avait enseigné comme bachelier et comme maître, et que l’ordre l’avait imposé à tous ses religieux. Acta capitulorum gênerai. O. P., éd. B.-M. Reichert, t. i, p. 9. C’est en outre ce que suggère la formulation des notes de critique textuelle dans les commentaires de saint Thomas qui ne mentionne que très rarement l’origine des variantes et se contente de les mentionner comme la marge du susdit correctoire : alia littera habel. Cette bible de l’université de Paris bénéficiait des améliorations que venait d’y introduire le chancelier Etienne Langton (î 1228) et qui devaient être adoptées par Hugues de Saint-Cher, les bibles incunables et celle du concile de Trente. Jusqu’au xine siècle, en effet, les Livres saints étaient rangés dans l’ordre le plus variable. Etienne Langton mit au début de la Bible tous les livres historiques, à l’exception des Machabées, puis tous les Sapientiaux de Job à l’Ecclésiastique, enfin les Prophètes. Toutefois l’université de Paris mit les épîtres catholiques à la suite des Actes des apôtres, conformément à l’usage des manuscrits grecs, alors qu’Etienne Langton les avait placés après celles de saint Paul.

Par ailleurs, la division en chapitres de la bible d’Alcuin était extrêmement inégale, et fixée comme au hasard. Ces distributions fantaisistes variaient en outre avec les copies et parfois avec les auteurs ; aussi bien, jusqu’à la fin du xiie siècle, l’usage de citer l’Écriture avec une référence à un chapitre était-il presque entièrement inconnu ; cf. A. Landgraf, Die Scliriflzilale in der Scholastik um die Wende des |2. zum 1C. Jahrhunderl, dans Biblica, 1937, p. 74-94. Etienne Langton divisa, avant 1206, toute la Bible en chapitres de longueur à peu près égale et, qui mieux est, de façon à comprendre dans chacune de ces sections une unité de sujet. Si Etienne Langton ne créa pas de toutes pièces la numérotation nouvelle, du moins en fit-il adopter définitivement une ancienne. Ces nouveaux chapitres sont encore aujourd’hui en grande partie les nôtres.

Après Robert de Courson et avec Philippe le chancelier, Hugues de Saint-Cher fut l’un des premiers à employer la nouvelle capitulation dans ses Postules, son Correctoire et ses Concordances ; mais il est remarquable que, dans les Postules et le Correctoire, il y ait une coïncidence complète avec notre division actuelle, même pour les sept livres historiques de l’Ancien Testament. C’est donc lui qui mit au point l’œuvre de Langton, et c’est cette édition ainsi parachevée que suivra saint Thomas. Enfin, en 1218, Thomas Gallus complétait cette œuvre en subdivisant par les sept premières lettres de l’alphabet, a, b, c, d, e, /, g, chaque chapitre de l’Écriture, distribué ainsi en petits paragraphes, appliquant ainsi à la Bible un usage déjà