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THOMAS D’AQUIN. L’EXÉGÈTE


Lottin, Le libre arbitre chez Godefroid de Fontaines, p. 219 ; Thomas de Sulton et le libre arbitre, p. 289. Godefroid de Fontaines enseigne en outre que le jugement pratique dépend de la motion de la volonté, non seulement quant à l’exercice mais quant à la spécification de l’acte : Ex hoc quod per voluntatem fit aliquid, ralione cujus ipsum objection sic vel aliter intellectum moveat. Quodl. vi, q. xi, De Wulf-Hofîmans, p. 223. L’activité volontaire introduit en effet une conformité (connaturalitas) à l’égard de certains biens, d’où leur convenance pour l’appétit : Qualis est unusquisque, talis finis videtur ei. Ibid., p. 224 ; cf. Aristote, Ethic. Nie, T, 7, 1114 a, 32.

Conclusion. — Le 18 juillet 1323, Jean XXII canonisait celui que Jean Pecham avait accusé de remplir d’idoles la maison de Dieu. « L’inscription de saint Thomas au catalogue des saints fut encore plus efficace que les apologies des disciples du Docteur commun. » P. Mandonnet, La canonisation de saint Thomas d’Aquin, dans Mélanges thomistes, Le Saulchoir, 1923, p. 47. L’Église ne pouvait en effet proclamer la sainteté personnelle de Thomas d’Aquin, sans attester du même coup la vérité de sa doctrine et le succès de son entreprise. Les tenants de la vieille école augustinienne contestaient justement l’un et l’autre. Avec la canonisation de saint Thomas, l’aristotélisme avait conquis droit de cité. Mais le problème de l’aristotélisme s’était posé de façon très différente pour saint Thomas et pour Siger. Celui-ci, philosophe et non théologien, commente d’abord Aristote, sans s’occuper des affirmations de sa foi personnelle. C’est peu à peu que se manifeste à ses yeux le problème, très moderne, de la conciliation de son système philosophique et de sa foi. Le point de départ de saint Thomas est tout différent. Il est maître en théologie et non pas maître es arts. L’œuvre de sa vie, c’est une explication rationnelle de la veritas ftdei dans laquelle l’aristotélisme aura sa place. Mais au lieu d’une simple utilisation d’un matériel de citations au service du vieux fond de la théologie augustinienne, d’ailleurs si fortement teintée d’avicennisme, nous assistons chez lui à une refonte complète. Saint Thomas repense les problèmes théologiques à l’aide de l’aristotélisme. Un aristotélisme au service de la théologie, tel était lu but qu’il lui fut donné d’atteindre, comme on pourra mieux s’en rendre compte par l’exposé de la synthèse thomiste ; voir ci-dessous à l’art. Thomisme.

Bibliographie. — On n’indiquera que les travaux d’ordre général sur le conflit entre l’augustinisme médiéval t h’thomisme. Les travaux spéciaux sur tel ou tel point de doctrine, ont été signales au cours de l’article. — F. Ehrle, Dit Augustinisnuis and (1er Artstotelismus in ilcr Scholastik gegen dem Ende des XIII. Jalirliunderls, dans Arcliiu. f. Uteratur ». Kirchengesehtchte des Mtttelalters, t. v, 1898. p. 603-635 ; I’. Mandonnet, Siger de Brabani ri l’averroïsme latin, Louvain, 1911, t. i, p. 50-59 ; ]< même, Premiers travaux ilr polémique thomiste, dans Hev. des se. phtl. et théol., t. vii, 1913, p. 16-70, 245-252 ; I". Bbrle.Der Kampf um die Lélire des iil. Thomas v. A. in drr ersten fûnfxtg Jahren nach tetnem Tod, dans Zeltschrtft I. kathoL Théologie, t. xxxvi, 1913, p. 266-318 ; le même, L’Agostinismo et l’Aristotelismo delta scotaslica dcl secolo XIII, dans Arma Otomistica, Home, 192.">, t. iii, p. : >17- : >H.S ; A. Callebaut, Jean Pecham et l’augustinisme, dans Archio. franc, hisl., t. XVIII, 192°>, p. 111172 ; I’. Glorieux, Comment les thèses thomistes furent proscrites h Oxford, dans Rev. thomiste, a. s., t., 1927, p. 260271 ; le même, i.n littérature des Correeloires, Ibid., t. xi, 1928, p. 69-96 ; R. Creytens, Autour de la littérature des CorrectoUres, dans Archiv. II-. I’rœd., Home, t.xii, 1942, p. 313-340. On trouvera un exposé d’ensemble et une ample bibliographie de ces questions dans le grand ouvrage de F. van Stecnberghen, para depuis la rédaction du présent article : Siger de Brabani d’après tes cm [édites, i. ii, Louvain, 19 12 (Les Philosophes belges, t XIII),

I.-B. Gillon.

VI. Saint Thomas d’Aquin exégète. — Pour porter un jugement objectif sur les commentaires bibliques de saint Thomas d’Aquin, il faut les replacer dans leur contexte historique. Alors que toute l’exégèse du haut Moyen-Age était aux fins d’édification, on discerne un triple courant dans l’interprétation de l’Écriture au xiie siècle : celui de l’exégèse savante, représentée par le commentaire sur les Psaumes de Pierre Lombard, l’Expositio difficultaliim suborientium in expositione tabernaculi fœderis de Richard de Saint-Victor et la Glose ordinaire d’Anselme de Laon ; puis un courant monastique, d’intention moralisante, avec les commentaires du Cantique des cantiques de saint Bernard et de Pierre de la Celle, ou celui sur les Psaumes de Jean de Reims ; enfin des travaux scripturaires orientés vers la prédication et représentés par Gilbert de la Porrée, la Glose interlinéaire et surtout les Distinctiones, ou aide-mémoire, comme celles de Pierre le Chantre et de Prévostin sur le Psautier, ou de Garnier de Rochefort, évêque de Langres.

Il est notable que l’œuvre scripturaire de saint Thomas, à l’inverse de celle de ses contemporains qui se spécialisent dans un genre donné, relève de ces trois modes d’exposition. Le commentaire du Cantique des cantiques, et peut-être celui du Psautier, sont des ouvrages de piété et c’est pourquoi ils porteront plus que d’autres l’empreinte de leur temps. La Catena aurea est un manuel pour les prédicateurs autant que pour les étudiants. Enfin tous les autres commentaires, notamment ceux sur l’évangile de saint Jean et les épîtres de saint Paul sont des ouvrages scientifiques, et plus précisément scolaires, donc théologiques.

La plupart des grands commentaires bibliques du xme siècle, en effet, ne sont pas autre chose que la rédaction des cours officiels des maîtres en théologie durant leur carrière universitaire ; cf. P. Mandonnet, Chronologie des écrits scripturaires de saint Thomas d’Aquin, extrait de la Revue thomiste, 1928-1929 ; et L’enseignement de la Bible « selon l’usage de Paris », ibid., 1929, p. 489-519. Le texte sacré était la matière ordinaire des cours du maître en théologie qui l’expliquait section par section et d’un point de vue théologique, comparant les textes entre eux, mettant en lumière les gloses des Pères, combattant les hérésies, établissant les vérités de la foi ; exposé qu’il complétait par les questions disputées et les disputes quodl ibétiques ; cf. H. Denifle, Quel livre servait de base ù l’enseignement des maitres en théologie ? dans Revue thomiste, 1894, p. 149-161.

Mais, alors qu’au xiie siècle, avec Gilbert l’universel et Abélard, puis Robert de Melun, et encore au début du xiii c siècle, les « questions » théologiques ne sont introduites dans les commentaires de l’Écriture que d’une façon adventice, à l’occasion d’une citation patristique et en dépendance immédiate du texte, peu à peu, sous l’influence du progrès philosophique, les Quæstiones prennent une place de plus en plus prépondérante dans la « leçon », cf. ci-dessus, col. 371 sq. ; si bien que la théologie se constitue en science autonome et que les Sentences de Pierre Lombard ou VHistoria scholastica de Pierre le Mangeur se substitueront ici et là à la Bible comme texte de base. Finalement l’interprétation de l’Écriture qui faisait jadis l’unique objet de renseignement demeure stationnairc et les maîtres de Paris n’y consacreront plus que deux cours par semaine, considérant le texte sacré surtout comme un prétexte à discussions théologiques. C’est le « bibliste ordinaire » qui deviendra le spécialiste de l’enseignement scripturaire ; niais sa plaie demeurant subalterne — il « lit « la Bible » ni courant », au moyen de gloses — l’enseignement de lent de plus en plus élémentaire.